16 |coronavirus MARDI 17 MARS 2020
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Bercy au chevet des PME et des indépendants
Le coût des mesures massives de soutien annoncées devrait être de plusieurs dizaines de milliards d’euros
E
n même temps que la
crise sanitaire, l’urgence
économique est montée
d’un cran, ce weekend, à
mesure que l’épidémie de Co
vid19 submerge la France. L’an
nonce, samedi 14 mars au soir, par
le premier ministre, Edouard Phi
lippe, de la fermeture des com
merces, restaurants, bars et disco
thèques – à l’exception des com
merces alimentaires et des phar
macies – a fait l’effet d’un coup de
massue pour les professionnels,
qui n’ont pas tardé à appeler à
l’aide. « Nous comprenons bien sûr
cette décision, mais il nous faut ab
solument un plan massif de sou
tien à ces entreprises », a rapide
ment réagi sur Twitter Geoffroy
Roux de Bézieux, le patron du Me
def, appelant à un « plan “Cana
dair” massif de garanties de l’Etat
aux banques, pour qu’elles puis
sent prêter aux PME avec un temps
long de remboursement (dix ans)
et un différé de paiement ».
Face à l’inquiétude des commer
çants, des petites entreprises ou
des indépendants, le gouverne
ment cherche à rassurer à tout
prix. Contrairement à ce qui se
passe au RoyaumeUni ou en Ita
lie, il se refuse toutefois pour le
moment à donner un chiffre pré
cis. Bruno Le Maire a rappelé di
manche soir sur France 2 que l’épi
démie allait coûter « des dizaines
de milliards » d’euros à l’économie,
que « chacun aura une solution
économique à ses difficultés ». « J’ai
dit qu’il y aurait tout l’argent qu’il
faudra », a martelé le ministre de
l’économie. « N’allons pas rajouter
de la détresse économique » à l’in
quiétude sanitaire, atil poursuivi.
Manière de dire que l’exécutif
compte soutenir les entreprises et,
à travers elles, l’emploi. Depuis la
semaine dernière, toutes les entre
prises peuvent bénéficier d’un dé
grèvement des cotisations et d’im
pôts, la garantie des prêts de Bpi
france – la banque publique d’in
vestissement – pour les petites et
moyennes entreprises (PME) a été
renforcée et étendue aux entrepri
ses de taille intermédiaire (ETI), et
l’Etat prend en charge l’intégralité
de l’indemnisation des entrepri
ses à leurs salariés en chômage
partiel. « Le coût global de tout cela
sera très élevé », a également souli
gné la ministre du travail, Muriel
Pénicaud, enjoignant toutes les
entreprises qui en ont besoin à
avoir recours au chômage partiel,
sans attendre la réponse de l’ad
ministration à leur demande.
Bercy planche désormais sur les
modalités d’un fonds de solida
rité qui viserait plus spécifique
ment les indépendants. « L’idée
serait de dire : vous êtes indépen
dants, vous avez perdu 90 % de
votre chiffre d’affaires, on vous
donne telle somme vous permet
tant de vous payer un peu. Après, il
faut voir si c’est un prêt ou pas, qui
a droit à quoi... Le fonds pourrait
être abondé par l’Etat, en discus
sion avec les régions et la solida
rité de plusieurs grandes entrepri
ses », laisseton entendre dans
l’entourage de Bruno Le Maire.
Pour le moment, seuls les salariés
peuvent bénéficier du chômage
partiel.
De leur côté, les banques ont an
noncé dimanche un pacte collec
tif pour aider leurs clients, en par
ticulier les commerçants, profes
sionnels et PME. Bruno Le Maire
avait organisé une concertation
vendredi 13 mars pour les pousser
à se coordonner, afin que toutes
jouent le jeu, en continuant à sou
tenir des entreprises dont le chif
fre d’affaires s’effondre.
Discussions européennes
Selon la Fédération bancaire fran
çaise (FBF), les établissements
s’engagent désormais à reporter
jusqu’à six mois des rembourse
ments de crédits pour ces entre
prises, donc jusqu’à ce qu’elles
puissent redémarrer leur activité,
sans pénalités ni coûts addition
nels. Les banques vont par ailleurs
mettre en place des procédures
accélérées afin d’instruire les dos
siers de demande de crédit pour
les situations de trésorerie ten
dues : leur examen ne dépassera
pas cinq jours et « une attention
particulière » sera portée aux
situations d’urgence. « Cet enga
gement est au bénéfice de tous.
Après la fin de l’épidémie, l’activité
repartira, sauf si on a fait bêtement
mourir des entreprises qui
n’auraient pas dû disparaître »,
affirme le patron d’une grande
banque française.
