8 |france VENDREDI 21 FÉVRIER 2020
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Municipales : la droite concentrée sur ses bastions
Six ans après sa victoire éclatante aux municipales de 2014, difficile pour LR d’espérer encore s’étendre
A
vant d’envahir la Perse,
Alexandre le Grand
prend d’abord une
précaution essen
tielle : asseoir son pouvoir sur
toute la Grèce en soumettant les
citésEtats. Car, tout bon général
d’armée le sait, qui veut rempor
ter une guerre consolide d’abord
ses positions. Le parti Les Répu
blicains (LR) l’a bien compris, qui
envisage avant tout de conforter
ses bastions lors du scrutin mu
nicipal à venir, les 15 et 22 mars.
Solide sur ses bases, il pourrait
ensuite plus sereinement se
lancer à la conquête des régio
nales, et surtout de la présidence
de la République.
D’autant que la formation de
droite part de très haut. « 2014 était
un cru exceptionnel », rappelle Eric
Ciotti, député des AlpesMari
times et président de la commis
sion d’investiture du parti. Profi
tant de la défiance du pays visà
vis du pouvoir socialiste, le parti
Les Républicains rafle, cette an
néelà, un nombre record de villes,
faisant déferler une véritable va
gue bleue sur l’Hexagone. Non
contente d’avoir conservé ses
fiefs, la formation, qui se faisait
encore appeler UMP à l’époque,
arrache lors de ce scrutin pas
moins d’une centaine de commu
nes à la gauche. Parmi elles, Saint
Etienne, Toulouse ou Caen. Sur
273 villes de plus de 30 000 habi
tants, 175 sont aujourd’hui diri
gées par la droite et le centre.
Dans ce contexte, difficile
pour le parti d’espérer vraiment
s’étendre. Certains évoquent bien
sûr des villes gagnables comme
Metz et Biarritz, où les études
montrent des dynamiques posi
tives pour leurs candidats. D’au
tres rêvent même de Paris, où Ra
chida Dati s’en sort bien mieux
que prévu. Un sondage Odoxa
pour CGI et Le Figaro paru mer
credi 19 février, plaçant l’an
cienne garde des sceaux pour la
première fois en tête devant Anne
Hidalgo, a égayé le déjeuner de
bien des responsables.
Prime au sortant
Il n’empêche, tous en ont cons
cience, le parti ne fera pas bien
mieux qu’en 2014. D’autant que le
vote par arrondissement en
vigueur dans la capitale oblige à
des alliances qui rendent l’issue
tout sauf certaine.
« On ne peut pas demander à
un champion d’aller plus loin
alors qu’il a déjà explosé tous ses
records », s’amuse PierreHenri
Dumont, député du PasdeCalais,
qui reconnaît qu’un « tenant du
titre est toujours forcément en
défense ». Prime au sortant oblige
et, sauf surprise – la vie politique
française a prouvé qu’elle n’en
était pas exempte –, la maison de
Vaugirard devrait donc être la
grande gagnante de ce scrutin.
Une situation aujourd’hui favo
rable, mais encore inespérée il y a
à peine quelques mois. En
mai 2019, les résultats des élec
tions au Parlement européen
viennent juste de tomber. Sidé
rés, les cadres de LR découvrent le
score le plus bas jamais obtenu
par leur parti : 8,4 %. Une catastro
phe potentiellement prélude à
une tragédie. Inquiets à l’idée de
perdre leur ville, nombre de
maires font des œillades à La
République en marche (LRM).
« C’était la panique, ils étaient tous
obsédés par les scores de Macron
dans leur ville », se rappelle un
député. Conscients de l’hémorra
gie qui menace, Eric Ciotti et la
direction du parti décident de
réunir la commission d’investi
ture dès le mois de juillet. Mais les
maires ne se pressent pas au
portillon. Et la commission a un
mal fou à réunir ne seraitce
qu’une dizaine de volontaires.
Huit mois plus tard, bien des
choses ont changé. A commencer
par la position de La République
en marche, laquelle a perdu de sa
superbe et ne fait guère plus rêver
les édiles locaux. Colère des « gi
lets jaunes », réforme des retrai
tes perçue comme indigeste et
incompréhensible par nombre
de Français, couac sur le vote
en faveur d’un allongement
du congé pour les parents en
deuil... Les derniers mois ont été
riches en polémiques pour le
parti présidentiel.
Retour du clivage gauche-droite
Sans compter, rappelle un élu,
« que Macron n’a pas très bien
joué sa partie. Ils ont été arro
gants et ont maltraité certains
qui pourtant auraient pu être con
sidérés comme proche d’eux ».
