10 |coronavirus MARDI 17 MARS 2020
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Pagaille au Maroc pour
le retour de quelque
12 000 Français
Une cellule de crise mise en place au Quai
d’Orsay organise des vols de rapatriement
casablanca correspondance
J
amais l’aéroport de Marra
kech n’aura connu autant de
touristes furieux. Samedi
14 mars, plusieurs centaines
de voyageurs français ont scandé,
en boucle, « Macron, un avion », se
mant la pagaille dans l’aéroport.
Depuis l’annonce par le Maroc, la
veille, de l’interruption jusqu’à
nouvel ordre de ses liaisons avec la
France due au coronavirus, des
milliers de ressortissants français,
20 000 selon le ministère des affai
res étrangères, se trouvent blo
qués dans plusieurs villes maro
caines. « On est pris au piège! »,
« Macron, rapatrienous », « La
France nous abandonne », hur
laientils dans le terminal interna
tional de Marrakech.
L’aprèsmidi, alors que la quasi
totalité des vols ont été annulés, le
ministre français des affaires
étrangères, JeanYves Le Drian, a
assuré sur Twitter que « les autori
sations nécessaires pour l’organisa
tion des vols retour seront don
nées », après s’être entretenu avec
son homologue marocain, Nasser
Bourita. « De nouveaux vols sont en
cours d’organisation pour vous
permettre de regagner la France. Je
demande aux autorités marocai
nes de veiller à ce que tout le néces
saire soit fait au plus vite », a tweeté
le président, Emmanuel Macron.
Juste avant, le standard du Quai
d’Orsay avait explosé devant les
milliers d’appels concernant le
Maroc et une cellule de crise avait
été mise en place. De source diplo
matique, JeanYves Le Drian a ef
fectivement discuté, dès vendredi
soir, avec M. Bourita pour que
soient autorisés des vols de rapa
triement partant à vide de France.
Ils se sont entretenus à plusieurs
reprises depuis, et samedi matin,
des premiers vols ont pu partir.
« Les gens ont peur »
Dimanche matin, le nombre de
Français à rapatrier était encore es
timé à 12 000, selon le ministère
des affaires étrangères. Une qua
rantaine de vols doivent donc en
core partir aujourd’hui de diffé
rentes villes marocaines (Casa
blanca, Tanger, Marrakech, Agadir)
et ces navettes devraient se pour
suivre encore lundi aprèsmidi.
A Casablanca, où le vent de pani
que avait également gagné l’aéro
port MohammedV, les agences de
Royal Air Maroc et d’Air France ont
été prises d’assaut. « Depuis le
Tweet de Macron, tout le monde es
saie d’acheter un billet. Il paraît
qu’ils vont autoriser un vol à 2 heu
res du matin avec Air France, ra
conte Mathieu, un touriste mar
seillais de 38 ans. Je ne quitterai pas
l’aéroport d’ici là! Cela fait vingt
quatre heures que j’essaye de pren
dre un billet en ligne. Les prix attei
gnent jusqu’à 4 000 euros. Et les
compagnies proposent des vols et
les annulent juste après. »
Anna, 36 ans, enceinte de cinq
mois, est arrivée de Marrakech en
taxi pour tenter sa chance au
comptoir d’une compagnie. « Il y a
des vols depuis Casablanca vers la
Suisse et la Belgique. J’ai réussi à
avoir une place pour aller à Bruxel
les. » Certains réservent des vols
vers Istanbul ou Francfort. « Nous
n’avons pas le choix, insiste Anna.
J’ai une fille de 8 ans en France et,
avec les écoles fermées, qui va s’oc
cuper d’elle? Sans parler du fait que
si la situation dure, qu’estce qu’ils
vont faire de nous? On est complè
tement pris en otage. »
Avec d’autres voyageurs coincés
à Marrakech, ils ont créé un
groupe WhatsApp nommé « Les
rescapés français ». « Vous savez,
les gens ont peur. C’est déjà assez
difficile comme ça, toute la psy
chose. Ce qu’on veut, c’est être chez
nous, avec nos proches. »
Samedi soir, si quelques vols
avaient été autorisés à décoller
vers la France, la confusion de
meurait malgré tout sur la possibi
lité de partir. L’ambassadrice de
France au Maroc, Hélène Le Gal, a
publié un message vidéo sur Face
book pour tenter de rassurer ses
compatriotes. « Ce que nous vous
indiquons, c’est ce qui reste comme
possibilité pour regagner la France.