Par ailleurs, pour soulager les
institutions financières, Bpi
france est mobilisée. Elle est dé
sormais en mesure d’apporter
aux banques une garantie à hau
teur de 90 % sur les lignes de dé
couverts bancaires des entrepri
ses d’une durée de douze à dix
huit mois et sur les prêts de trois à
sept ans. Bpifrance met égale
ment à disposition des très petites
entreprises (TPE), PME et ETI, des
prêts directs de trois à cinq ans
jusqu’à plusieurs dizaines de mil
lions d’euros, sans garantie et
« avec un différé important de rem
boursement ». Une nouvelle réu
nion devait se tenir entre Bercy et
les acteurs économiques (repré
sentants patronaux, de fédéra
tions, de chambres de commerce)
lundi 16 mars au matin.
A cette mobilisation nationale
s’ajoutent les discussions à
L’activité des tribunaux réduite à « l’essentiel »
La garde des sceaux, Nicole Belloubet, a annoncé la fermeture dès lundi de toutes les juridictions, à l’exception des « contentieux essentiels »
A
u lendemain des annon
ces du premier ministre,
Edouard Philippe, contre
la propagation du Covid19, la
garde des sceaux a annoncé, di
manche 15 mars, la fermeture dès
lundi de tous les tribunaux en
France à l’exception des « conten
tieux essentiels ». Dans un courriel
diffusé aux agents du ministère
de la justice, Nicole Belloubet a in
diqué que « les services d’urgences
pénales et civiles des juridictions,
l’incarcération dans des condi
tions dignes des détenus ou encore
l’accueil des mineurs confiés à la
protection judiciaire de la jeunesse
(...) doivent pouvoir être maintenus
dans un cadre qui prévient la pro
pagation du virus ».
Elle a précisé qu’« il convient,
dans la mesure du possible, d’an
nuler les sessions d’assises, compte
tenu des risques de contagion pour
les jurés et le public ». Elle précise
que « les procès pourront être ren
voyés, dans les limites du délai rai
sonnable et dans le respect des dé
lais de détention provisoire ». Plus
largement, a affirmé la garde des
sceaux, « en dehors des conten
tieux essentiels, les audiences se
ront reportées ».
Des procès interrompus
Parmi ce que la ministre qualifie
de « contentieux essentiels » figu
rent les audiences correctionnel
les pour les mesures de détention
provisoire et de contrôle judi
ciaire, les audiences de comparu
tion immédiate et les présenta
tions devant le juge d’instruction
et le juge des libertés et de la dé
tention. Cela concerne aussi « les
audiences du juge de l’application
des peines », ainsi que celles du
« tribunal pour enfants et du juge
pour enfants » pour « la gestion
des urgences », ou encore « les per
manences du parquet ».
Plusieurs importants procès en
correctionnelle, notamment celui
du Mediator, devraient être ainsi
interrompus. Une audience de
vait se tenir lundi pour que l’af
faire soit renvoyée « à une date
non connue à ce stade ». Des inter
rogations planent aussi sur le pro
cès du chirurgien Joël Le Scouar
nec, jugé à huis clos depuis ven
dredi à Saintes (CharenteMari
time) pour des faits d’agressions
sexuelles ou de viols sur quatre
petites filles. La cour d’assises de
CharenteMaritime devait ainsi
dire lundi matin si l’audience
pouvait être reportée, comme
l’ont déjà demandé plusieurs avo
cats des parties civiles, qui souli
gnaient des risques sanitaires. Le
procès aux assises des attentats de
janvier 2015 pourrait lui aussi être
concerné. Celuici ne doit toute
fois débuter que le 4 mai et
aucune décision n’a, pour l’heure,
été prise le concernant.
Les parloirs impactés
La ministre de la justice a par
ailleurs souligné que « des mesu
res devront également être prises
pour éviter la circulation du virus
en détention ». A ce stade, un seul
détenu, âgé de 74 ans et incarcéré
à Fresnes (ValdeMarne), a été
testé positif au coronavirus. Deux
infirmières travaillant au sein du
centre pénitentiaire ont aussi été
diagnostiquées positives.
Dès lundi, les transferts de déte
nus d’une prison à l’autre seront
limités, tout comme les activités
et les mouvements au sein des
établissements pénitentiaires. Les
promenades et les activités spor
tives en plein air ou en espace non
confiné seront pour leur part
maintenues. Les parloirs seront
eux aussi impactés par les mesu
res adoptées pour lutter contre la
propagation du coronavirus. Des
dispositions restrictives de
vraient être prises selon la vulné
rabilité des détenus ou des pro
ches qui leur rendent visite. « Les
accueils famille seront fermés jus
qu’à nouvel ordre, dès lors que la
configuration des lieux l’exige », a
également indiqué la ministre.
Le syndicat FOPénitentiaire a
estimé que ces mesures mettaient
« en exergue des incohérences
totales s’agissant de la gestion des
établissements pénitentiaires » et a
exigé « l’arrêt pur et simple de tou
tes les activités et des parloirs dans
les établissements de métropole et
d’outremer, ainsi que la limitation
des déplacements au strict mini
mum des détenus ».