Exemple parmi d’autres, l’inves
titure de l’avocat Gérard Chemla
à Reims face au maire LR sortant
Arnaud Robinet, longtemps
considéré comme Macroncom
patible. « Finalement, ce n’est
pas qu’on a vraiment bénéficié de
l’attrait de LR, c’est surtout que
plus personne ne fait confiance à
la Macronie pour l’emporter »,
philosophe un cadre.
Aurélien Pradié n’est pas de cet
avis. Pour le jeune et remuant nu
méro trois du parti, la photogra
phie du pays à un mois du scrutin
montre surtout le retour du cli
vage gauchedroite. « Probable
ment que les Français étaient arri
vés à saturation des batailles cla
niques, analysetil. Ils ont porté
Emmanuel Macron comme on fait
une diète alimentaire, des gélules
sans saveur, après des années d’in
digestion, mais aujourd’hui l’ap
pétit politique revient et les élec
teurs aspirent au retour des gran
des idées, des clivages clairs. »
Reste que, pour se maintenir
dans ses bastions, la formation de
droite a dû accepter des membres
du parti présidentiel sur ses listes.
Au risque, craignent certains,
« d’entretenir la confusion ». « On a
un Moudenc à Toulouse, soutenu
par les “marcheurs”, on n’a per
sonne face [au ministre de l’ac
tion et des comptes publics Gé
rald] Darmanin à Tourcoing et [au
premier ministre Edouard] Phi
lippe au Havre, des LRM partout
sur les listes, on aurait dû tenter
d’être plus clairs », regrette un élu.
Onze candidats investis sont en
effet soutenus par le pouvoir. « Le
ressort des municipales est avant
tout local. Depuis toujours, la com
position des listes s’est faite avec le
souci de la diversité et du rassem
blement », nuance pour sa part
Bruno Retailleau, sénateur de
Vendée et président du groupe LR
au Palais du Luxembourg. Pour
lui, plus que les autres, cette élec
tion impose de tenir compte des
bonnes volontés du territoire.
« Pactiser avec LRM »
Sans compter que, si les listes sont
validées par le parti, les sou
tiens, eux, demeurent hors de
son contrôle. « On n’y peut rien si
LRM, sans aucune attache locale,
s’accroche à nous comme une
moule à son rocher », fait remar
quer PierreHenri Dumont.
Il ne faut, cependant, pas se leur
rer, avertit un cadre, « si on a des
listes avec des LRM dedans, c’est
qu’on n’a pas forcément les
ressources... on a les têtes de pont
mais difficile d’avoir du monde
derrière ». Comment, dans ce
contexte, refuser les alliances lo
cales avec des personnalités dans
bien des cas autrefois membres
du parti? « Il faut juste faire atten
tion à atteindre le bon équilibre
sans avoir l’air d’avoir trop pactisé
avec LRM », poursuit cette source.
Car, si la conquête de nouvelles
villes est optionnelle pour LR,
celle du pays est fondamentale
à sa survie. Une absence au se
cond tour de l’élection présiden
tielle signerait tout bonnement
la fin du parti, qui ne peut se
payer le luxe d’avoir l’air de « pac
tiser avec LRM ».
A défaut de clarté totale, la for
mation de droite pourra au
moins, le soir du 22 mars, se tar
guer d’avoir remporté sa pre
mière élection depuis mainte
nant trois ans. Une base arrière
suffisamment solide pour se re
lancer? Philippe de Macédoine
avait lui aussi soumis les cités
grecques, mais c’est son fils
Alexandre qui en a profité.
sarah belouezzane
A Béziers, LR soutient un candidat qui a quitté le parti
La commission nationale d’investiture du parti Les Républicains a choisi Antoine About, qu’elle avait refusé il y a quelques mois
Q
ue celui qui n’a jamais
quitté Les Républicains
(LR) lui jette la première
pierre. A Béziers (Hé
rault), Antoine About a fini par
récupérer le soutien du parti,
quelques mois après l’avoir
quitté. « Je suis un ancien militant
LR, j’ai rendu ma carte et démis
sionné de mes fonctions de
conseiller national il y a environ
cinq mois », précisait le candidat
au lendemain de l’annonce de la
commission d’investiture, le 5 fé
vrier. La cause de son départ,
selon lui : le manque de réaction
de l’étatmajor LR face à une
droite biterroise un peu trop atti
rée par Robert Ménard. Sans
compter l’investiture, qu’il avait
bien demandée... mais que le
parti avait préféré donner à Lewis
Marchand, lequel n’était alors
même pas candidat.
Face aux divisions de la droite
locale, tiraillée entre la tentation
Ménard et celle de La République
en marche (LRM), Lewis Mar
chand avait finalement annoncé
qu’il se retirait de la course le
26 janvier. « Béziers est une terre
brûlée à droite », résumaitil alors.