Soit des vols qui seraient repro
grammés sur certains aéroports,
soit des vols vers des pays euro
péens. Il y a encore des possibilités
de vols ou bien des passages terres
tres, par exemple vers Ceuta, puis
un ferry pour l’Espagne. »
Le Maroc a pris tout le monde
par surprise en annonçant l’inter
ruption des liaisons avec au total
21 pays, la plupart en Europe. Une
mesure qui s’est renforcée diman
che à une « suspension jusqu’à
nouvel ordre de tous les vols inter
nationaux passagers ». Il en est
donc fini aussi des liaisons avec
les pays africains comme le Niger,
le Tchad, la Mauritanie...
Jusqu’à présent, le royaume a
enregistré au moins 28 cas, dont le
ministre de l’équipement, Abdelk
ader Amara, et compte déjà un dé
cès. « La situation est moins grave
ici, certes. Mais la France doit nous
rapatrier. Nous sommes choqués
qu’ils nous lâchent comme ça et
que ce soit à nous de payer pour
rentrer », s’indigne Pierre, un en
trepreneur français venu en
voyage d’affaires à Casablanca.
« Et nous? », se sont interrogés
sur les réseaux sociaux des Maro
cains bloqués, quant à eux, en
France. « Personne n’a parlé de dé
bloquer des vols dans l’autre sens »,
déplore Yasmine, étudiante maro
caine à LevalloisPerret (Hautsde
Seine). Le Tweet d’Emmanuel Ma
cron, samedi, qui « demande aux
autorités marocaines de veiller à ce
que tout le nécessaire soit fait au
plus vite », a suscité la colère des in
ternautes du royaume.
« C’est une façon bien peu diplo
matique de formuler votre de
mande! », s’est indigné l’un d’eux.
« Le nécessaire sera évidemment
fait aussi pour les ressortissants
marocains », tempère une source
au ministère des affaires étrangè
res à Rabat, sans qu’aucune an
nonce officielle n’ait été faite
dans ce sens.
La décision d’interrompre les
liaisons avec une vingtaine de
pays intervient au moment où la
panique gagne du terrain dans le
royaume, sujet à la propagation
de fake news. « Nous sommes à la
première phase de l’épidémie, qui
reste extrêmement limitée, ras
sure le professeur Kamal Ma
rhoum El Filali, chef de service
des maladies infectieuses du CHU
de Casablanca. Toutefois, il est né
cessaire de limiter au maximum
les circulations de personnes. En
bloquant les déplacements, nous
arriverons peutêtre à bloquer la
propagation du coronavirus. » En
attendant, la situation marocaine
pourrait n’être qu’une première
et une pression du même ordre
pourrait se reproduire dans les
prochains jours avec la Tunisie.
cyril bensimon (à paris)
et ghalia kadiri
La Pologne organise le rapatriement
de tous ses ressortissants à l’étranger
Le parti ultraconservateur au pouvoir espère faire revenir au pays une partie de la diaspora
varsovie correspondance
T
andis que la gravité de la
pandémie de Covid19 ne
semble plus aujourd’hui
contestée en Pologne, la crise de
vient dans le même temps source
d’opportunités nouvelles. Ainsi, le
gouvernement ultraconservateur
dirigé par le parti Droit et justice
(PiS) atil peutêtre trouvé dans la
pandémie un argument pour con
vaincre une très nombreuse dias
pora de rentrer au pays, en proie
depuis quelques années à un im
portant déficit de maind’œuvre.
Après avoir complètement réta
bli les contrôles aux frontières,
suspendu le trafic aérien et ferro
viaire international et interdit
aux étrangers l’entrée sur son ter
ritoire, la Pologne met désormais
en place un programme de rapa
triement massif de ses ressortis
sants à l’étranger.
Par dérogation à l’interdiction
générale des vols internationaux,
elle a déjà affrété plusieurs avions
de sa compagnie LOT en direction
du RoyaumeUni, des EtatsUnis,
du Canada, du Portugal et du Sri
Lanka afin de « ramener à la mai
son » les citoyens polonais, les
membres de leur famille et les
étrangers en possession d’une
carte de séjour ou d’un permis de
travail en Pologne. Dimanche
15 mars, un premier vol a atterri à
Varsovie avec, à son bord, 232 per
sonnes embarquées à Londres, où
vivent au moins 100 000 Polo
nais. Chaque passager avait dû, au
préalable, débourser pour son
billet environ 150 euros, tarif
pourtant subventionné par l’Etat.
Résoudre un problème brûlant
A première vue, ce programme
de rapatriement doit d’abord ser
vir à résoudre un problème brû
lant créé par le gouvernement
luimême. En annonçant soudai
nement, vendredi soir, la sus
pension dans un délai de trente
heures de toutes les liaisons in
ternationales en provenance ou
à destination de la Pologne, il a
privé des dizaines de milliers de
voyageurs polonais à l’étranger,
mais aussi étrangers en Pologne,
de la possibilité de prendre leur
vol de retour.
