12 |coronavirus MARDI 17 MARS 2020
0123
Le virus rattrape
la course
démocrate
L’épidémie a été au centre
du débat entre Biden et Sanders
washington correspondant
F
ermeture de restaurants
et de bars en Californie,
fermeture d’écoles dans
l’Etat de New York – der
nier en cours à procéder de la
sorte –, décision radicale de la Ré
serve fédérale américaine (Fed,
banque centrale) de baisser d’un
nouveau point ses taux directeurs
et de racheter massivement de la
dette bancaire, d’entreprise et im
mobilière... l’impact de la crise ne
cesse de s’étendre aux EtatsUnis.
Une nouvelle fois, le président
des EtatsUnis, Donald Trump, a
voulu se montrer optimiste lors
d’une conférence de presse à la
quelle il a pris part brièvement à
la Maison Blanche, dimanche
15 mars : « C’est un virus très conta
gieux, c’est incroyable. Mais c’est
quelque chose sur lequel nous
avons un contrôle extraordi
naire. » « Tout ira très bien », atil
ajouté, avant d’écarter l’hypo
thèse de pénuries dans les super
marchés, pris d’assaut au cours
des jours précédents.
L’intervention présidentielle a
ravivé les dissonances entre ses
propos et ceux de ses conseillers.
« Détendezvous. Nous nous en sor
tons bien. Tout cela va passer », a
til ainsi assuré. Quelques minutes
plus tard, le directeur de l’Institut
national des maladies infectieu
ses, Anthony Fauci, qui s’est im
posé au cours des derniers jours
par ses compétences, a indiqué
que « le pire [était] à venir ». « C’est
la façon dont nous répondrons à ce
défi qui va déterminer quel sera le
résultat ultime », atil complété.
Tout le weekend, les chaînes
d’information ont diffusé des
images de cohues dans les aéro
ports chargés d’accueillir les
Américains de retour d’Europe.
Soumis à des contrôles, ils ont été
immobilisés en rangs serrés des
heures durant.
Le onzième débat démocrate,
opposant l’ancien viceprésident
Joe Biden et le sénateur indépen
dant du Vermont Bernie Sanders,
n’a pas échappé à cette menace. Il
a débuté, dimanche, alors que les
centres de contrôle et de préven
tion des maladies émettaient un
bulletin déconseillant les ras
semblements de plus de cin
quante personnes pour au moins
les huit semaines à venir. Ils ont
cependant précisé que la mesure
ne concernait pas « le fonctionne
ment quotidien d’organisations
telles que des écoles, des instituts
d’enseignement supérieur ou des
entreprises ». Dans deux Etats, les
primaires démocrates ont été
déjà reportées : la Louisiane et la
Géorgie.
Initialement prévu à Phoenix,
dans l’Arizona – un des quatre
Etats qui voteront mardi, avec la
Floride, l’Ohio et l’Illinois –, ce dé
bat a été rapatrié par précaution
dans les studios de la chaîne CNN à
Washington, sans le public. Les
deux derniers candidats à l’inves
titure démocrate se sont installés
à la distance réglementaire de six
pieds (près de deux mètres) l’un de
l’autre, après s’être sobrement sa
lués du coude.
« Faire taire ce président »
Le débat s’est logiquement ouvert
sur la crise sanitaire, donnant
l’occasion aux deux hommes de
prendre immédiatement leurs
distances avec le président des
EtatsUnis. Alors que ce dernier
consacre une bonne partie de ses
interventions à la célébration de
son action et de la compétence de
l’équipe qui l’entoure, Joe Biden et
Bernie Sanders se sont tout
d’abord adressés aux victimes de
la pandémie. « Mes pensées vont
vers tous ceux qui souffrent du co
ronavirus », a immédiatement as
suré le premier, avant que son ad
versaire ne le suive avec la même
empathie. « Nous devons faire
taire ce président dès maintenant.
Il est inacceptable de l’entendre dé
blatérer sur des informations non
factuelles, ce qui trouble les Améri
cains », a poursuivi le sénateur du
Vermont.
Ce dernier se trouvait dans une
position délicate, dimanche soir.
Il est distancé nettement par l’an
cien viceprésident en termes de
délégués et sans perspectives clai
res de renverser la tendance. Ber
nie Sanders est victime d’un vote
utile de la part d’une masse criti
que d’électeurs qui considèrent
que Joe Biden est le mieux placé
pour défaire Donald Trump en
novembre. La menace représen
tée par le SARSCoV2 a ajouté en
core à la difficulté.
Souvent confus et balbutiant
lors des derniers débats, Joe Biden
s’est en effet posé en alternative à
la gestion chaotique de Donald
Trump, évoquant son expérience
de viceprésident confronté à des
crises similaires, lançant avec
force un appel à la mobilisation
générale. « Nous sommes en guerre
contre ce virus », atil dit avant de
répéter un peu plus tard : « C’est
comme si nous étions attaqués.
