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VENDREDI 21 FÉVRIER 2020 international| 3
Michael Bloomberg aiguise les rivalités démocrates
Le milliardaire a participé à son premier débat des primaires et fait l’unanimité contre lui parmi ses rivaux
las vegas (nevada)
envoyée spéciale
M
ichael Bloomberg
avait beaucoup
d’explications à
fournir. Sur ses dé
clarations méprisantes à l’égard
des femmes, son passé républi
cain, et surtout sa politique de
« stop and frisk » ou contrôle au
faciès quand il était maire de New
York de 2002 à 2013. Dès la
deuxième minute du débat des
primaires démocrates de Las Ve
gas, mercredi 19 février, Bernie
Sanders a attaqué frontalement le
nouveau venu dans la campagne,
expliquant qu’il n’avait aucune
chance de battre Donald Trump,
en raison de son soutien passé à
cette pratique raciste.
Le milliardaire a encaissé le
coup. « Euh », atil balbutié. Eliza
beth Warren s’est précipitée pour
le tailler en pièces : « J’aimerais
parler de qui nous combattons, a
telle lancé. Un milliardaire qui
traite les femmes de “grosses va
ches” et de “lesbiennes au visage
chevalin”. Et non, je ne parle pas de
Donald Trump, a repris la séna
trice du Massachusetts. Je parle de
Michael Bloomberg. Les démocra
tes prennent un grand risque si
nous remplaçons un milliardaire
arrogant par un autre. »
Dans l’assistance, il y a eu un
moment d’effroi puis des applau
dissements. La candidate, en
perte de vitesse depuis des semai
nes dans les sondages, faisait réfé
rence à une compilation satirique
concoctée en 1990 par un cadre
de la société Bloomberg et offerte
au PDG pour son 48e anniver
saire : la recension de quelques
« maximes » d’un homme réputé
pour ses jugements corrosifs.
Bloomberg a préféré ne pas rele
ver. « Je suis NewYorkais, atil ré
pondu d’une voix atone. Je sais
comment m’y prendre avec un im
posteur newyorkais de l’arro
gance de Donald Trump. »
Effet Bloomberg? Sursaut de
combativité parmi les concur
rents distancés dans les sondages?
Le neuvième débat démocrate,
mercredi 19 février, le premier
pour l’ancien maire de New York, a
été le plus brutal depuis le début
de la compétition contre Donald
Trump. Pendant la première
heure, le casino Paris Las Vegas
s’est transformé en arène où les six
candidatsgladiateurs ont déversé
attaques et insultes – des plus con
séquentes aux plus mesquines.
NBC News a totalisé 75 tirs dans les
soixante premières minutes. Et
dans toutes les directions.
Ascension fulgurante
Rien n’a été épargné aux specta
teurs. Pas même la crise cardiaque
subie, en octobre 2019 dans cette
même ville de Las Vegas, par Ber
nie Sanders. Pete Buttigieg, le pre
mier, mais pas le seul, lui a repro
ché de ne pas publier davantage
d’informations sur son dossier
médical. Bernie Sanders, la figure
rouge depuis son premier empor
tement contre Michael Bloom
berg, a répondu qu’il avait donné
toutes les garanties. Avant de bot
ter en direction de Bloomberg : « Je
crois qu’on partage le fait d’avoir
deux stents », atil glissé. « C’était il
y a vingtcinq ans », a soupiré l’an
cien maire de New York.
L’ascension fulgurante de ce
dernier a fait l’effet d’un électro
choc dans le camp démocrate. Plu
sieurs sondages l’ont maintenant
placé dans le trio de tête, voire en
deuxième position. Dans le der
nier calcul de la moyenne des son
dages établie par le site Realclear
politics, Bernie Sanders arrive en
première position avec 29 %, Joe
Biden est deuxième avec 18 %, ta
lonné par Michael Bloomberg à
16 %. Le sondage NBC NewsWall
Street Journal, publié à la veille du
débat, a lui aussi placé le socialiste
démocrate en tête avec 27 %, de
vant Joe Biden, en recul de
11 points. L’ancien viceprésident,
qui joue gros lors des caucus du
Nevada samedi, a tenu son rang
dans le débat, mais sans éclat.
Depuis qu’il s’est lancé en no
vembre 2019, Michael Bloom
berg, 55 milliards de dollars
(50 milliards d’euros), la 9e for
tune mondiale selon le classe
ment du magazine Forbes
en 2019, a déployé des moyens
sans précédent. Il a déjà dépensé
409 millions de dollars, dont un
million par jour sur Facebook se
lon NBC News, soit plus que les
candidats encore en lice pendant
toute l’année 2019.
Lui qui a fait sa fortune dans l’in
formation financière a mis en
place un dispositif sophistiqué sur
les réseaux sociaux, allant jusqu’à
payer des influenceurs pour pu
blier des mèmes. Il a recruté des
auteurs d’émissions satiriques
pour calibrer des Tweet suscepti
bles de déclencher la rage de Do
nald Trump – lequel mord réguliè
rement à l’hameçon. Sans avoir
participé aux caucus de l’Iowa ou
aux primaires du New Hampshire,
sans se présenter aux caucus du
Nevada samedi 22 ou aux primai
res de Caroline du Sud le 29 février,
Michael Bloomberg s‘est hissé de
vant des candidats qui battent la
campagne depuis plus d’un an.
