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VENDREDI 21 FÉVRIER 2020 international| 5
Deux passagers du
« DiamondPrincess »
meurent au Japon
Tokyo est sous le feu des critiques pour
sa gestion de la crise à bord du paquebot
tokyo correspondance
L
e débarquement des pas
sagers du DiamondPrin
cess se poursuit sur fond
de vif débat sur la gestion de la
quarantaine imposée du 3 au
19 février aux 3 700 passagers et
membres d’équipage du navire
amarré au port de Yokohama,
au sud de Tokyo. Deux octogé
naires qui étaient à bord sont dé
cédés du SARSCoV2, a annoncé,
jeudi 20 février, le ministère de
la santé japonais.
Cinq cents passagers, dont la
moitié de Japonais, ont quitté le
navire ce même jour. La veille, à
l’issue de la période de quaran
taine, 442, essentiellement nip
pons, l’avaient déjà fait. Tous ont
passé un ultime examen de tem
pérature. Mais les autorités ont dé
couvert, également mercredi,
79 nouveaux cas de contamina
tion à bord, portant à 621 le nom
bre de malades du bateau et ren
forçant les interrogations
Le ministère de la santé tente de
défendre sa gestion de la quaran
taine. Il a expliqué qu’une tournée
était effectuée quotidiennement
sur le bateau par des médecins
spécialistes chargés de veiller au
respect des séparations entre la
zone saine et celle infectée et que
des formations ont été dispensées
pour l’équipage et les fonctionnai
res montés à bord.
Le ministère est confronté aux
critiques émises notamment par
les EtatsUnis, jugeant erroné le
maintien à bord des passagers et
qui, comme le Canada ou Taïwan,
ont choisi de rapatrier leurs res
sortissants, qui, de retour dans
leur pays, devront passer deux se
maines en quarantaine.
« Totalement inapproprié »
Les autorités japonaises répon
dent aussi à une vidéo mise en li
gne le 18 février par Kentaro
Iwata, spécialiste des maladies
contagieuses au centre hospita
lier universitaire de Kobe (ouest),
dans laquelle il explique avoir
passé, incognito, quelques heu
res à bord du DiamondPrincess.
« Ce navire est totalement inap
proprié pour le contrôle de la pro
pagation des infections. Il n’y a
pas de séparation entre les zones
vertes [saines] et rouges [celles
potentiellement infectées] » et
« le personnel peut circuler d’un
endroit à l’autre, manger, télépho
ner », déploretil.
Le médecin, qui a notamment
travaillé en Chine en 2003 lors de
l’épidémie du SRAS (syndrome
respiratoire aigu sévère), a fus
tigé l’absence de « professionnels
du contrôle des infections à l’inté
rieur du navire » et de « personnes
chargées de la prévention des con
taminations ». Le docteur Iwata
s’est imposé deux semaines de
quarantaine après son passage
sur le bateau.
Cette séquence, vue des centai
nes de milliers de fois, a par la
suite été supprimée par son
auteur car, atil expliqué par vi
déoconférence au Club des cor
respondants de la presse étran
gère à Tokyo (FCCJ), il a « été in
formé que des améliorations si
gnificatives avaient été faites » et
« parce que l’Institut japonais des
maladies infectieuses [NIID] a dif
fusé des données sur les contami
nations, ce que je réclamais ». Le
médecin soutient n’avoir subi
aucune pression.
Plateaux-repas contaminés
Les données rendues publiques
par le NIID montrent que la ma
jorité des infections à bord du
ferry ont eu lieu avant que les
autorités ne demandent, le 5 fé
vrier, aux passagers et membres
d’équipage de rester confinés
dans les cabines. « Par la suite, le
virus ne s’est sans doute pas
propagé par la toux ou des éter
nuements, mais par les plateaux
repas apportés par du person
nel contaminé », estime de son
côté Shigeru Sakurai, du CHU
d’Iwate (nordest).
Cela soulève la question de
l’équipage, principale victime des
contaminations après le 5 février,
car il devait assurer les services à
bord et était logé dans des cabi
nes collectives. Des membres in
diens de l’équipage ont d’ailleurs
lancé un appel au secours au gou
vernement de New Delhi et aux
Nations unies dans des vidéos
diffusées sur Facebook. Pour
l’heure, l’équipage reste à bord,
même si des discussions seraient
en cours pour laisser débarquer
certaines personnes.
Les Japonais sortis du navire,
eux, ne sont pas placés en qua
rantaine, mais les autorités, après
leur avoir dit de reprendre une
vie normale, ont fini par les appe
ler à s’abstenir de sorties non es
sentielles et à rester chez eux
pendant environ deux semaines.
« Le Covid19 n’est pas connu à
100 %, et beaucoup de gens ont été
infectés sur le DiamondPrincess.
