Le Monde - 21.02.2020

(Grace) #1
0123
VENDREDI 21 FÉVRIER 2020 france| 9

Conférence


de financement :


l’ultimatum


de la CGT


Le syndicat pourrait finalement


choisir la stratégie de la chaise vide


P

artira? Partira pas?
Alors qu’elle affiche, de­
puis le début du quin­
quennat, une hostilité
sans faille à la réforme des retrai­
tes, la CGT a, soudainement, eu
un petit temps d’hésitation quant
à la conduite à tenir. Mercredi
19 février, elle a d’abord annoncé
son retrait de la conférence « sur
l’équilibre et le financement » des
régimes de pension, dont l’objec­
tif est de trouver des solutions
pour combler le déficit du
système en 2027. Puis elle s’est
ravisée en indiquant, quelques
heures après, par voie de commu­
niqué, que la question de sa parti­
cipation à un tel exercice sera po­
sée « la semaine prochaine à ses
instances dirigeantes », si le gou­
vernement ne donne pas suite à
ses propositions.
Un couac dans la communica­
tion, qui remet en évidence les
divisions au sein de la confédéra­
tion dirigée par Philippe Marti­
nez. Surtout, cette péripétie
confirme que la mission attri­
buée aux partenaires sociaux, par
le biais de la conférence, risque
d’avoir beaucoup de mal à abou­
tir à une forme de consensus.
C’est Catherine Perret, la nu­
méro deux de la CGT, qui a allumé
la mèche. Interrogée, mercredi,
par Radio Classique, elle a dit : « Le
compromis n’est pas possible et on
n’a plus rien à faire à cette confé­
rence des financements. » « Stop,
a­t­elle renchéri. On n’a plus de
temps à perdre. » Avant d’ajouter
qu’« on n’ira pas » à la prochaine
réunion, programmée en mars.
Sur le fond, de telles déclara­
tions ne sont pas réellement sur­
prenantes. Mise en place par
l’exécutif à la suite d’une sugges­
tion de la CFDT, la conférence en

question, qui associe des organi­
sations d’employeurs et de sala­
riés, doit suivre une feuille de
route assez stricte. Il s’agit, en l’oc­
currence, d’identifier des mesu­
res susceptibles de ramener dans
le vert les comptes des caisses de
retraites, prises dans leur globa­
lité, sans diminuer les pensions ni
majorer le coût du travail.
Fixé par Matignon, ce cadrage
est jugé inacceptable par la CGT,
notamment parce qu’il a pour ef­
fet d’écarter d’emblée des idées
qui lui sont chères : alignement
des salaires des femmes sur ceux
des hommes, augmentations gé­
nérales des rémunérations... En
outre, elle conteste l’existence
même d’un déficit, considérant
qu’il a été « construit de toutes piè­
ces » par le gouvernement.

« Préférable d’être “dedans” »
Mais en dépit de ces critiques,
l’organisation de M. Martinez
avait assisté aux deux premières
rencontres – celle du 30 janvier,
au cours de laquelle le pre­
mier ministre, Edouard Philippe,
avait installé la conférence, et
celle de mardi, durant laquelle les
protagonistes ont bûché sur la
situation financière des régimes.
D’après l’une des personnali­
tés présentes lors de la deuxième
séance de travail, les membres
de la délégation de la CGT
n’avaient pas laissé entendre
que leur centrale était sur le point
de claquer la porte.
Si la sortie de Mme Perret sur Ra­
dio Classique a suscité de l’éton­
nement, c’est donc en raison du
moment choisi. « Elle s’est mal ex­
primée, sa langue a fourché », rela­
tivise un responsable national de
la confédération de Montreuil
(Seine­Saint­Denis). « En tant que

