Le Monde - 21.02.2020

(Grace) #1
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VENDREDI 21 FÉVRIER 2020 0123 | 27

L

a France s’inspire toujours
avec retard des Etats­Unis.
L’affaire de la « sextape »
de Benjamin Griveaux
ressemble à première vue aux scé­
narios des scandales d’outre­At­
lantique qui ont entraîné la chute
d’hommes politiques en raison de
leur vie privée. De Gary Hart, le
candidat à l’investiture démocrate
en 1988, tombé pour adultère, à
l’ancien procureur de New York
Anthony Weiner, qui a démis­
sionné en 2011 de la Chambre des
représentants pour son abus d’en­
vois d’images sexuelles.
Après le retrait de M. Griveaux
de la campagne pour les élections
municipales de Paris, certains
s’empressent de dénoncer la con­
tagion du puritanisme anglo­
saxon, regrettant l’époque bénie
où l’information s’arrêtait à la
porte de la chambre à coucher. La
publication des images sexuelles
de Griveaux montre, avec l’ex­
trême violence que peuvent pro­
curer les réseaux sociaux, que
cette époque est révolue.
Est­ce un signe d’américanisa­
tion de la vie politique française?
Il n’y a pas eu de condamnations
morale de Benjamin Griveaux ni
de ces échanges entre adultes
consentants. Mais que reste­t­il
de la vie privée, quand des hac­
keurs peuvent s’infiltrer dans des
comptes personnels ou quand
des images censées s’autodé­
truire quelques minutes après
leur envoi sont capturées sur un
téléphone ou transférées sur un
ordinateur, avant d’être jetées en
pâture sur Internet?
Mais la situation évolue vite
aux Etats­Unis. La période où les
médias anglo­saxons s’indi­
gnaient des frasques de leurs élus
paraît lointaine à l’heure de
Trump et de sa post­vérité. Un
candidat peut désormais déclarer
qu’il « attrape les femmes par la
chatte », sans que sa campagne en
pâtisse véritablement. Après
avoir laissé entendre que sa voix
avait été trafiquée, Donald Trump
a minimisé l’affaire en évoquant
des « propos de vestiaires » dans le
cadre d’une conversation privée.
Les révélations de son ancien
avocat Michael Cohen, reconnais­
sant qu’il avait payé 130 000 dol­
lars à l’actrice de films pornos
Stormy Daniels pour qu’elle taise
sa liaison avec Donald Trump, lui
ont valu d’être crucifié par Trump
et ses équipes. Un peu plus tard, le
président américain a remboursé
la somme à son ancien avocat, qui
est désormais derrière les bar­
reaux. « Pourquoi est­ce moi qui
vais en prison? Ce n’est pas moi qui
ai couché avec une star du porno »,
avait­il alors déclaré.
En pleine affaire #metoo, les ré­
vélations sur les frasques trum­
piennes n’ont guère ému les
évangéliques, qui constituent son
électorat le plus fidèle. L’époque
de la procédure d’impeachment
de Bill Clinton pour parjure sur
ses relations sexuelles avec la sta­
giaire de la Maison Blanche Mo­
nica Lewinsky semble bien loin­
taine. C’était en 1998, au siècle de
l’Amérique puritaine.
Le président américain a deux
tactiques face à ces affaires : soit il
nie, envers et contre tout, et relaie
sa vérité dans des Tweet en lettres
capitales, soit il assume totale­

ment son propos, tuant dans
l’œuf toute velléité d’accusation
de mensonge. C’est la technique
employée dans l’affaire ukrai­
nienne qui a valu à Trump un pro­
cès en destitution, gagné devant le
Sénat, le 5 février. « READ THE
TRANSCRIPTS », tweete régulière­
ment le président américain pen­
dant la procédure d’impeach­
ment, pour montrer qu’il n’a rien
à cacher. La transcription de sa
conversation avec le président
ukrainien, Volodymyr Zelensky,
au cours de laquelle il lui de­
mande « une faveur », est pourtant
accablante pour Donald Trump,
qui mentionne le nom de son ad­
versaire démocrate, Joe Biden.

Les bons vieux « kompromat »
Plus que d’américanisation, la mé­
saventure de Benjamin Griveaux
ne relèverait­elle pas plutôt d’une
inquiétante forme de « russifica­
tion » de la vie politique française,
où tous les coups seraient permis
pour abattre un adversaire ou une
personnalité publique?
La méthode employée contre le
candidat de la majorité présiden­
tielle à la Mairie de Paris rappelle
les techniques des bons vieux
kompromat (« matériaux com­
promettants »), discrètement effi­
caces à l’époque de la guerre froide
pour retourner un espion occi­
dental ou faire renvoyer un am­
bassadeur. La pratique s’est géné­
ralisée à l’heure de la télévision et
d’Internet, qui assurent une large
diffusion. En 2016, une chaîne
proche du pouvoir a montré des
images de l’ancien premier minis­
tre Mikhaïl Kassianov, devenu un
opposant à Vladimir Poutine,
dans une chambre avec une de ses
collaboratrices, qui n’était pas sa
femme, en tenue légère.
Les kompromat sont générale­
ment filmés à l’insu de la per­
sonne. Les matériaux peuvent
aussi être inventés ou déformés.
Les moyens numériques rendent
faciles les manipulations d’ima­
ges. Le Français Yoann Barbereau,
ancien directeur de l’Alliance
française d’Irkoutsk, s’est ainsi re­
trouvé en prison sur la base d’un
dossier monté par les services.
Si l’utilisation de la vidéo de
Benjamin Griveaux s’apparente
aux techniques du kompromat,
cela ne veut bien sûr pas dire
qu’elle soit l’œuvre des services
russes. L’incontrôlable artiste
Piotr Pavlenski est loin d’avoir la
discrétion d’un agent...
Les médias russes ironisent sur
le changement de regard des jour­
nalistes français, bienveillants à
l’égard des performances de cet
artiste iconoclaste quand il se cou­
sait les lèvres pour dénoncer le
manque de transparence à Mos­
cou. Le retournement est aussi
spectaculaire pour Sputnik ou RT.
Les deux médias financés par
Moscou semblent trouver de nou­
velles vertus à l’artiste qui avait
mis le feu aux portes de la Lou­
biankia, le siège du FSB, les servi­
ces secrets russes. Il fait désormais
la « une » du site de RT, après avoir
déclaré à sa sortie de garde à vue :
« Je pensais que la France était le
pays de la liberté d’expression. » La
chaîne d’Etat Rossiya 24 s’est
même apitoyée sur la « lutte de
l’artiste russe Pavlenski contre le
sanglant régime français ».