Dans une guerre, vous faites tout ce
qui est nécessaire pour prendre
soin de votre peuple. Tout ce dont
vous auriez besoin pour gérer cette
crise serait gratuit, payé par les con
tribuables américains. »
Lorsqu’il a été interrogé sur le
point de savoir s’il ferait appel à
l’armée pour répondre à un pro
blème de capacité hospitalière qui
pourrait se poser rapidement, il a
répondu avec fermeté et rapidité
par l’affirmative.
Venu avec la claire intention de
pousser son adversaire dans ses
retranchements, le sénateur du
Vermont s’est emparé de la crise
sanitaire pour orienter le débat
vers son programme de sécurité
sociale universelle. Mais son ad
versaire l’attendait sur ce point,
notant qu’un tel système existait
en Italie, où il avait montré qu’il
ne pouvait être une panacée. « Les
gens veulent qu’on règle leurs pro
blèmes, pas une révolution », atil
poursuivi, reprenant l’un de ses
mots d’ordre, jugé adapté aux cir
constances.
Par la suite, Bernie Sanders s’est
montré plus habile en mi
traillant son rival sur des votes
ou des positions passées qui ont
mis Joe Biden en difficulté, faute
de reconnaître qu’il avait évolué
sur certains sujets. L’évocation, à
certains moments passionnée,
d’un passé parfois vieux de plus
de trois décennies a eu cepen
dant le désavantage principal de
rappeler l’âge des artères des
deux septuagénaires.
Finalement, Joe Biden s’est
épargné l’énorme bévue que le
camp adverse attendait avec es
poir. Il a même créé la surprise en
annonçant, sans attendre l’issue
de la course à l’investiture, pour
le cas où il serait désigné, qu’il
choisirait une femme pour la vi
ceprésidence, trentesix ans
après Geraldine Ferraro, pre
mière femme d’un grand parti à
s’être portée candidate à ce poste.
« De nombreuses femmes ont les
qualités pour devenir présidente à
l’avenir », atil ajouté. Bernie San
ders, peutêtre pris de court, a
donné l’impression de lui emboî
ter le pas en assurant qu’il ferait
« très probablement » de même.
A de nombreuses reprises, il a
souhaité le retour d’un lea
dership américain pour les affai
res du monde, de la crise du Co
vid19 au climat. Et, alors que Joe
Biden se faisait fort, une fois élu à
la Maison Blanche, de ramener
les EtatsUnis dans l’accord de Pa
ris, le sénateur du Vermont s’est
exclamé : « Qui s’en soucie? », ju
geant les engagements pris à
cette occasion insuffisants.
« Rejoignez-moi! »
Les attaques répétées de Bernie
Sanders et les ripostes de l’exvi
ceprésident ont détourné ce der
nier de la tâche de réunification
du Parti démocrate qu’il avait
pourtant amorcée en annonçant,
avant le débat, vouloir reprendre
une idée de son adversaire en fa
veur d’une gratuité partielle,
sous conditions de ressources, de
certaines études supérieures,
ainsi qu’une autre relative aux
faillites, qui avait été portée par la
sénatrice du Massachusetts Eliza
beth Warren. L’excandidate à
l’investiture s’est retirée de la
course le 5 mars sans exprimer de
soutien à quiconque.
« Nous sommes en désaccord
l’un et l’autre sur les détails, mais
nous sommes en désaccord avec
ce président sur tout », a assuré Joe
Biden. « Je sais que tu as le cœur du
bon côté », a répondu ultérieure
ment Bernie Sanders, avant de
déplorer néanmoins la timidité
des propositions de l’ancien vice
président.
« Rejoignezmoi », a suggéré ce
lui qui mène la course. « Pourquoi
vous, vous ne me rejoindriez
pas? », a rétorqué son interlocu
teur. Les deux hommes ont as
suré qu’ils feraient activement
campagne pour celui qui rempor
terait l’investiture, mais la crise
sanitaire n’a pas eu la vertu de
trancher dès à présent ce diffé
rend au nom de l’union sacrée
pourtant évoquée avec force par
les deux hommes.
gilles paris
Joe Biden
a annoncé que,
dans le cas où
il serait désigné,
il choisirait
une femme pour
la vice-présidence
Dans un bar de Los Angeles, dimanche 15 mars, pendant le débat entre Joe Biden (à l’écran) et
Bernie Sanders. MARIO TAMA/AFP
La RDC table sur les infrastructures mises en place pour Ebola
Alors que le pays compte trois cas de coronavirus, la fin de la dixième épidémie de fièvre hémorragique pourrait être officialisée miavril
kinshasa correspondance
S
ur Twitter, les internautes
congolais s’amusent : « L’his
toire retiendra qu’en RDC il y
a eu passation pacifique et civilisée
entre coronavirus et Ebola. L’alter
nance épidémiologique. » Le pays
n’aura pas eu le temps de souffler.
Alors que la fin de la dixième épi
démie d’Ebola en République dé
mocratique du Congo (RDC) pour
rait être officialisée miavril, le
premier patient atteint par le Co
vid19 a été détecté à Kinshasa,
mardi 10 mars. Deux jours plus
tard, un deuxième cas a été con
firmé, puis un troisième diman
che. Effet collatéral bienvenu, le
pays pourrait tirer bien des béné
fices de l’épidémie meurtrière qui
frappe l’est de son territoire de
puis août 2018.