militant, je suis atterré, se désole
un cégétiste, en désaccord avec
la ligne de la direction. Il n’y avait
pas d’indication selon laquelle
on allait tout envoyer promener
dès à présent. »
Secrétaire confédérale, Céline
Verzeletti assure, en substance,
que l’intervention de la numéro
deux de la CGT est en phase avec la
stratégie arrêtée jusqu’à mainte­
nant : « Nous avons dit dès le dé­
part que nous n’irons à la confé­
rence que si nous pouvons sortir du
cadre posé par le premier ministre.
Il est hors de question que nous dis­
cutions de mesures de régression,
consistant à allonger la durée pas­
sée en activité. » Mercredi, « une
sorte d’ultimatum » a été lancé au
gouvernement. « S’il ne change
pas de position, nous ne participe­
rons pas à la prochaine rencon­
tre », prévient Mme Verzeletti.
« La CGT entend signifier qu’elle
est contre le processus de réflexion
impulsé par cette conférence sur le
financement, décrypte Raymond
Soubie, président de la société de
conseil Alixio et ex­conseiller de
Nicolas Sarkozy à l’Elysée. Mais en
son sein, deux approches s’affron­
tent : d’un côté, il y a ceux qui con­
sidèrent qu’il ne faut pas se com­

promettre dans un cycle d’échan­
ges dont il n’y a rien à attendre ; de
l’autre, il y a ceux qui jugent préfé­
rable d’être “dedans” plutôt que
pratiquer la politique de la chaise
vide. » Aux yeux de M. Soubie, ce
clivage renvoie à la présence, dans
la CGT, « d’une tendance dure, qui
bouscule l’équipe de direction, et
qui coexiste avec d’autres sensibili­
tés, plus réformistes ».
Les autres syndicats, hostiles à
la réforme des retraites et impli­
qués dans la conférence, ont l’in­
tention, à ce stade, de s’y mainte­
nir, même s’ils sont plus que du­
bitatifs sur l’exercice. « C’est un
objet politique dans l’arsenal que
le gouvernement a déployé pour
faire passer son projet, malgré l’op­

position de plusieurs organisa­
tions de salariés et d’une majorité
de l’opinion », estime François
Hommeril, le président de la CFE­
CGC. Pour l’heure, il se place dans
une « démarche contributive »
mais n’exclut pas de quitter la ta­
ble des discussions si sa centrale
est « utilisée comme un instru­
ment » par le pouvoir en place.

« La barque prend l’eau »
Au sein de Force ouvrière, nom­
breux sont les militants à s’inter­
roger sur la participation de leur
confédération à la conférence.
Pour le moment, il n’est pas ques­
tion de partir mais Yves Veyrier, le
numéro un du syndicat, ne se fait
guère d’illusion sur l’issue des tra­
vaux : « La barque prend l’eau de
toutes parts », résume­t­il.
Un compromis lui paraît très
improbable, surtout après les ré­
centes prises de position de Geof­
froy Roux de Bézieux dans Les
Echos : le président du Medef a af­
firmé qu’« au moins 90 % de l’ef­
fort [pour assainir les finances du
système] doit porter sur l’âge »,
c’est­à­dire sur une prolongation
du temps passé en emploi.
Difficile, dans ce contexte, de
concevoir une convergence de

vue entre les deux camps. Les
organisations de salariés dites
« réformistes », qui sont favora­
bles au principe de la réforme
(ou, à tout le moins, bienveillan­
tes à son égard), y croient encore,
elles. « On continuera à assumer
nos responsabilités, en lien avec
toutes les parties prenantes »,
glisse Laurent Escure, le secré­
taire général de l’UNSA. « Il est
important que cette conférence
aboutisse, complète Cyril Chaba­
nier, le président de la CFTC. Si­
non, ça donnera des arguments à
ceux qui pensent que l’on n’arrive
à des résultats qu’avec la violence.
Il y a un gros enjeu autour du
dialogue social. »
Le gouvernement, lui aussi, « n’a
pas intérêt à ce qu’il y ait un
échec », d’après M. Soubie. Si les
acteurs de la conférence sont
incapables de se mettre d’accord,
enchaîne­t­il, une autre option
peut être envisagée, afin de prou­
ver que la réflexion n’a pas été
vaine. Elle pourrait prendre la
forme d’un « relevé de préconisa­
tions, reprenant des propositions
des uns et des autres ». Libre en­
suite à l’exécutif de s’en appro­
prier quelques­unes.
bertrand bissuel