Nous pensons donc que des pré
cautions supplémentaires contri
bueront à prévenir de futures in
fections », a déclaré le ministre de
la santé, Katsunobu Kato.
M. Kato avait auparavant été at
taqué au Parlement. Après ses af
firmations selon lesquelles tou
tes les personnes testées négati
ves au cours des deux semaines
de quarantaine pouvaient débar
quer, Kazunori Yamanoi, député
de l’opposition, a estimé qu’« il
n’est pas impossible que l’une
d’entre elles ait été contaminée
après le test. Dans ce cas, il y a un
risque de ne pas pouvoir conte
nir l’épidémie ».
« L’idéal aurait été que les person
nes sorties du bateau soient isolées
pour empêcher les contaminations
secondaires. Nous sommes encore
au moment de petits foyers de con
tamination, qu’il faut contenir »,
estime le docteur Iwata, qui, en de
hors du DiamondPrincess, trouve
que le Japon a plutôt bien répondu
à la crise. Outre les malades du ba
teau de croisière, le Japon avait
enregistré, le 19 février, 84 cas de
coronavirus, dont un décès.
philippe mesmer
« L’IDÉAL AURAIT ÉTÉ
QUE LES PERSONNES
SORTIES DU BATEAU
SOIENT ISOLÉES
POUR EMPÊCHER
LES CONTAMINATIONS
SECONDAIRES »
DOCTEUR IWATA,
spécialiste des maladies
contagieuses à Kobe
Après le Brexit, le RoyaumeUni
durcit sa politique migratoire
Boris Johnson veut créer un système à points à parti de 2021
londres correspondance
C’
était l’une des grandes
promesses du Brexit et
l’une des principales
raisons du vote des Britanniques
pour sortir de l’Union euro
péenne en juin 2016 : réduire l’im
migration, en particulier la vague
d’Européens qui se sont installés
depuis une quinzaine d’années
au RoyaumeUni. Mercredi 19 fé
vrier, le gouvernement britanni
que a dévoilé un nouveau dispo
sitif à l’objectif sans ambiguïté :
« Reprendre le contrôle de nos
frontières » et « réduire le niveau
d’immigration ».
En sortant de l’Union euro
péenne, le 31 janvier, le Royaume
Uni doit mettre fin à la libre circu
lation des citoyens européens,
qui représentent environ la moi
tié de l’immigration outreMan
che. Avec le nouveau système, qui
doit encore être débattu au Parle
ment et qui ne s’appliquera
qu’après la période de transition,
en principe dès le 1er janvier 2021,
« Européens et nonEuropéens se
ront traités à égalité ». Pour les
touristes issus de l’UE, cela ne
changera rien : visiter le Royau
meUni, pour un maximum de
six mois, pourra se faire sans visa.
Pour les travailleurs, en revan
che, un système à points se met
en place afin de n’accueillir que
« ceux qui ont les plus fortes
compétences et les meilleurs ta
lents ». Pour obtenir un permis
de travail, il faudra avoir une of
fre d’emploi avant d’entrer au
RoyaumeUni, les qualifications
nécessaires au dit emploi et par
ler anglais. Un salaire minimum
sera exigé, qui tournera en
moyenne autour de 25 600 livres
(30 610 euros) par an, mais
pourra fluctuer. Pour un travail
dans un secteur en pénurie d’em
ploi, dont la liste est établie par le
Migration Advisory Committee
(MAC), un comité semiindépen
dant, le salaire requis pourra
baisser à 20 480 livres. En revan
che, pour un travailleur expéri
menté, la rémunération devra
être plus élevée.
Il sera interdit d’arriver sur le
territoire britannique avec le sta
tut d’autoentrepreneur (sauf
pour quelques rares cas excep
tionnels). Cette mesure vise parti
culièrement le secteur de la cons
truction, où de nombreux tra
vailleurs, notamment polonais et
roumains, sont officiellement à
leur compte.
Profond impact
Selon les calculs du MAC, l’ensem
ble de ces mesures devrait avoir
un profond impact : depuis 2004,
70 % des immigrants européens
n’auraient pas obtenu de permis
de travail si ces nouvelles règles
avaient été en place. Les Euro
péens déjà installés au Royaume
Uni ne sont cependant pas tou
chés par ces mesures, conservant
leur droit de vivre et de travailler
dans le pays. Seuls les nouveaux
arrivants seront concernés. Le re
groupement familial, le droit
d’asile et les étudiants ne sont pas
touchés par le nouveau système.
Peutêtre pour éviter de donner
prise aux accusations de xéno
phobie, le premier ministre bri
tannique, Boris Johnson, n’est pas
monté au créneau sur le sujet. Il a
laissé la ministre de l’intérieur,
Priti Patel, faire les annonces. Le
nouveau système a par ailleurs
été présenté presque exclusive
ment sous un jour économique.