Débat supplémentaire
Ceuxci ontils réussi à enrayer la
dynamique? Bloomberg, qui
n’avait pas participé à un débat
politique depuis plus de dix ans,
n’a pas manifesté de talent ora
toire particulier, hésitant dans sa
défense. Sur les contrôles au fa
ciès, il s’est de nouveau excusé,
plaidant l’ignorance de l’impact
sur les minorités, tout en répétant
que, de 650, le nombre de meur
tres à New York avait été réduit de
50 %. Il ne s’est animé que dans la
partie consacrée au climat, l’une
de ses causes de prédilection.
Quoi qu’il en soit, sa présence a
entraîné un débat supplémen
taire chez les démocrates. Tous les
candidats se sont déclarés scanda
lisés qu’il « achète » l’élection à
coups de publicités (une telle for
tune, équivalente à ce que possè
dent 125 millions d’Américains, est
« immorale », a jugé Bernie San
ders). Mais Bloomberg, un self
mademan, ingénieur de forma
tion qui a inventé une plateforme
de trading, n’est pas vu comme un
épouvantail par toute la gauche,
où sévit ce qu’un éditorialiste a ap
pelé « la tentation de Bloomberg »,
l’antiBernie Sanders.
Le milliardaire a reçu le soutien
de dizaines de maires et d’élus
afroaméricains, dont il aide les
projets sociaux depuis des an
nées. Il a investi 500 millions de
dollars dans la campagne de l’or
ganisation écologiste Sierra Club
« Beyond coal », qui a contribué à
fermer la moitié des centrales au
charbon du pays. Pas une cause
progressiste – du planning fami
lial à l’Emily’s List, qui aide les
femmes en politique – qui n’ait
bénéficié de subventions de sa
fondation. « J’ai eu beaucoup de
chance, j’ai gagné beaucoup d’ar
gent et je suis en train de le dépen
ser pour débarrasser le pays de Do
nald Trump. Et d’ailleurs, une
bonne partie de cet argent va au
Parti démocrate », atil rappelé.
corine lesnes
En Iran, la victoire assurée des conservateurs
La faible participation attendue aux élections législatives de vendredi devrait profiter aux plus durs du régime
L
es Iraniens sont appelés aux
urnes vendredi 21 février
pour désigner leurs repré
sentants au Parlement, le Majlis.
Mardi, le Guide de la révolution,
Ali Khamenei, véritable chef de la
République islamique, leur a fait
savoir que leur participation était
un « devoir religieux ». Mais nom
breux pourraient être ceux, selon
les prévisions, à s’en libérer. Voter
en République islamique est un
exercice contraint. Les mécanis
mes subtils qui régentent le laby
rinthe institutionnel organisant le
fonctionnement du régime per
mettent la représentation de ten
dances politiques diverses, mais
uniquement dans un spectre où
l’on se conforme rigoureusement
aux principes d’un système sou
mis à la férule du Guide.
Pour les élections de vendredi,
qui interviennent dans un con
texte de tensions intérieures et
extérieures accrues, ce jeu déjà
contraint s’est encore resserré
autour des plus conservateurs,
décourageant une partie de l’élec
torat, ceux qui pouvaient encore
croire, il y a quelques années en
core, à la possibilité de faire évo
luer le système de l’intérieur vers
une plus grande ouverture.
Depuis la fin de l’année 2019, le
conseil des gardiens, l’instance
chargée de valider les candidatu
res aux législatives, a exclu des
milliers d’aspirants parlementai
res dont une majorité de réformis
tes et de modérés, associés au gou
vernement actuel du président,
Hassan Rohani, réélu au suffrage
universel en 2017. Parmi les candi
datures retoquées se trouvent cel
les de 90 représentants sortants,
en majorité issues de ces tendan
ces, opposées aux conservateurs.
« Ils ne voteront pas »
« Face à la menace extérieure, le
Guide Ali Khamenei a un impératif :
mettre de l’ordre dans le sérail, ex
plique Ahmad Salamatian, ancien
viceministre des affaires étrangè
res de la République islamique et
fin connaisseur de ses rapports de
force. Il n’est plus question pour lui
d’octroyer des concessions à la po
pulation audelà de ses partisans
les plus convaincus. Les autres
n’iront pas voter. » Alors que Téhé
ran avait massivement voté
en 2016 pour les réformateurs en
donnant à ce camp politique ses
30 sièges sur les 290 que compte la
chambre, certaines études pré
voient cette fois une participation
inférieure à 25 %, qui profiterait
aux conservateurs. Ces derniers
peuvent compter sur la base so
ciale du régime qui, par son vote,
réaffirme son allégeance à la Ré
publique islamique.
