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Vendredi 21 février 2020
Dans les poches|
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Parutions
TOUTES LES HISTOIRES D’AMOUR
DU MONDE, de Baptiste Beaulieu,
Livre de poche, 448 p., 8,40 €.
CORRESPONDANCE (1944-1959), d’Albert
Camus et Maria Casarès, Folio, 1 472 p., 15 €.
COMMENT J’AI VIDÉ LA MAISON DE MES
PARENTS. UNE TRILOGIE FAMILIALE,
de Lydia Flem, Points, 580 p., 8,50 €.
UNE HISTOIRE DE FRANCE, de Nathalie
Heinich, Champs, « Libres », 242 p., 8 €.
UN OCÉAN, DEUX MERS, TROIS
CONTINENTS, de Wilfried N’Sondé,
Babel, 270 p., 7,80 €.
ANTHOLOGIE DE LA LITTÉRATURE
CHINOISE CLASSIQUE, édité par Jacques
Pimpaneau, Picquier, « Poche », 1 218 p., 14 €.
Modeste addition à la chronique « Des poches
sous les yeux » de Mathias Enard,
une sélection de parutions pour ce début de 2020...
L’Œil du Quattrocento
L’usage de la peinture
dans l’Italie de la Renaissance,
de Michael Baxandall,
traduit de l’anglais par Yvette Delsaut,
Gallimard, « Tel », 304 p., 14,50 €.
Ce livrephare a secoué du grand vent
de la nouveauté, à sa parution en an
glais en 1972 (il a été traduit en 1985),
le monde de l’histoire de l’art. Le Bri
tannique Michael Baxandall (1933
2008) y met en évidence « le fait que
les formes et les styles de la peinture
reflètent l’environnement social », et
s’efforce de comprendre comment
les contemporains de Bellini ou du
Pérugin regardaient leurs œuvres.
Les apports de l’histoire culturelle et
sociale à l’histoire de l’art se révèlent
d’une richesse considérable, comme
L’Œil du Quattrocento le montre
brillamment. L’ouvrage est très illus
tré, et un épais cahier (64 pages)
contient des reproductions en cou
leurs de chefsd’œuvre signés Fra
Angelico, Botticelli, Masaccio, etc.,
superbes en dépit de leur taille
réduite.mathieu strux
La Vieillesse
de Simone de Beauvoir,
Folio, « Essais », 808 p., 10,90 €.
Il existe une énigme dans l’œuvre
de Beauvoir : c’est l’étonnant écart
de faveur entre Le Deuxième Sexe
(1949) et La Vieillesse (1970), qui
paraît en poche pour la première
fois. En 1949, l’écrivaine « inven
tait » une question philosophique
- « Qu’estce qu’une femme? »
En 1970, elle eut beau avertir :
« Cessons de tricher ; le sens de notre
vie est en question dans l’avenir qui
nous attend », on ignora la question
qu’elle posait, tout aussi simple - « Les vieillards sontils des
hommes? » –, mais décisive. La
déchéance sénile, montretelle,
dépend de la classe à laquelle on
appartient. C’est donc toute la
société qu’il faut changer ; peu
importent les « politiques de la
vieillesse » déployées, tant que nous
n’aurons pas compris qu’on ne
vieillit bien que si l’on a « toujours
été traité en homme ».
jeanlouis jeannelle
428,
une année ordinaire à la fin
de l’Empire romain,
de Giusto Traina,
traduit de l’italien par Gérard Marino,
Pluriel, nouvelle édition, 334 p., 12 €.
C’est à un beau voyage que convie
l’historien Giusto Traina : du
Moyen Orient à la péninsule Ibé
rique, et retour. En passant par
Constantinople, capitale de l’em
pire d’Orient en pleine expansion,
Rome, qui se relève du sac wisigoth
de 410, les rives du Rhin, celles du
Nil ou du Tigre. Et pas avec n’im
porte qui : des empereurs et des
impératrices, des rois, des guer
riers, des hommes de foi... Sur une
année de cette fascinante mais
toujours obscure période qui voit
l’Antiquité peu à peu céder la place
au Moyen Age, ce livre projette une
vive lumière.m. sx
Les Femmes
ou les silences
de l’histoire
de Michelle Perrot,
Champs, « Histoire », 702 p., 13 €.
Quand, en 1998, Michelle Perrot
publie ce recueil, cela fait sept ans
qu’elle a lancé, avec Georges Duby, le
chantier de l’Histoire des femmes en
Occident (Plon, cinq volumes), une
des grandes révolutions historio
graphiques du XXe siècle, dont sont
réunis ici, en somme, les préparatifs.
De cette trentaine d’articles parus
entre les années 1970 et 1990, l’histo
rienne, dans une préface inédite en
forme de « vingtdeux ans après »
(bilan et perspectives), écrit :
« Il fallait bien commencer. Ce livre est
le témoin modeste des débuts. Il a le
tremblement des premiers pas. »
Il n’empêche : tout tremblant qu’il
soit, le pas ne manque ni d’allant ni
d’adresse pour arpenter, des ouvriè
res françaises aux jeunes filles du
faubourg SaintGermain, de l’intime
au politique ou au religieux, les
chemins « étroits » – « entre fugacité
des traces et océan de l’oubli » – de
« la mémoire des femmes ».
florent georgesco
La Chasse infinie
et autres poèmes,
de Frédéric Jacques Temple,
édité par Claude Leroy,
« Poésie/Gallimard », inédit, 368 p., 9,50 €.