Compte tenu de la décision
d’une majorité des Etats voisins
de fermer eux aussi leurs frontiè
res, la principale solution alter
native est de passer par l’Allema
gne, dont les accès routiers avec
la Pologne continuent de fonc
tionner en dépit du rétablisse
ment des contrôles.
Les vols de la LOT devraient fa
ciliter le retour des Polonais de
l’étranger, mais les touristes en
Pologne, dont un certain nom
bre de Français, ne peuvent
compter que sur leurs propres
moyens ou ceux de leurs gouver
nements respectifs pour quitter
le territoire.
Du point de vue de la LOT, ce
monopole de fait sur les liaisons
internationales de la Pologne, au
demeurant subventionné par
l’Etat, est le bienvenu. L’entreprise
est en effet financièrement très
fragile aujourd’hui en raison de sa
récente acquisition de la compa
gnie Condor et de sa dépendance
aux vols transatlantiques touchés
par la fermeture du territoire
américain aux Européens.
L’aubaine est d’autant plus
grande que d’après les autorités,
sur 1,5 million de Polonais se trou
vant actuellement à l’étranger de
façon temporaire, entre 200 000 et
500 000 pourraient vouloir ren
trer dans un futur proche. L’offre
de rapatriement ne vise donc pas
seulement les touristes, mais aussi
les travailleurs émigrés. Particuliè
rement nombreux au Royaume
Uni, ceuxci pourraient ne pas être
rassurés par la stratégie d’« immu
nité collective » pour faire face au
Covid19 du premier ministre Bo
ris Johnson, dont s’écarte explicite
ment son homologue polonais
Mateusz Morawiecki.
romain su
En se barricadant, l’Allemagne
effectue un revirement majeur
Emmanuel Macron, Angela Merkel, Ursula von der Leyen et Charles Michel
devraient acter, lundi, la fermeture des frontières aériennes hors UE
berlin correspondant,
C’
est une décision
dont l’efficacité sa
nitaire peut être
discutée, mais dont
la portée politique ne saurait être
contestée. Dimanche 15 mars,
l’Allemagne a annoncé la quasi
fermeture de ses frontières avec
la France, le Luxembourg, la
Suisse, l’Autriche et le Danemark.
Seuls les travailleurs transfronta
liers et les marchandises pour
ront désormais circuler.
« Les personnes n’ayant pas de
raison particulière de venir ne
pourront pas entrer », a déclaré
Horst Seehofer, le ministre alle
mand de l’intérieur, dimanche
soir, précisant que la mesure
s’appliquerait dès lundi à partir
de 8 heures. La restriction ne
concerne pas, à ce stade, les autres
Etats avec lesquels l’Allemagne
partage une frontière : les Pays
Bas, la Belgique, la Pologne et la
République tchèque.
Faire taire les critiques
De la part de Berlin, c’est un revi
rement majeur. « En Allemagne,
nous estimons que les fermetures
de frontières ne sont pas la ré
ponse adéquate » pour lutter
contre la propagation de l’épidé
mie de Covid19, avait affirmé la
chancelière Angela Merkel, mer
credi 11 mars. « Nous n’allons pas
nous débarrasser du virus en fer
mant nos frontières. Le virus est
déjà parmi nous et nous devons
nous faire à cette idée », avait aussi
expliqué le ministre de la santé,
Jens Spahn, le même jour.
Ces déclarations avaient été
partiellement contredites, jeudi,
quand M. Seehofer avait décidé
d’« intensifier » les contrôles des
personnes entrant sur le terri
toire allemand. « Il ne s’agit pas de
contrôles systématiques », préci
sait toutefois un porteparole du
ministre interrogé par Le Monde,
le lendemain. En pratique, c’était
surtout le long de la frontière
française que la surveillance
avait été renforcée, après la déci
sion prise par l’institut de santé
allemand RobertKoch de classer
la région GrandEst parmi les
« zones à haut risque ».
En décidant, dimanche, de
passer à un niveau de contrôle
supérieur des frontières, le gou
vernement allemand entend
d’abord réagir à l’augmentation
très rapide du nombre de cas de
Covid19 détectés outreRhin :
dimanche soir, ils étaient 5 813,
soit un doublement en trois
jours dans un pays où le nombre
de morts – treize au total – reste
cependant beaucoup moins
élevé qu’en Italie, en Espagne ou
en France.