La ville gagnée en 2014 par Robert
Ménard avec les voix du Front
national (aujourd’hui Rassem
blement national) est surtout
l’échantillon local d’une droite
prise en étau entre Macron et
Le Pen au niveau national.
L’ancien délégué LR de la
circonscription de Béziers, Henri
Gas, prône ainsi le rapproche
ment avec Robert Ménard alors
que l’exconseiller national LR
Gilbert Oulès a appelé à rejoin
dre le candidat soutenu par LRM
- et luimême ancien élu UMP –
Pascal Resplandy. Des procé
dures d’exclusion ont été enga
gées par le siège contre les deux
anciens chefs de file de LR dans le
Biterrois.
« C’est une erreur »
Accusé de faire le jeu de l’extrême
droite en n’affichant aucun
candidat à Béziers, Christian
Jacob a fini par annoncer mer
credi 5 février que la commission
nationale d’investiture apportait
son soutien à celui qu’elle avait
refusé il y a quelques mois : An
toine About. « Je vous accorde que
la situation n’est pas facile »,
convenait le président du parti LR
auprès de Midi libre, ajoutant que
« les seules citadelles qui ne tom
bent pas, c’est celles auxquelles on
ne s’attaque pas ».
Lewis Marchand a bien du mal
à cacher son agacement : « On
n’était pas prêts, c’est une erreur. »
D’autant qu’alors, à quoi sertil
d’être fidèle s’il est possible d’al
ler voir ailleurs tout en conser
vant la confiance du parti? « Je
pense que Christian Jacob a envie
de montrer qu’il arrive à gérer
une situation compliquée mais il
aurait dû écouter la base mili
tante. Làhaut, ils veulent mettre
le logo LR sur les affiches, mais ça
va être compliqué pour nous de
ramener tout le monde à la
maison après tout ça », souligne
l’ancien candidat.
En « bon soldat », Lewis Mar
chand tractera tout de même,
mais n’ira pas jusqu’à remplir la
liste de son ancien concurrent,
qui en profite pour jouer sur les
deux tableaux. « Je n’ai pas repris
ma carte, donc je suis un candidat
sans étiquette... mais je me félicite
qu’un parti républicain me sou
tienne! », ose ainsi Antoine About.
Le secrétaire départemental de
LR dans l’Hérault, Arnaud Julien,
joue le pragmatisme et rappelle
que le récent sondage de Midi
libre donne Robert Ménard réélu
au premier tour à plus de 60 %,
alors qu’Antoine About traîne à
4 %, trois points derrière Pascal
Resplandy... « Avec le soutien de
LR, il peut finir devant LRM, es
père Arnaud Julien. Et on sera
quasi sûrs d’avoir des élus LR au
conseil municipal au soir du
15 mars... ou du 22! » A Béziers,
l’objectif de LR n’est plus de
remporter la municipalité, mais
de ne pas en disparaître entière
ment. Quitte à offrir son sceau à
des dissidents.
lucie soullier
« Je suis
un candidat
sans étiquette...
mais je me
félicite qu’un
parti républicain
me soutienne! »
ANTOINE ABOUT
candidat à la mairie
de Béziers
Arnaud Robinet (debout), maire LR de Reims et candidat à sa réélection, à Reims, le 11 février. GWENN DUBOURTHOUMIEU POUR « LE MONDE »
Sur 273 villes
de plus de
30 000
habitants, 175
sont aujourd’hui
dirigées
par la droite
et le centre
« On n’y peut rien
si LRM, sans
aucune attache
locale, s’accroche
à nous comme
une moule
à son rocher »
PIERRE-HENRI DUMONT
député LR du Pas-de-Calais
A Marseille, LR en ordre dispersé
Ils ont tous les yeux rivés sur Marseille. La cité phocéenne offre
certes l’un des plus beaux panoramas de France, mais ce n’est
pas pour ses splendeurs méditerranéennes qu’elle concentre
toutes les attentions des cadres du parti Les Républicains. C’est
que, considérée il y a peu comme imperdable, la mairie de Mar-
seille commence à en inquiéter beaucoup. Le parti, qui y a in-
vesti la présidente de la Métropole Aix-Marseille, Martine Vassal,
pour succéder à Jean-Claude Gaudin, maire sortant et figure his-
torique de la politique locale, fait face à la dissidence du séna-
teur des Bouches-du-Rhône Bruno Gilles, un proche de Renaud
Muselier, le président de la région Sud. Si ce dernier a récem-
ment affirmé soutenir Martine Vassal, certains l’accusent de
continuer à alimenter les dissensions en coulisses. Interrogée
par l’antenne de l’Agence France-Presse à Marseille, Mme Vassal
a fait part de ses craintes quant à une dispersion des voix :
« Il faut voter utile dès le premier tour », a-t-elle insisté.