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INTERNATIONAL
VENDREDI 21 FÉVRIER 2020
0123
La terreur d’extrême droite frappe l’Allemagne
Au moins neuf personnes ont été tuées mercredi dans une double fusillade dans des bars à chicha à Hanau
berlin correspondant
L’
Allemagne s’est ré
veillée sous le choc,
jeudi 20 février, en ap
prenant que le racisme
était à l’origine de la double fu
sillade qui a frappé deux bars à
chicha à Hanau (Hesse), ville de
90 000 habitants située à une
vingtaine de kilomètres à l’est de
Francfort, mercredi 19 février en
fin de soirée. Le bilan est terrible :
neuf morts, et plusieurs blessés,
dont au moins un, jeudi matin,
était entre la vie et la mort.
Le parquet fédéral, compétent
dans les affaires de terrorisme,
s’est saisi de l’enquête après la dé
couverte d’une lettre et d’une vi
déo dans lesquelles le tueur pré
sumé, Tobias R., retrouvé mort à
son domicile pendant la nuit aux
côtés du corps sans vie de sa
mère, âgée de 72 ans, aurait évo
qué, selon le quotidien Bild, des
« peuples à éliminer ».
L’équipée meurtrière a com
mencé vers 22 heures, mercredi
soir, au Midnight, un bar à chicha
situé dans le centre de Hanau.
Cinq personnes y auraient été
tuées, dont plusieurs d’origine
kurde. Le tueur s’est ensuite di
rigé en voiture dans le quartier
résidentiel de Kesselstadt, à deux
kilomètres de là, où il s’est garé
devant un autre bar, l’Arena. Cette
fois, au moins quatre autres per
sonnes auraient été abattues. Il
aurait ensuite regagné son domi
cile, non loin de là, où il a été
retrouvé mort.
Peu d’informations précises
étaient encore connues sur
l’identité du tueur, jeudi matin.
Selon le ministère de l’intérieur
du Land de Hesse, qui s’est ex
primé brièvement, il serait
l’auteur de « déclarations à carac
tère xénophobe » publiées sur
Internet. De nationalité alle
mande, il était titulaire d’un per
mis de chasse.
« Crime atroce »
Selon le quotidien Tagesspiegel,
l’homme aurait récemment pu
blié une vidéo sur YouTube, dans
laquelle il tiendrait – en anglais –
des propos délirants sur l’exis
tence d’« organisations secrètes
invisibles » qui essaieraient d’ins
taurer « un système d’esclavage
moderne » en usant de « métho
des diaboliques ». Evoquant
l’existence de bases militaires
souterraines aux EtatsUnis dans
lesquelles des enfants seraient
maltraités et même assassinés, il
appellerait les citoyens améri
cains, dans cette vidéo, à entrer
en résistance.
Les réactions politiques se sont
multipliées, dans la matinée de
jeudi. « Nos pensées vont ce matin
aux habitants de Hanau, où un
crime horrible a été commis », a
tweeté, au lever du jour, le porte
parole d’Angela Merkel, Steffen Sei
bert. Un peu plus tard, la chance
lière allemande a annoncé qu’elle
annulait son déplacement prévu
dans la journée à l’académie des
sciences de Halle (SaxeAnhalt).
« Je suis horrifié, bouleversé et
sans voix », a commenté le con
servateur Volker Bouffier, le mi
nistreprésident (CDU) de la
Hesse, tandis qu’a été annulée la
session prévue jeudi au Parle
ment régional, situé à Wiesbaden.
« Quel crime atroce! Trop long
temps nous avons hésité à appeler
les choses par leur nom : le terro
risme d’extrême droite en Allema
gne », a tweeté la coprésidente du
Parti socialdémocrate, Saskia Es
ken. Le maire de Hanau a an
noncé la tenue d’une veillée en
hommage aux victimes, jeudi en
fin d’aprèsmidi, ainsi que la mise
à disposition d’un registre de con
doléances devant l’hôtel de ville.
Cette tuerie intervient dans un
contexte particulièrement sensi
ble en Allemagne, où la menace
du terrorisme d’extrême droite
n’a jamais été aussi présente
dans l’actualité, huit mois après
l’assassinat de Walter Lübcke, le
préfet de Cassel – ville située non
loin de Hanau –, par un néonazi,
et quatre mois après l’attaque de
la synagogue de Halle (SaxeAn
halt) par un adepte du « supré
macisme blanc ».