F


ini de temporiser : Emmanuel Ma­
cron lance le chantier de l’organisa­
tion du culte musulman en France.
C’est le sens des annonces faites, mardi
18 février, par le président à Mulhouse : fin
programmée du système des imams déta­
chés (300 environ) en France par la Tur­
quie, l’Algérie et le Maroc dans le cadre de
conventions négociées avec l’Etat français ;
mission confiée au Conseil français du
culte musulman (CFCM), l’interlocuteur de
l’Etat créé en 2003, de faire d’ici à la fin
mars des « propositions concrètes » sur la
formation en France de cadres religieux,
francophones et familiers de la société
française, afin d’animer les quelque
2 500 mosquées ; préparation d’un projet
de loi visant à mieux contrôler les finance­
ments étrangers des lieux de culte.

Ces mesures sont un premier pas peu
contestable. Les imams détachés, formés
et payés par Ankara, Alger et Rabat, sont
une commodité à laquelle ont eu recours
tous les gouvernements français, tout en
réclamant dans le même temps l’émer­
gence d’un « islam de France ». Ils ne com­
posent qu’une minorité des ministres du
culte, mais ils sont l’un des symboles de ce
que l’on appelle l’« islam consulaire »,
c’est­à­dire le choix fait de concéder aux
Etats d’origine un droit de regard sur le
circuit des mosquées en France. L’opacité
des canaux de financement de la mos­
quée An­Nour de Mulhouse, citée par
M. Macron, justifie l’exigence d’une plus
grande transparence.
Ces annonces, cependant, ne suffisent
pas à définir une politique. Celle­ci doit
s’accommoder de la loi de 1905 sur la sépa­
ration des Eglises et de l’Etat, qui interdit à
la puissance publique de financer un culte
et de s’ingérer dans son organisation. Or, il
est urgent de faire émerger un système effi­
cace de formation de cadres religieux mu­
sulmans en France. Cela suppose que les
fonctions d’imam, d’aumônier, d’ensei­
gnant, aujourd’hui mal ou pas rémunérées,
puissent l’être convenablement à l’avenir,
et donc que les mosquées aient des sources
de financement régulier.
Au début de son quinquennat, Emmanuel
Macron avait paru vouloir tout remettre à
plat. Il avait demandé à l’équipe chargée de

réfléchir à la structuration du culte musul­
man de ne s’interdire aucune piste – y com­
pris les plus iconoclastes, comme celle
d’une sorte de « concordat » entre l’Etat et la
représentation musulmane, voire d’une
suspension provisoire de la loi de 1905.
Mais, devant les difficultés, il a dû en rabat­
tre. La réforme, d’abord promise pour le
premier semestre 2018, a été reportée plu­
sieurs fois. La modification de la loi de 1905,
préparée par les services du ministère de
l’intérieur, est restée dans les cartons.
Le chef de l’Etat semble aujourd’hui avoir
renoncé à un grand chambardement. Il a
choisi de donner une dernière chance au
CFCM, organisme structurellement para­
lysé par les rivalités entre les fédérations
qui le composent. Mohammed Moussaoui,
son nouveau président, porte deux propo­
sitions. L’une consiste à faire du départe­
ment l’échelon pertinent du fonctionne­
ment collectif du culte musulman et du
dialogue avec les pouvoirs publics. L’autre
vise à obtenir pour les mosquées le droit
d’exploiter des immeubles de rapport (il
faut une loi pour cela) afin, notamment, de
pouvoir salarier un imam. Reste mainte­
nant à répondre à l’attente formulée par le
chef de l’Etat à Mulhouse : quelle formation
en France pour les imams, avec quels finan­
cements? Les différents acteurs musul­
mans qui se sont exprimés depuis un an
pourront difficilement y répondre sans
coopérer, enfin, entre eux.

APRÈS LE RETRAIT


DE M. GRIVEAUX, 


CERTAINS DÉNONCENT 


LA CONTAGION


DU PURITANISME 


ANGLO­SAXON


STRUCTURER 


L’ISLAM 


EN FRANCE


INTERNATIONAL|CHRONIQUE
pa r a l a i n s a l l e s

Américanisation


ou russification?


SPUTNIK ET RT, 


FINANCÉS 


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