Faure accuse Castaner d’avoir commis « une faute grave »


Mercredi, le ministre de l’intérieur a mis en cause le patron des socialistes en l’attaquant sur sa vie privée


O


liver Faure a décidé de
convoquer une confé­
rence de presse pour réa­
gir à la saillie de Christophe Cas­
taner sur France Inter mercredi
19 février. « L’affaire est trop
grave », fait­on remarquer au cabi­
net du premier secrétaire du Parti
socialiste (PS). Le député de Seine­
et­Marne estime qu’une attaque
sur la vie privée d’un opposant
mérite une riposte et veut ainsi
rappeler solennellement quel­
ques principes du débat public.
Lors de la matinale de France In­
ter, le ministre de l’intérieur avait
mis en cause le patron des socia­
listes en revenant sur l’affaire de
la vidéo à caractère sexuel de Ben­
jamin Griveaux : « Les politiques
doivent rester des femmes et des
hommes, sinon ils se coupent de la
réalité. (...) J’ai été surpris d’enten­
dre Olivier Faure à votre micro. Je
le connais bien à titre personnel
depuis longtemps, je l’ai accompa­
gné dans ses divorces et ses sépa­
rations. J’ai été étonné de ses le­
çons de morale », a­t­il lancé.
Sur cette même matinale, lundi,
M. Faure, avait déclaré à propos de
la vidéo de l’ancien candidat à la
mairie de Paris : « Quand vous êtes
un homme ou une femme publi­

que, un décideur public, un minis­
tre, vous devez prendre toutes les
précautions d’usage pour ne ja­
mais être à la portée des maîtres
chanteurs. » Le propos a visi­
blement déplu au ministre de l’in­
térieur qui a décidé de riposter
en évoquant lui­même la vie pri­
vée de M. Faure.

« Ligne rouge franchie »
« Ce matin, une ligne rouge a été
franchie. Le fait pour un ministre
de l’intérieur de chercher à intimi­
der l’un des dirigeants de l’opposi­
tion en ayant recours à des insi­
nuations relevant de sa vie privée
est une atteinte au fondement de
la démocratie », a réagi M. Faure
lors d’une conférence de presse
organisée mercredi après­midi, à
l’Assemblée. Pour le patron du PS,
M. Castaner « a commis une faute
grave ». Il estime que son attaque
radiophonique « n’est pas une af­
faire personnelle, c’est une ques­
tion de principes » et en appelle
au président de la République
« garant de nos institutions,
[pour] convoquer le ministre de
l’intérieur dans les meilleurs délais
et en tirer les conséquences ».
« Délation », « bassesse »... De
nombreuses personnalités de

tous bords politiques ont égale­
ment critiqué les propos de Chris­
tophe Castaner, mercredi. « Ama­
teur en tant que ministre? Mais
professionnel de l’attaque mina­
ble. Ces propos déshonorent leur
auteur et le mettent au niveau de
ceux qu’il prétend combattre
dans cette pathétique affaire », a
cinglé le patron des sénateurs so­
cialistes, Patrick Kanner.
« Ministre de l’intérieur de la
cour de récréation. Franchement,
on savait que ça ne volait pas
très haut, mais là on atteint un
niveau... », a tweeté Raphaël
Glucksmann, député européen
élu sur la liste d’union Place pu­
blique­PS. « On savait que c’était
un mauvais ministre, c’est aussi
un mauvais pote! Et puis sur la
morale d’un autre siècle », a en­
chaîné Elsa Faucillon, députée du
Parti communiste français (PCF)
des Hauts­de­Seine.
« De quel droit le ministre de l’in­
térieur dévoile­t­il la vie privée
d’Olivier Faure? LRM [La Républi­
que en marche] peut réclamer
l’anonymat sur les réseaux so­
ciaux, son ministre est une vraie
balance! », a affirmé de son côté
Fabien Roussel, secrétaire natio­
nal du PCF.

