Le Monde - 21.02.2020

(Grace) #1
0123
VENDREDI 21 FÉVRIER 2020 économie & entreprise| 17

Le compte personnel de formation


livre ses premières données


L’utilisation par les salariés de ce dispositif lancé début 2015, sous
le quinquennat Hollande, progresse, mais demeure confidentielle

C


réé sous le quinquennat
Hollande, profondément
remanié par le gouverne­
ment d’Edouard Philippe, le
compte personnel de formation
(CPF) est de plus en plus utilisé
par les salariés, tout en demeu­
rant relativement confidentiel.
C’est ce qui ressort d’une enquête
diffusée mercredi 19 février par la
Dares – la direction chargée de la
recherche au ministère du travail.
Entré en vigueur début 2015, le
CPF offre « un droit à la formation
attaché à la personne » tout au
long de sa carrière, comme le rap­
pelle l’étude de la Dares. Un tel
dispositif, graduellement ouvert
à l’ensemble des actifs – deman­
deurs d’emploi inclus –, est libellé
en euros et mobilisable à partir
d’une application numérique, de­
puis novembre 2019.
Grâce au CPF, « près de 900 000
formations ont été suivies » de
2015 à 2018 par des personnes em­
ployées dans le secteur privé,
dont 383 000 pour la seule année
2018, soit une hausse de 41 % en
douze mois. La progression est
donc spectaculaire, mais le public
concerné reste limité : le « taux de
recours » à cet outil est de 1,7 %
parmi les salariés du privé, la pro­
portion étant plus élevée chez les
cadres et les professions intellec­
tuelles supérieures (2,7 %). Les

ouvriers, eux, sont en queue de
peloton (1 %). Autant de pourcen­
tages qui reflètent les inégalités
d’accès, anciennes, à la forma­
tion, selon les catégories socio­
professionnelles.
Des disparités existent égale­
ment en fonction de l’âge : les jeu­
nes de moins de 25 ans emploient
moins le CPF que les autres géné­
rations (0,8 %, contre 2,2 % chez
les 25­44 ans et 1,4 % pour les per­
sonnes d’au moins 45 ans,
en 2018).

Réduction des « cofinancements »
Au 1er janvier 2018, près de
12 500 certifications étaient pro­
posées dans le cadre du CPF,
« mais seule une petite partie d’en­
tre elles » sont mobilisées par les
salariés. Ainsi, un peu plus de la
moitié des entrées en formation
(55 %) s’effectuent dans une di­

zaine de cursus. Dans la grande
majorité des situations, les inté­
ressés s’inscrivent à des modules
de quelques dizaines d’heures
« préparant à des certifications en
langues, en informatique ou dans
le domaine des transports » – avec,
en particulier, le certificat d’apti­
tude à la conduite en sécurité (Ca­
ces), qui initie au pilotage d’en­
gins de manutention.
Seule une petite minorité
(12,5 %) des entrées en formation
réalisées avec le CPF vise à obtenir
une certification diplômante :
celle­ci est généralement beau­
coup plus longue « que les forma­
tions sans niveau spécifique », pré­
cise la Dares (410 heures en
moyenne dans le premier cas,
contre 50 dans l’autre, en 2018).
La durée des formations dans le
cadre du CPF a eu tendance à bais­
ser durant la période, passant de
117 heures en moyenne en 2015 à
88 heures en 2018. Une évolution
qui, d’après la Dares, s’inscrit
dans un contexte de réduction
des « cofinancements » apportés
par les organismes paritaires col­
lecteurs agréés, chargés durant
des années de recueillir les fonds
destinés à la formation continue,
avant d’être dépossédés de cette
prérogative par la loi « avenir pro­
fessionnel » de septembre 2018.
bertrand bissuel

La Californie


veut réguler les


plates­formes


Il s’agit de freiner l’« ubérisation »


du travail et la multiplication


des emplois précaires


san francisco ­ correspondante

E

mployés? Travailleurs
indépendants? A l’au­
tomne 2019, la Californie
croyait avoir tranché le
débat sur la gig economy, « l’éco­
nomie à la demande », en adop­
tant une loi imposant aux entre­
prises d’octroyer à leurs contrac­
tuels des avantages comparables
à ceux des salariés : congé mala­
die, salaire minimum, assurance­
chômage, d’invalidité. C’était la
première tentative, à l’échelle
d’un Etat de cette importance
pour freiner « l’ubérisation » du
travail et la multiplication des
emplois précaires.
Pour les élus californiens, il
s’agissait de lutter contre les iné­
galités qui s’accentuent, à l’ombre
de ce que les experts appellent
maintenant la « two­jobs eco­
nomy », l’économie où il faut
deux emplois pour s’en sortir.
L’auteure de la loi, Lorena Gonza­
lez, une ancienne syndicaliste de
San Diego, fille d’ouvrier agricole
et diplômée de l’université Stan­
ford, avait accusé les plates­for­
mes technologiques de pratiquer
des méthodes « féodales », sous le
couvert de la « flexibilité ».
La loi, dite AB5, est entrée en vi­
gueur le 1er janvier. Elle impose
aux entreprises opérant en Cali­
fornie de requalifier comme em­
ployés les contractuels qui satis­
font aux conditions définies par
la Cour suprême de l’Etat en 2018.
« La présomption est que vous êtes
un employé, sauf si trois critères