Mais sa décision vise surtout à
faire taire les critiques, de plus en
plus nombreuses, de ceux qui
l’accusaient, ces derniers jours, de
ne pas agir assez vite pour enrayer
l’épidémie. Des reproches qui se
faisaient de plus en plus insis
tants. « Aucun leadership à la
chancellerie », avait fustigé le
quotidien conservateur Bild, mer
credi, dans un article au vitriol
enjoignant à Angela Merkel de
s’inspirer de son homologue
autrichien, Sebastian Kurz, salué
comme « un vrai dur » ayant eu le
courage de « stopper les entrées »
en provenance d’Italie. « C’est
quelqu’un comme ça qu’il nous
faut », insistait Bild, samedi, à côté
d’une photo flatteuse du jeune
chancelier au pouvoir à Vienne.
Dimanche soir, face à la presse,
M. Seehofer a parfaitement joué
son rôle. Quelques heures après
que ses services ont fait fuiter son
annonce à la rédaction de Bild,
celui qui, en 2015, à l’époque où il
dirigeait la Bavière, s’était déjà op
posé à la décision de Mme Merkel
de ne pas fermer les frontières de
l’Allemagne aux réfugiés, s’est dit
« satisfait d’être arrivé à une posi
tion claire », expliquant que cela
faisait deux jours qu’il se « bat
tait » pour qu’elle devienne la
ligne du gouvernement.
Aux journalistes, dimanche,
M. Seehofer a assuré que cette dé
cision avait été prise en concerta
tion avec les pays concernés, la
France en particulier. De son côté,
l’entourage d’Emmanuel Macron
insiste sur la communication per
manente entre le président fran
çais et la chancelière allemande,
plusieurs fois par jour tout au
long du weekend, ainsi qu’entre
leurs ministres de l’intérieur.
Même si elle a été coordonnée
avec Paris, l’initiative de l’Allema
gne n’en porte pas moins un sé
rieux coup au principe de libre
circulation des personnes, l’un
des acquis les plus précieux de la
construction européenne. Un
principe que neuf pays de l’espace
Schengen ont commencé à re
mettre en cause en rétablissant
des contrôles très stricts à leurs
frontières, mais que la France en
tend encore défendre.
Sur son diagnostic, l’Elysée reste
en effet très ferme : les contrôles
intérieurs aux frontières ne re
présentent pas une échelle effi
cace pour agir, dès lors que l’épi
démie frappe toute l’Europe. C’est
dans cet esprit que la présidence
de la République a tenu à faire
savoir, vendredi, aux journalistes
que l’heure était à la préservation
de l’espace Schengen. L’accent
était mis sur les contrôles renfor
cés aux frontières extérieures, en
prévoyant un dispositif spécial
pour les pays de l’Union euro
péenne (UE) n’appartenant pas à
cet espace de libre circulation.
Mise sous cloche de l’UE
Lundi 16 mars, M. Macron,
Mme Merkel, la présidente de la
Commission européenne, Ursula
von der Leyen, et le président du
Conseil européen, Charles Mi
chel, devaient s’entretenir par
visioconférence pour acter la fer
meture totale des frontières aé
riennes hors Union européenne
(UE). Cela signifierait, en clair,
plus aucun vol en provenance ou
à destination de l’extérieur, sauf
cas exceptionnels, comme des
avions transportant du person
nel de santé étranger pour venir
prêter mainforte.
Cette mesure radicale de mise
sous cloche de l’UE présente deux
avantages, explique une source
française haut placée : empêcher
une pression supplémentaire sur
des systèmes de soin déjà débor
dés ; arrêter les flux en prove
nance de zones dont le statut
épidémique n’est pas clair,
comme l’Amérique latine ou
l’Afrique, faute de tests.
piotr smolar
et thomas wieder
« Aucun
leadership à la
chancellerie »,
avait critiqué le
quotidien
conservateur
« Bild », mercredi
« J’ai une fille de
8 ans en France
et, avec les écoles
fermées, qui va
s’occuper d’elle? »
ANNA
36 ans, enceinte de cinq mois
Les touristes en
Pologne, dont un
certain nombre
de Français, ne
peuvent compter
que sur leurs
propres moyens Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus
Les initiatives de la Commission
Dans une intervention vidéo, la présidente de la Commission
européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé, dimanche 15 mars,
une série d’initiatives pour augmenter la capacité des pays mem-
bres à faire face aux difficultés sanitaires. Elle lance un appel à
l’industrie pour augmenter la production de masques et d’appa-
reils respiratoires. Elle indique que les exportations de ces maté-
riels seront soumis à un système d’autorisations préalables si elles
sont destinées à des pays hors UE. Elle demande aux gouverne-
ments de partager les matériels disponibles avec leurs voisins.
Par ailleurs, Bruxelles devait lancer, lundi, un vaste appel d’offres
pour des tests de dépistage et des équipements respiratoires.