Un certain nombre d’investisse
ments et de nouvelles habitudes
ont été mis en place, qui devraient
perdurer. « Les tests de tempéra
ture aux frontières sont désormais
organisés dans le pays, que ce soit
aux aéroports ou aux sorties des
bateaux qui arrivent de Brazzaville,
explique la docteure Matshidiso
Moeti, directrice régionale de
l’OMS pour l’Afrique. Et, surtout, le
pays a investi beaucoup pour la
surveillance. »
« Il faut tout refaire, et vite »
Depuis la riposte contre Ebola, les
10 000 centres de santé épar
pillés dans ce gigantesque pays
dont la superficie fait quatre fois
la France ont pris l’habitude de
faire remonter tous les cas sus
pects. Les communautés locales
ayant, elles aussi, été largement
mobilisées pour la sensibilisa
tion, ces relais vont pouvoir être
réutilisés.
« Le personnel qui a l’habitude de
la gestion d’Ebola va pouvoir aider
au contrôle et à la prise en charge
de cette nouvelle épidémie », pré
cise le docteur Aruna Abedi. Ce
praticien sait de quoi il parle : il y a
deux mois, il était encore coordi
nateur du plan de riposte contre
Ebola. Il vient d’être nommé coor
dinateur du plan de riposte contre
le Covid19.
Ebola a aussi accéléré la cons
truction d’un nouveau laboratoire
à l’Institut national de recherche
biomédicale de Kinshasa. Inau
guré fin février, ce bâtiment flam
bant neuf financé par le Japon
comprend des infrastructures de
pointe pour la gestion des épidé
mies. C’est d’ailleurs làbas qu’ont
été réalisés les tests permettant
d’identifier le premier malade du
Covid19. D’autres devraient voir
le jour à Goma et à Lubumbashi,
sur le même modèle.
En dépit de ces préparatifs, le
docteur Muyembe, qui a été l’ar
chitecte de la riposte à Ebola pour
le ministère de la santé, reste mal
gré tout sceptique sur les capacités
du pays à gérer une nouvelle épi
démie : « Honnêtement, on n’est
pas prêts. La population à l’est du
pays a été confrontée à Ebola, ils
ont compris le coût en vies humai
nes et le coût économique. Mais à
l’ouest et à Kinshasa, Ebola semble
loin, donc il faut tout refaire, et vite.
Le virus est entré à Kinshasa, il ne
faut pas qu’il en sorte. »
Et c’est là l’enjeu de l’épidémie
qui approche. Pour le docteur
Aruna, il faut revoir la manière
d’aborder la riposte, car « Ebola
était un virus congolais, il fallait
donc éviter qu’il ne sorte et ne con
tamine les pays voisins. Mais le co
ronavirus est importé, il faut donc
éviter qu’il n’entre ».
La vraie interrogation est l’état
du système de santé congolais, sa
capacité à traiter et à isoler la mala
die. La structure désignée initiale
ment pour accueillir les malades
était l’unité de confinement de
Kinkole, près de Kinshasa, conçue
pour les malades du virus Ebola.
Mais il faut tenir compte du mode
de transmission de ce nouveau vi
rus. « Comme la contamination ne
se fait plus par les fluides mais par
les voies aériennes, il faut qu’on ren
force l’isolation des chambres », ob
serve le docteur Aruna, coordina
teur de la riposte. Le docteur
Muyembe penche, lui, pour la pri
vatisation de pavillons d’hôpitaux
pour les futurs malades.
Il reste clair que les efforts entre
pris contre Ebola ne seront pas
suffisants pour arrêter le Covid
aux frontières. Cela conduit le doc
teur Muyembe à un brin de pessi
misme. Environ 10 % de la popula
tion congolaise pourrait être tou
chée, selon lui. « Nos capacités de
prise en charge et de réanimation
sont insuffisantes. Et je m’inquiète
encore plus pour le personnel médi
cal, qui n’est pas suffisamment
équipé », précise le médecin. L’Or
ganisation mondiale de la santé
assure être aux côtés des autorités
pour fournir gants, masques et
matériel aux structures de santé.
Ce qui inquiète aussi côté congo
lais, c’est de se retrouver seuls.
« Nos partenaires économiques
comme la France et la Belgique
sont durement touchés. Leur prio
rité ne sera pas de nous aider. »
Le 12 avril, si aucun nouveau cas
d’Ebola n’a été détecté, l’épidémie
sera officiellement terminée. En
attendant, le temps est suspendu :
« Nous croisons les doigts. On ne
pourra pas gérer ces deux épidé
mies en même temps », soupire le
docteur Muyembe.
juliette dubois
La vraie
interrogation est
l’état du système
de santé
congolais,
sa capacité à
traiter et à isoler
la maladie
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Bernie Sanders
s’est emparé de
la crise sanitaire
pour orienter
le débat vers son
programme de
sécurité sociale
universelle