sont simultanément réunis », ex­
plique Ken Jacobs, le directeur du
centre de recherche de l’univer­
sité de Berkeley sur le travail : être
indépendant du contrôle de la
compagnie, exercer une tâche qui
ne figure pas dans « l’activité prin­
cipale » de celle­ci, et offrir ses ser­
vices à d’autres employeurs.
Une définition qui frappe au
cœur du modèle de la gig eco­
nomy, notamment le deuxième
critère. Uber a beau proclamer
être une plate­forme qui met en
relations clients et chauffeurs et
non une entreprise de transports,
sa défense ne convainc pas les ex­
perts. « Pour une compagnie qui
paie les gens pour conduire, il est
difficile de prétendre que la con­
duite n’est pas au cœur de son acti­
vité », note le professeur Jacobs.

Panique
La loi visait surtout à protéger les
forçats de l’économie numéri­
que : les chauffeurs des compa­
gnies de VTC comme Uber et Lyft,
les livreurs d’Amazon Flex, Door­
Dash, Instacart, Postmates sou­
mis à des tarifications dont seuls
les algorithmes ont la clef.
Mais des dizaines de milliers de
contractuels de métiers plus clas­
siques se sont aperçus qu’elle les
englobait aussi : pigistes (s’ils rédi­
gent plus de trente­cinq articles
annuels pour la même entre­
prise), correcteurs, interprètes,
routiers, photographes. La loi a
semé la panique dans les salons de
coiffure, les cabinets d’experts­
comptables, les clubs de yoga,

obligés de recourir à des avocats
pour savoir si leurs auxiliaires
étaient contractuels ou pas.
Une pétition réclamant l’exoné­
ration des indépendants de la mu­
sique a collecté plus de 170 000 si­
gnatures. Les chauffeurs routiers
ont obtenu de la justice une sus­
pension temporaire de l’applica­
tion du texte, arguant qu’ils sont
soumis en priorité aux lois fédéra­
les. Mais l’opposition vient sur­
tout des plates­formes. Uber et
Postmates ont saisi la justice fédé­
rale à Los Angeles, reprochant à la
loi d’être « irrationnelle », « anti­
constitutionnelle » et discrimina­
toire. Avec Doordash, Lyft et Insta­
cart, les deux compagnies ont
constitué un fonds de 110 millions
de dollars (102 millions d’euros)
pour organiser un référendum
d’initiative populaire en novem­
bre 2020 sur un « compromis » de
substitution.
Celui­ci créerait une nouvelle ca­
tégorie de travailleurs : indépen­

dants tout en bénéficiant de cer­
taines garanties minimales. Les
chauffeurs toucheraient 120 % du
salaire minimum, et obtien­
draient une indemnité pour leur
assurance­santé. Le Center for La­
bor Research de Berkeley, qui a
étudié la proposition en détail, a
calculé que les chauffeurs y per­
draient nettement, ne serait­ce
que parce que le salaire serait cal­
culé sur le « temps effectif ». Or, ils
passent en moyenne un tiers de
leur temps à attendre un client.

Plutôt que 15,60 dollars de l’heure,
le salaire garanti serait de 5,64 dol­
lars, affirme le centre d’études.
Pour Uber et Lyft, l’enjeu est vital.
Si elle est appliquée, AB5 pourrait
leur infliger un surcoût évalué à
30 % alors que ces sociétés es­
saient de démontrer à leurs inves­
tisseurs qu’elles sont (presque)
prêtes à dégager un profit. Uber,
qui a annoncé une perte de 1,1 mil­
liard de dollars pour le seul qua­
trième trimestre de 2019, soit 24 %
de plus qu’un an auparavant, a
promis de parvenir à l’équilibre au
quatrième trimestre de 2020. Lyft,
qui n’existe pas hors du marché
nord­américain, a perdu 2,6 mil­
liards de dollars en 2019 (le double
de l’année précédente) mais ses re­
venus ont grimpé de 68 %.
A la mi­janvier, Uber a assoupli
quelques règles pour se rappro­
cher de la définition contenue
dans la loi. Sur trois marchés
tests, les conducteurs ont acquis
la liberté de fixer leurs tarifs et de

connaître le trajet du client avant
d’accepter la course. « Ils essaient
de faire croire que nous avons un
contrôle sur la tarification, expli­
que Jay Cradeur, qui écrit sur le
blog Rideshare Guy. Si je veux, je
peux maintenant demander trois
fois plus. Mais le chauffeur qui ob­
tient la course, c’est celui qui a de­
mandé le moins. C’est une compé­
tition vers le bas. »
Pour Diane Mulcahy, auteure du
livre The Gig Economy (Amacom,
2016), la Californie va avoir « beau­
coup de difficultés » à faire appli­
quer la loi, compte tenu des multi­
ples recours en justice. Selon cette
universitaire, les enquêtes réali­
sées auprès des travailleurs indé­
pendants montrent que 75 % le
font par choix. « La loi essaie de
forcer la main­d’œuvre dans un
système démodé de classification
à deux catégories seulement qui ne
représente pas les réalités de l’éco­
nomie actuelle », estime­t­elle.
corine lesnes