Né en 1921, Frédéric Jacques Tem
ple, ami de Durrell et de Miller, a
parcouru la planète. « J’ai dormi
sous la tente targuie, dans le hogan
navajo, sur le pont des navires,
dans les bois », écrivait cet admira
teur de Cendrars dans la préface à
son Anthologie personnelle (Actes
Sud, 1989). Des départs qui n’an
crent que davantage le poète dans
son Languedoc natal : « Loin je suis
près des origines », affirmetil
dans La Chasse infinie, splendide
recueil. Savourant ces paysages,
sachant nommer le machaon ou
le balbuzard, il offre, dans ses poè
mes, la profusion du monde.
monique petillon
Les Deux Corps du roi
Essai sur la théologie politique médiévale,
d’Ernst Kantorowicz,
traduit de l’anglais par JeanPhilippe et Nicole Genet,
Folio, « Histoire », 896 p., 11,50 €.
Le propre d’un grand esprit, diton, est d’inventer ce qui devient, après lui,
un cliché. La théorie des « deux corps du roi », glosée par l’historien améri
cain Ernst Kantorowicz (18951963) dans ce chefd’œuvre d’histoire de la
pensée au Moyen Age paru en 1957, l’illustre à l’envi. Utilisée comme for
mule fourretout plutôt que comme concept par les hommes politiques,
elle connote vaguement chez eux le caractère perpétuel qu’ils souhaitent
prêter aux institutions modernes, surtout quand ils les dirigent...
La réédition en poche de cet ouvrage, qui ne fut traduit en français
qu’en 1989, contribuera peutêtre à en rendre l’usage moins incertain en
rappelant que Kantorowicz s’y est fort peu soucié d’explorer les fonde
ments mystiques de l’Etatnation moderne ou sa genèse. Bien au contraire, l’historien, qui puise principalement aux
sources du droit médiéval, s’efforce, dans cette étude qui lui coûta dix ans de travail, de 1945 à 1955, de montrer comment
la théologie chrétienne du « corps mystique » a pu engendrer une doctrine politique originale. Une doctrine élaborée
surtout en Angleterre, attribuant au corps charnel du monarque une sorte de double perpétuel « entièrement dépourvu
d’enfance, de vieillesse, et de toutes autres faiblesses ou défauts naturels auxquels est exposé le corps naturel ».
Qu’une telle élaboration soit transposable à la politique d’aujourd’hui n’était nullement le propos du livre d’un savant qui,
pourtant, s’y était confronté en luttant, arme au poing, contre les communistes dans l’Allemagne de Weimar, puis contre
le maccarthysme aux EtatsUnis. Il reste une somme exemplaire. Inoubliable par son écriture énergique et par la richesse
des domaines abordés, de Dante à Shakespeare, du pape à l’empereur, elle préfigure l’historiographie culturelle du passé à
travers les rites et les représentations... C’est déjà beaucoup! nicolas weill
Camarade papa
de Gauz,
Livre de poche, 264 p., 7,40 €.
Camarade papa superpose deux
romans d’apprentissage et d’aven
tures. Le premier suit, au XXe siècle,
un enfant né à Amsterdam, bibe
ronné au marxismeléninisme, que
son père envoie dans l’est de la
Côte d’Ivoire. Le second, au XIXe,
accompagne un orphelin qui quitte
la Creuse pour embarquer vers les
comptoirs français de GrandBas
sam. A travers le récit passionnant,
poétique et souvent loufoque de
leurs tribulations, l’écrivain fait
apparaître la ligne brouillée qui
rattache les hommes d’aujourd’hui
au passé de la colonisation.
gladys marivat
L’Empreinte
d’Alex MarzanoLesnevich,
traduit de l’anglais (EtatsUnis)
par Héloïse Esquié,
10/18, 456 p., 8,40 €.
Alex MarzanoLesnevich
découvre, lors d’un stage dans
un cabinet d’avocats, une
affaire d’assassinat d’enfant qui
l’amène à une introspection
sur son histoire familiale. Né de
ces réflexions autant que d’une
colossale enquête, L’Empreinte
est à la jonction du récit per
sonnel, du nouveau journa
lisme et du « true crime ».
Il offre une méditation d’une
intelligence folle sur les secrets
et les fantômes qui hantent
nos vies.macha séry
Ethnographie
du Quai d’Orsay
Les pratiques des diplomates français,
de Christian Lequesne,
Biblis, 258 p., 10 €.
Le destin du monde, le rôle historique de la
France, son rapport à l’universel... Analyser la
diplomatie du pays incline souvent le com
mentateur à privilégier la « science à objet
vague », l’analyse éthérée, à laquelle Christian
Lequesne oppose ici une passionnante en
quête sur ses différents modes d’incarnation
des « notions globalisantes » qui structurent
l’action du Quai d’Orsay, et, selon le politiste,
« ne sauraient être comprises sans partir de
la pratique des agents ».fl. go
Nos révolutions
de Jane Smiley,
traduit de l’anglais (EtatsUnis)
par Carine Chichereau,
Rivages, « poche », 600 p., 10,80 €.
Deuxième tome de la trilogie Un siècle amé
ricain, Nos révolutions s’étire de 1953 à 1986,
en autant de chapitres que d’années. Gravi
tant autour de la famille Langdon, Jane Smiley
raconte l’histoire personnelle de chaque per
sonnage avec, en toile de fond, celle de l’Amé
rique (prospérité, maccarthysme, élection de
Kennedy, guerre du Vietnam, scandale du
Watergate...), mais elle ne force jamais ce lien
- ce qui le rend d’autant plus fort. Une
formidable saga.raphaëlle leyris