Le gouvernement estime que
les entreprises britanniques sont
devenues trop dépendantes de la
maind’œuvre immigrée peu
chère. « Les travailleurs à bas coût
ont dominé notre marché du tra
vail depuis trop longtemps », ex
plique Mme Patel. L’objectif est dé
sormais de créer « une économie à
hauts salaires, hautes qualifica
tions et forte productivité ».
Le RoyaumeUni a effective
ment connu une vague d’immi
gration sans précédent depuis
qu’il a été l’un des premiers pays à
ouvrir ses frontières en 2004 aux
pays d’Europe centrale et de l’Est
qui venaient de rejoindre l’UE. A
la différence de la France ou de
l’Allemagne, qui ont ouvert très
progressivement leurs portes. De
2004 à 2018, l’immigration nette
vers le RoyaumeUni (en sous
trayant l’émigration) a atteint
3,6 millions de personnes. « En
moyenne, un million d’immigrés
arrive tous les trois ans, explique
Iain Duncan Smith, un influent
député conservateur. Ça a mis
une énorme pression sur les servi
ces publics et une pression à la
baisse sur les salaires. »
Pénurie de main-d’œuvre
Le patronat réplique que le chô
mage est de 3,8 % et qu’il y a pénu
rie de maind’œuvre, particulière
ment dans certains secteurs :
construction, agriculture, aide
aux personnes âgées, restaura
tion, hôtellerie... Sally Gilson, de
l’Association du transport de mar
chandises et de la logistique (FTA),
souligne qu’il est déjà extrême
ment difficile de trouver des ca
mionneurs ou des manutention
naires : « Boris Johnson doit revoir
sa politique d’immigration immé
diatement. Le secteur fait face à
une pénurie : 64 % de nos entrepri
ses ont du mal à recruter. »
« Le problème n’est pas un man
que de personnel disponible, mais
que les entreprises ne les forment
pas », réplique M. Duncan Smith.
Il souhaite voir les sociétés inves
tir davantage dans les nouvelles
technologies, pour monter en
gamme et éviter de dépendre de
l’immigration.
Ce discours souligne un pro
blème réel du RoyaumeUni, qui a
l’une des productivités les plus
médiocres d’Occident : 10 % infé
rieure à celle de l’Italie, 23 % par
rapport aux EtatsUnis et à la
France, 26 % par rapport à l’Alle
magne... Si les travailleurs immi
grés européens sont effective
ment venus combler partielle
ment ce manque, les racines du
problème sont plus profondes. Le
RoyaumeUni a peu investi dans
la formation des apprentis, con
centrant ses efforts d’éducation
sur les universités d’élite.
Les entrepreneurs répondent
donc un peu désabusés à ces in
jonctions à investir. « Les entrepri
ses savent qu’embaucher à l’étran
ger et investir dans leur
maind’œuvre et dans les nouvel
les technologies n’est pas un choix
entre l’un et l’autre : on a besoin
des deux pour améliorer l’écono
mie », estime Carolyn Fairbairn,
directrice du CBI, le principal
groupe patronal britannique.
Derrière ce débat économique,
la question de l’intégration des
immigrés, ou du bienfondé ou
pas de l’immigration pour la so
ciété, est à peine effleurée. L’op
position travailliste se contente
d’ailleurs de reprendre les argu
ments du patronat, estimant que
les nouvelles règles risquent
d’être mauvaises pour l’écono
mie. Autant de nondits qui
avaient permis en son temps à Ni
gel Farage, le responsable du parti
du Brexit, de s’engouffrer dans la
brèche et de se faire le chantre de
l’antiimmigration.
éric albert
Selon le nouveau
système, 70 %
des Européens
arrivés
depuis 2004
outre-Manche
n’auraient
pas été admis
Pékin expulse trois reporters du « Wall Street Journal »
Le régime proteste contre une tribune jugée « raciste » publiée par le quotidien américain
pékin correspondant
L
e ministère des affaires
étrangères chinois a an
noncé, mercredi 19 février,
l’annulation de la carte de presse
de trois journalistes du Wall Street
Journal (WSJ). Deux Américains
- le numéro deux du bureau, Josh
Chin, et la reporter Chao Deng – et
un Australien, Philip Wen. Ils dis
posent de cinq jours pour quitter
le pays. Selon le porteparole du
ministère des affaires étrangères,
Geng Shuang, cette décision est
une riposte à une tribune jugée
« raciste » publiée le 3 février par le
quotidien américain.