Uber et
Postmates
ont saisi la justice
fédérale,
reprochant
à la loi d’être
« irrationnelle »

Les chauffeurs d’Uber et de Lyft dénoncent leurs bas salaires, à Los Angeles, Californie, le 5 février. RONEN TIVONY/GETTY IMAGES

Samedi 22 février, à 2 h 30 du ma­
tin, le réacteur numéro un de la
centrale de Fessenheim (Haut­
Rhin) sera définitivement dé­
branché. Le deuxième réacteur
cessera son activité en juin. En
dépit de son âge (43 ans), cette
installation n’est pas fermée
pour cause d’obsolescence, mais
pour raison politique. La France a
décidé de réduire sa dépendance
au nucléaire et a désormais acté
la fermeture de 12 réacteurs d’ici
à 2035, afin de réduire à 50 % la
part de cette technologie dans la
production d’électricité, contre
plus de 70 % actuellement.
En cela, notre pays suit de très
loin les décisions bien plus vi­
goureuses de ses voisins, et en
premier lieu de l’Allemagne. Déjà
traumatisé par la catastrophe de
Tchernobyl en 1986, le pays a ac­
tivé très violemment son retrait
de cette technologie après l’acci­
dent de la centrale de Fukushima
(Japon), en 2011. Berlin a décidé
l’arrêt de la majorité des centra­
les entre 2011 et 2017.
De nombreuses études ont
tenté d’évaluer le coût et les con­
séquences de cette décision sans
précédent, généralement à partir
de données macroéconomiques
comme le prix de l’énergie, l’évo­
lution de la production énergéti­
que, avec la progression très
forte de l’éolien mais aussi du
charbon et du gaz, ou les émis­

sions de CO 2 , qui ont remonté en
conséquence. Pour la première
fois, une équipe d’économistes
américains, menée par Stephen
Jarvis de Berkeley, ont utilisé des
modèles analysant la production
heure par heure pour modéliser
la différence entre ce qui s’est
passé réellement et ce qui se se­
rait produit si les centrales
avaient continué de fonctionner.
Ils en ont déduit que la ferme­
ture du nucléaire a induit un sur­
croît de production des centrales
thermiques locales (gaz et char­
bon) de 15 % et une augmentation
de 37 % des importations. Mais le
plus intéressant est que 70 % du
surcoût global proviennent de la
surmortalité due à la pollution lo­
cale des usines de charbon, éva­
luée à 1 100 personnes par an. Un
bilan bien plus élevé que celui qui
aurait été occasionné par un
éventuel accident ou la gestion
des déchets nucléaires.
Pourtant, les Allemands sont
favorables à plus de 80 % à la sor­
tie du nucléaire. Conclusion des
spécialistes de l’école d’économie
de Toulouse, qui dévoilent cette
étude : l’éparpillement d’un
dommage en réduit singulière­
ment sa perception dans la po­
pulation. Un phénomène que
connaissent bien les responsa­
bles politiques, qui en usent jus­
qu’à la corde, mais qui étonne
toujours les économistes.

PERTES & PROFITS|NUCLÉAIRE
p a r p h i l i p p e e s c a n d e

Arrêt de centrales


et perception du risque


Au 1er janvier
2018, près
de 12 500
certifications
étaient
proposées dans
le cadre du CPF

A É R O N A U T I Q U E
Air France : les syndicats
appellent à la grève
les 21 et 22 février
Les cinq syndicats d’Air France
(FO, CGT, CFDT, CFE­CGC et
UNSA) ont lancé, mercredi
19 février, un appel à des grè­
ves les vendredi 21 et samedi
22 février pour appuyer des
revendications salariales des
pilotes de la filiale HOP! et du
personnel au sol, qui réclame
des garanties sur l’emploi. Ils
protestent contre le recours
accru à la sous­traitance et ré­
clament des embauches pour
faire face au plan de départs
volontaires. – (Reuters.)

C O N J O N C T U R E
Le G20 s’attend à une
modeste reprise de la
croissance mondiale
Les ministres des finances et
les gouverneurs des banques
centrales des pays du G20 s’at­
tendent à une modeste re­
prise de la croissance mon­
diale en 2020 et 2021, mais
redoutent les effets de l’épidé­
mie de coronavirus, selon un
projet de communiqué rédigé
pour leur réunion des 22 et
23 février à Riyad, en Arabie
saoudite. – (Reuters.)

B A N Q U E
Un nouveau patron
à la tête d’UBS
La première banque suisse
UBS a annoncé, mercredi
19 février, la nomination du
Néerlandais Ralph Hamers,
actuel PDG d’ING Group, au
poste de directeur général et
président du comité exécutif,
en remplacement du Suisse
Sergio Ermotti. Il lui succé­
dera le 1er novembre. – (AFP.)
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