Elle intervient également cinq
jours après l’arrestation de
douze personnes soupçonnées
de préparer une série d’attentats,
principalement contre des mos
quées, mais aussi contre des res
ponsables politiques et des de
mandeurs d’asile. Membres d’un
groupuscule baptisé Der harte
Kern (« Le Noyau dur »), les sus
pects – parmi lesquels figure un
policier – avaient prévu de diffu
ser en direct les vidéos de leurs
attaques, comme l’avait fait
l’Australien Brenton Tarrant
quand il avait ouvert le feu con
tre deux mosquées de Christ
church, en NouvelleZélande, le
15 mars 2019 (51 morts et 49 bles
sés), et comme l’avait également
fait l’Allemand Stephan Balliet,
l’auteur de l’attaque contre la sy
nagogue de Halle.
« Spirale de haine et de violence »
Politiquement, la tuerie de Ha
nau met les autorités dans une
situation très délicate. En début
de semaine, après le démantèle
ment du groupuscule Le Noyau
dur et la découverte de ses pro
jets d’attaques contre des mos
quées, plusieurs responsables de
la communauté musulmane
avaient expliqué que les musul
mans d’Allemagne se sentaient
de moins en moins en sécurité.
Evoquant des projets d’attentats
« d’une dimension jamais vue
auparavant », le secrétaire géné
ral du Conseil central des musul
mans d’Allemagne avait réclamé
davantage de protection poli
cière autour des mosquées.
Accusé d’avoir trop longtemps
négligé la menace terroriste ve
nant de l’extrême droite, le gou
vernement fédéral a récemment
multiplié les annonces visant à
montrer qu’il prend désormais la
question très au sérieux. En dé
cembre 2019, le ministre de l’in
térieur, Horst Seehofer, avait
ainsi annoncé la création de
600 postes au sein de l’Office fé
déral de police criminelle et de
l’Office fédéral de protection de
la Constitution, le service chargé
du renseignement intérieur en
Allemagne.
Mercredi matin, quelques heu
res avant la tuerie de Hanau, le
gouvernement allemand avait
adopté une nouvelle loi visant à
lutter plus efficacement contre
la haine et la violence sur Inter
net. Complétant une loi entrée
en vigueur en 2018 et obligeant
les platesformes à supprimer,
sous 24 heures, les contenus ju
gés haineux, le texte adopté mer
credi en conseil des ministres
vise à faciliter la poursuite de
leurs auteurs, les platesformes
étant désormais obligées de si
gnaler les contenus litigieux –
propagande néonazie, prépara
tion d’attentats, menaces de
meurtres... – à l’Office fédéral de
police criminel.
« Nous devons stopper la spirale
de la haine et de la violence. De
tels crimes finiront par se retrou
ver là où ils devraient être : devant
un tribunal », avait expliqué,
mardi, la ministre de la justice,
Christine Lambrecht.
thomas wieder
Des experts judiciaires
sur le lieu de la fusillade,
à Hanau (Allemagne).
KAI PFAFFENBACH/REUTERS
Cette tuerie
intervient cinq
jours après
l’arrestation de
douze personnes
soupçonnées
de préparer une
série d’attentats
ALLEMAGNE
R É P.
TCHÈQUE
POL.
DANEMARK
SUISSE
AUTR.
FRANCE
PAYS
BAS
Mer
du Nord
HanauHanau
Berlin
Francfort
200 km
Une « attaque horrible »
Charles Michel, le président du Conseil européen, a dénoncé,
jeudi 20 février au matin, « une attaque horrible », après la mort
de neuf personnes dans une double fusillade contre les bars à
chichas à Hanau (Hesse). « La perte insensée de vie humaine est
une tragédie », a dit l’ancien premier ministre belge, peu avant la
tenue, à Bruxelles, en principe en présence de la chancelière alle-
mande Angela Merkel, d’un sommet extraordinaire consacré au
budget de l’Union européenne, pour la période 2021-2027.
LES DATES
2019
2 juin A Cassel (Hesse), un mili-
tant néonazi assassine devant
son domicile le préfet Walter
Lübcke, membre du parti
conservateur et connu pour son
soutien à la politique d’accueil
des réfugiés suivie par Angela
Merkel en 2015.
9 octobre Un homme, adepte
du « suprémacisme blanc »,
tue deux personnes et en blesse
deux autres dans les environs
d’une synagogue à Halle
(Saxe-Anhalt), après avoir
échoué à pénétrer dans le lieu
de culte, à l’occasion de la fête
juive de Yom Kippour.
2020
14 février La police interpelle
dans six Länder douze membres
d’une cellule baptisée Der harte
Kern (« le noyau dur »), soupçon-
nés de préparer des attentats
contre des mosquées.
19 février Neuf personnes sont
tuées à Hanau (Hesse) dans
deux fusillades contre des bars
à chicha. Le tueur présumé
est retrouvé mort chez lui,
aux côtés du cadavre de sa mère.