En revanche, les réformateurs et
les modérés dépendent histori
quement des espoirs fondés en
eux par les électeurs épris de
changement. Le président Ro
hani, homme façonné par le ré
gime, avait pu incarner, dans le
cadre des négociations sur le nu
cléaire iranien et grâce à leur suc
cès se soldant par la signature
d’un accord en 2015, des espoirs
d’ouverture et de développement
économique. Il avait reçu pour
cela de l’électorat un soutien ap
puyé en 2016, avec la victoire de
ses alliés aux législatives.
L’espoir toutefois n’est plus de
saison. En décidant de la sortie de
l’accord nucléaire en 2018, le prési
dent américain, Donald Trump, a
ouvert la voie à une ère de raidisse
ment, de défense par le repli et au
retour en force des plus durs au
sein du régime. Les manifesta
tions réprimées au prix de centai
nes de morts en novembre 2019
en ont fourni le témoignage san
glant. De même que la dureté de la
position du Guide à la suite du
crash du vol d’Ukraine Internatio
nal Airlines, le 8 janvier, causé par
l’erreur de tir de la défense antiaé
rienne iranienne, dans le climat
tendu des représailles à l’assassi
nat du général Ghassem Solei
mani par Washington.
« Il y a toujours eu une partie de
l’électorat en Iran qui a accepté de
jouer le jeu des élections sous con
trainte dans l’espoir que ceux pour
qui ils voteraient pourraient “rete
nir” les serviteurs les plus durs du
régime, confie un observateur de
la vie politique iranienne. Au
jourd’hui, ces gens sont convain
cus qu’il s’agit d’une illusion. Vous
êtes soit pour le régime, soit con
tre. Voter, c’est donner une légiti
mité à ce système. Et donc ils ne vo
teront pas. » Aidé en cela par une
administration américaine tou
jours convaincue de l’efficacité de
sa politique de « pression maxi
male » sur l’Iran, le noyau dur du
régime peut préparer, à partir des
élections de vendredi, une reprise
en main générale.
« Il faut voir plus loin que les lé
gislatives, indiquait à Téhéran
l’analyste conservateur Amir Mo
hebbian, dont les positions peu
vent se montrer critiques à l’égard
des ultras du régime. Le mouve
ment va se poursuivre avec la pré
sidentielle de 2021, au terme de la
quelle Rohani sera remplacé par
un président dans la ligne du
Guide. Ensuite, la question de
vraies transformations institu
tionnelles pourra se poser. »
Depuis sa fondation, la dimen
sion républicaine du régime ira
nien, qui tient à l’existence en son
sein de pouvoirs tirant leur légiti
mité du suffrage universel, est en
tension avec une veine plus radi
calement autoritaire. La séquence
qui s’ouvre avec les élections de
vendredi pourrait aboutir à terme
au triomphe de cette dernière, se
lon M. Salamatian : « Le but final de
M. Khamenei, qui est octogénaire,
dans la période de tension en cours,
est de marginaliser les institutions
élues. Le Parlement à venir sera à sa
main, c’est une première étape vers
la mise en place d’un régime plus
vertical, plus militaire, alors que la
question de sa succession va se po
ser avec une acuité croissante. »
allan kaval
« Face à la menace
extérieure, le Guide
Ali Khamenei
a un impératif :
mettre de l’ordre
dans le sérail »
AHMAD SALAMATIAN
ancien vice-ministre des affaires
étrangères iranien
Michael Bloomberg, Elizabeth Warren, Bernie Sanders et Joe Biden, à Las Vegas, mercredi 19 février. MARIO TAMA/GETTY/AFP
Plusieurs
sondages placent
Michael
Bloomberg dans
le trio de tête
des primaires
démocrates
P O R T U G A L
Le Parlement vote
sur l’euthanasie
Le Parlement portugais exa
mine, jeudi 20 février, cinq
propositions de loi autorisant
la « mort médicalement assis
tée », dont une déposée par le
parti socialiste au pouvoir. En
mai 2018, une très courte ma
jorité avait rejeté des textes al
lant dans ce sens. Depuis, les
socialistes sont sortis renfor
cés des élections législatives.
Le premier ministre, Antonio
Costa, et le chef de l’opposi
tion, Rui Rio, sont favorables
aux textes. – (AFP.)
É TAT S - U N I S
Le secrétaire à la défense
appuie le budget
des armes nucléaires
Pour sa première visite sur la
base de Minot (Dakota du
Nord), qui abrite l’un des prin
cipaux dépôts d’armes nu
cléaires américains, le secré
taire à la défense Mark Esper a
justifié le budget de 46 mil
liards de dollars demandé par
le Pentagone pour les armes
atomiques en 2021. « La Russie
et la Chine modernisent et dé
veloppent toutes les deux leur
arsenal », atil déclaré. – (AFP.)
R E C T I F I C AT I F
Dans Le Monde du 20 février
a été publiée par erreur une
photo d’une manifestation
en Irak pour illustrer l’article
« A Téhéran, le désespoir et
l’exil pour horizon ».