Titrée « La Chine est le véritable
homme malade de l’Asie », cette
tribune a été rédigée par Walter
Russell Mead, un universitaire
américain, extérieur à la rédac
tion. Depuis sa publication, le
quotidien nationaliste chinois
Global Times multiplie les articles
contre ce texte et notamment
son titre. Pour les Chinois, cette
expression, connue pour décrire
la Chine sous la coupe du Japon et
des puissances occidentales à la
fin du XIXe siècle et au début du
XXe, renvoie au mépris des Occi
dentaux à leur égard. Le Global Ti
mes, tout comme le ministère des
affaires étrangères, exigeait que
le quotidien américain présente
ses excuses, ce qu’il n’a pas fait.
Le secrétaire d’Etat américain a
condamné ces expulsions. « Les
pays matures et responsables
comprennent qu’une presse libre
rapporte des faits et exprime des
opinions », a déclaré Mike Pom
peo. Le Wall Street Journal fait, lui,
remarquer que les trois journalis
tes expulsés ont tous écrit sur la
surveillance de masse et la déten
tion des Ouïgours au Xinjiang.
Dans sa lettre en ligne, China
Brief, la revue Foreign Policy note
que les trois journalistes expulsés
sont d’origine chinoise.
« Tentative d’intimider »
Fin août 2019, le gouvernement
chinois avait déjà expulsé un
journaliste singapourien du Wall
Street Journal, Chun Han Wong,
coauteur d’une enquête sur les
démêlés fiscaux d’un cousin du
président Xi Jinping en Australie.
Aucun journaliste du Wall Street
Journal n’avait, jusquelà, été ex
pulsé de Chine depuis que ce quo
tidien a ouvert un bureau à Pékin
en 1980. Le journal emploie dix
journalistes en Chine.
Le Club des correspondants de
la presse étrangère en Chine –
dont Le Monde fait partie – a qua
lifié ces expulsions de « tenta
tive extrême et évidente de la part
des autorités chinoises d’intimi
der les médias étrangers en pre
nant des sanctions contre leurs
correspondants basés en Chine ».
Depuis 2013, neuf journalistes
étrangers ont été expulsés direc
tement ou contraints de quitter
le pays car leur visa n’avait pas
été renouvelé.
Les attaques contre les médias
occidentaux dans la presse chi
noise sont de plus en plus fré
quentes. Lundi 17 février, le Global
Times titrait un long article :
« Chris Buckley, du New York
Times, dénature les efforts de la
Chine pour vaincre le coronavi
rus ». Chris Buckley est un vétéran
du New York Times en Chine. Il est
l’un des rares journalistes occi
dentaux actuellement à Wuhan,
dans le centre de la Chine, d’où est
partie l’épidémie. En novem
bre 2019, il avait cosigné un en
semble d’articles provenant
d’une fuite de documents secrets
chinois et révélant l’implication
directe de Xi Jinping dans la ré
pression des musulmans
ouïgours au Xinjiang.
L’annonce de l’expulsion des
trois journalistes – dont l’une se
trouve d’ailleurs actuellement
en quarantaine à Wuhan – sur
vient vingtquatre heures après
que le département d’Etat améri
cain eut annoncé qu’il considé
rait désormais cinq médias chi
nois non comme des organes de
presse mais comme des mis
sions étrangères.
L’agence de presse Chine nou
velle, Chine Radio internationale,
China Global Television, China
Daily et Le Quotidien du peuple,
cinq médias d’Etat chinois, doi
vent, comme les missions diplo
matiques, obtenir l’approbation
du département d’Etat pour
acheter des propriétés aux Etats
Unis. Ils devront aussi lui fournir
des listes de tous leurs salariés, y
compris américains.
« Bras armé de la propagande »
L’administration américaine a
justifié ce changement par le ren
forcement du contrôle des autori
tés chinoises sur ces médias. « Ces
gens sont en fait le bras armé de
l’appareil de propagande du Parti
communiste chinois », a résumé
un responsable du département
d’Etat. Mercredi, le porteparole
du ministère des affaires étrangè
res chinois a jugé les nouvelles rè
gles « injustifiées et inacceptables ».
La Chine impose pourtant des
contraintes comparables à tous
les médias étrangers pour ce qui
est de leur personnel chinois. Les
Chinois qui sont employés par
ces médias, par exemple, comme
ceux des ambassades, sont offi
ciellement salariés d’un orga
nisme public chinois qui leur
verse leur salaire après avoir reçu
celuici de l’employeur étranger.
Jeudi 20 février, le Global Times
estimait qu’il n’y avait « pas de lien
entre les deux événements, mais
que ce n’est pas tout à fait une coïn
cidence s’ils surviennent en même
temps. Ils montrent que le conflit
idéologique entre la Chine et les
EtatsUnis s’intensifie ».
frédéric lemaître