A droite également, la saillie a
choqué : « Olivier Faure a rappelé
une évidence : Benjamin Griveaux
a manqué de prudence et a
commis une faute. En attaquant
Olivier Faure sur sa vie privée,
Christophe Castaner fait la preuve
de la bassesse dont est capable
ce pouvoir qui dégrade chaque
jour davantage le climat politi­
que », a réagi Bruno Retailleau,
président du groupe Les Républi­
cains (LR) au Sénat.
La phrase du ministre de l’inté­
rieur a fait grincer des dents jus­
qu’au sein du gouvernement. « Ce
n’est pas bien de dire les choses
comme cela, encore moins lorsque
vous êtes ministre de l’intérieur »,
estime un ministre qui considère
qu’« on ne peut pas dénoncer l’utili­
sation d’informations privées con­
tre Benjamin Griveaux et faire la
même chose contre Olivier Faure ».

Rancœur
Face à cette avalanche de criti­
ques, M. Castaner a réagi lui­
même dans la journée sur Twitter
dans un message adressé à Oli­
vier Faure : « Cher @faureolivier, il
n’y avait ni menace ni attaque per­
sonnelle dans mon propos. Nous
nous connaissons depuis assez

longtemps pour savoir l’un et
l’autre que la vie n’est pas linéaire.
Et nous y avons quelquefois fait
face ensemble. »
M. Castaner et M. Faure se
connaissent bien. Avec Benoît
Hamon, ils ont tous deux fait
leurs classes chez les jeunes rocar­
diens et sont restés longtemps
proches au sein du PS – membres
des mêmes courants et parta­
geant la même approche sociale­
démocrate. Jusqu’à ce que le
maire de Forcalquier (Alpes­de­
Haute­Provence) rompe avec le
PS et rejoigne le mouvement En
marche! d’Emmanuel Macron
avant la présidentielle de 2017.
Depuis, la rancœur s’est instal­
lée. Christophe Castaner avait été
dans le viseur de M. Faure après
son escapade filmée en discothè­
que au soir d’une mobilisation
des « gilets jaunes », en mars 2019.
« Quand on est ministre de l’inté­
rieur, on est 24 heures sur 24 au
service de la République. Imaginez
qu’à l’heure où il était en boîte de
nuit, il y ait eu un attentat. Imagi­
nez qu’on l’ait retrouvé à moitié
saoul. Il y a quand même une di­
gnité à assumer jour et nuit »,
avait­il déclaré.
sylvia zappi

La CGT conteste
l’existence même
d’un déficit,
considérant qu’il
a été « construit
de toutes
pièces » par
le gouvernement

Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, au centre d’incinération des déchets de Saint­Ouen (Seine­Saint­Denis),
bloqué pour protester contre la réforme des retraites, le 6 février. LIONEL BONAVENTURE/AFP

J U S T I C E
Le parquet ouvre une
information judiciaire
dans l’affaire Ghosn
La justice française a annoncé
mercredi 19 février l’ouverture
d’une information
judiciaire visant, entre autres,
Carlos Ghosn. En cause,
l’organisation de deux soirées
au château de Versailles.
L’ancien patron de Renault­
Nissan, actuellement au
Liban après sa rocambolesque
fuite du Japon où il devait être
jugé pour des malversations
financières, est notamment
soupçonné d’avoir utilisé les
ressources du groupe auto­
mobile à des fins privées.
M. Ghosn avait expliqué avoir
pensé que les lieux lui avaient
été gracieusement prêtés à ti­
tre personnel par le château
de Versailles. – (Reuters.)

P E R M I S D E C O N D U I R E
Un nouveau contrat
pour simplifier l’obtention
Le ministre des finances,
Bruno Le Maire, a signé mer­
credi 19 février le décret per­
mettant l’application à partir
du 1er juin d’un nouveau con­
trat type pour le permis de
conduire. Le but : accélérer
son obtention et diminuer
son coût. « Avec des compara­
teurs en ligne, l’objectif est que
nous parvenions à une baisse
de 30 % du prix », a expliqué
le locataire de Bercy. – (AFP.)
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