Pour Marion Cackel, présidente
de l’Association française des
magistrats instructeurs, « il était
temps que les choses soient clari
fiées. De nombreux services
avaient déjà anticipé de telles me
sures et réduit la voilure. Ces mesu
res vont dans le bon sens mais vont
nécessiter des aménagements en
fonction des juridictions ».
simon piel
Dimanche
15 mars,
rue
Mercière,
à Lyon, les
restaurants
sont
fermés.
BRUNO AMSELLEM/
DIVERGENCE
POUR « LE MONDE »
« Evitons
la guerre
des calculettes.
Le sujet, ce n’est
plus de respecter
les critères
de Maastricht
ou pas »
LAURENT SAINT-MARTIN
député, rapporteur du budget
la réforme de l’assurancechômage peut
attendre. Lundi 16 mars, la ministre du tra
vail, Muriel Pénicaud, a annoncé, sur
BFMTV, le report de l’application des rè
gles sur l’indemnisation des demandeurs
d’emploi, qui devaient entrer en vigueur le
1 er avril : elles sont décalées au 1er septem
bre. Ces dispositions étant susceptibles de
faire baisser l’allocation versée à certaines
des personnes privées de travail, l’exécutif
a jugé préférable de les remettre à plus
tard. « Je publierai un décret dans les qua
rantehuit heures sur le sujet », a précisé
Mme Pénicaud. Un arbitrage lié à la hausse
du nombre de salariés qui se retrouvent
- ou vont se retrouver – sans activité, à la
suite du violent coup de frein donné à
l’économie par les mesures prises pour
contrer la propagation du coronavirus.
L’annonce du gouvernement donne sa
tisfaction aux syndicats, qui avaient ré
clamé, il y a quelques jours, la suspension,
voire l’annulation, des règles incriminées.
« Il était absolument nécessaire de le faire »,
confie Laurent Berger, le secrétaire général
de la CFDT, en saluant le fait que « la
raison » l’ait emporté : « On ne peut pas
ajouter de l’angoisse à l’angoisse, des pro
blèmes aux problèmes. » « C’est la moindre
des choses », enchaîne Yves Veyrier, le nu
méro un de FO, pour qui une telle décision
était « attendue ».
Un geste de « sagesse », selon le Medef
Elle l’était d’autant plus que les entreprises
bénéficient de mesures de soutien,
comme le chômage partiel, qui « sont en
partie financées par l’Unédic », le régime
d’indemnisation des demandeurs d’em
ploi. Le Medef, de son côté, comprend l’ar
bitrage de l’exécutif, y voyant un geste de
« sagesse », selon la formule de son prési
dent, Geoffroy Roux de Bézieux. « Face à la
menace du coronavirus, l’union nationale
est indispensable, ajoutetil. Il faut mettre
toute l’énergie des forces économiques pour
faire face aux conséquences des mesures sur
nos entreprises et nos salariés. »
Engagée en 2019 malgré l’hostilité des or
ganisations de salariés, la réforme de l’as
surancechômage se traduit par un durcis
sement des conditions imposées aux de
mandeurs d’emploi. Une première série de
dispositions est entrée en application le
1 er novembre 2019. La deuxième vague,
programmée pour le 1er avril, modifie les
modalités de calcul de la prestation : le but
est de limiter le recours aux contrats
courts, avec un nouveau système où l’in
demnisation mensuelle sera plus faible
pour les personnes alternant des petits
boulots et des périodes d’inactivité.
bertrand bissuel
La réforme de l’assurance-chômage repoussée de cinq mois
l’échelle européenne. Les minis
tres des finances de la zone euro
devaient se concerter lundi après
midi sur un plan de relance com
mun, et valider les mesures de
souplesse budgétaire proposées
par Bruxelles. Il s’agit notam
ment de permettre que les dépen
ses engagées par les différents
pays soient exclues du calcul du
déficit selon les critères euro
péens. Car cela ne fait plus de
doute : l’engagement initial de
l’exécutif de rester sous les 3 % de
déficit public cette année ne résis
tera pas à la crise.
« Evitons la guerre des calculet
tes. Le sujet, ce n’est plus de respec
ter les critères de Maastricht ou
pas, ni notre trajectoire budgé
taire, indique Laurent Saint
Martin, député LRM du Valde
Marne et rapporteur du budget.
C’est comment on empêche les
gens de perdre leur emploi, com
ment on empêche les entreprises,
notamment les PME, de se retrou
ver à terre, et comment on anticipe
la reprise. Si ça coûte des dizaines
de milliards, eh bien ça coûte des
dizaines de milliards. » D’autant
que, rappelletil, « audelà du coût
en luimême, il va y avoir le man
que à gagner fiscal » issu de l’arrêt
de secteurs entiers. De quoi imagi
ner que, même une fois l’épidé
mie endiguée, il faudra du temps à
l’économie pour redémarrer.
véronique chocron, béatrice
madeline et audrey tonnelier