Le Monde - 13.03.2020

(Grace) #1

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MARDI 17 MARS 2020 coronavirus| 19


retraitée de 75 ans. Dans un autre parc, à deux
pas de Matignon, des parents se montrent
plus prudents. « Non, tu n’iras pas là­bas, il y a
trop de monde! », lance une mère à son en­
fant qui montre du doigt le toboggan. « Mais,
maman, je l’ai pas moi, le coronavirus... »
Sur un banc près des jeux du parc du Point­
du­Jour, à Lyon, Alban change les couches de
sa petite dernière, pendant que Camille, son
épouse, correspond par mails avec son en­
treprise pour savoir comment la suite va
s’organiser. La famille se prépare à rester
confinée chez elle. « On va s’occuper à la mai­
son, on va partager d’autres choses ensemble,
découvrir d’autres activités, c’est le côté posi­
tif », dit Camille. Le couple a trois enfants,
âgés de 2 à 12 ans. Le plus grand est en garde
alternée. Les conséquences du Covid­19 met­
tent à rude épreuve les conjoints séparés.
Après des semaines sous des trombes
d’eau, on pique­nique sur les places à Bor­
deaux. Emilie, 29 ans, femme de chambre
dans un hôtel du centre­ville, vient d’appren­
dre qu’elle était mise au chômage technique.
« On avait déjà pas mal d’annulations. Je viens
encore lundi, après c’est terminé. Et on ne sait
pas jusqu’à quand. » Mais la jeune femme re­
fuse de s’inquiéter. Le coronavirus ne passera
pas par elle. « L’épidémie concerne surtout les
personnes vulnérables », assure­t­elle.
Le centre­ville de Montpellier semble aban­
donné sous la chaleur, tout comme les rues
du Vieux­Nice, qui ont pris « une allure de
western ». Mais la promenade des Anglais est
noire de monde, on bronze en grappes sur les
galets. Sur la plage de l’Opéra, des Américains
chassés de leur fac italienne, où ils se trou­
vaient en échange universitaire, se réjouis­
sent de voir qu’« ici les gens sont quand même
vachement plus cool qu’en Italie ».
Au David, historique brasserie des plages
Gaston­Defferre, dans les quartiers sud de
Marseille, qui a baissé le rideau samedi soir,

Caroline, la gérante, soupire : « Habituelle­
ment, on fait trois cents couverts une journée
comme celle­là! » Elle a repris l’affaire fami­
liale il y a un mois. « Super démarrage! », iro­
nise­t­elle. Caroline regrette que le gouver­
nement n’ait pas annoncé, dès jeudi, la fer­
meture des lieux publics – « Ça m’aurait évité
de rentrer 10 000 euros de stock pour le week­
end » –, mais elle comprend la mesure. « On
est conscient qu’on vit un moment dange­
reux. Même pour moi, j’ai peur », glisse la
jeune restauratrice. De l’autre côté de la pro­
menade qui longe la mer, la rade est somp­
tueuse. Ingrid Bastide, 43 ans, est venue avec
ses deux filles et une de leurs amies. Proprié­
taire d’un salon de coiffure dans la banlieue
toulousaine, elle a décidé de « positiver » ses
vacances forcées. « J’en avais marre de toutes
ces annonces anxiogènes, je me suis dit qu’il
fallait aller prendre l’air. » Lana, 13 ans, dit que
dans son collège « personne ne prend tout ça
très au sérieux. [Elle] ne conna[ît] aucun cas,
[elle] ne réalise pas du tout ». Son amie est
moins insouciante, son père est asthmati­
que, « alors ça [l]’inquiète forcément ».

« ÉTAT D’ESPRIT RÉFRACTAIRE »
Sur l’immense pelouse que les Marseillais fré­
quentent avec assiduité le week­end, Karim,
Yohan, Driss et leurs potes disputent leur
match hebdomadaire de football. Dix contre
dix. dans une ambiance joyeuse. Infirmier la
semaine, Karim reconnaît que cela ne corres­
pond pas vraiment aux consignes du gouver­
nement : « On s’est posé la question entre nous,
mais on s’est dit que ce serait peut­être le der­
nier dimanche avant qu’on soit obligé de rester
à la maison. On se fait du bien psychologique­
ment. » « On est venu jouer parce qu’on sait
qu’on va rester confinés pendant toute la se­
maine et qu’on va péter les plombs », renchérit
Yohan, directeur commercial dans un groupe
hôtelier. « Ça reflète aussi l’état d’esprit réfrac­

LA PROMENADE 


DES ANGLAIS EST 


NOIRE DE MONDE, 


ON BRONZE 


EN GRAPPES 


SUR LES GALETS


taire des Français », dit Karim. Sur les réseaux
sociaux, les #restezchezvous fulminent
contre les « #irresponsables » – les deux
mots­clés arrivent dans le peloton de tête du
fil Twitter. Les arrêtés ministériels qui ryth­
ment la journée deviennent presque aussi
viraux que les photos de chats. On s’espionne
dans les queues de supermarché, on dénonce,
photos et vidéos à l’appui, les chariots pleins à
craquer, on montre du doigt les inciviques.
Le nom de Carla Bruni grimpe brusque­
ment tout en haut de la liste. Une vidéo d’elle,
datant de fin février, est partagée des dizai­
nes de milliers de fois. On voit l’épouse de Ni­
colas Sarkozy et ancienne mannequin em­
brasser sur les deux joues un ami. « On se fait
la bise. On est de la vieille génération, nous!
On n’a peur de rien. On ne craint pas le coro­
navirus. Nada! », plaisante­t­elle. Elle s’amuse
encore : « Allez, je vais faire un truc, regarde! »
Elle tousse, tousse et rit au milieu d’un
groupe. Dans l’après­midi de dimanche,
Carla Bruni présente ses excuses. « Il nous
arrive parfois de faire des plaisanteries de
mauvais goût. Pour amuser la galerie, faire le
show. Sortie de son contexte, la blague peut de­
venir une ignominie. »
Les dernières estimations chiffrées des ra­
vages du virus sont tombées. 127 morts en
France. 5423 cas, dont plus de neuf cents sup­
plémentaires en une journée. Un Français
sur deux sera touché, affirme­t­on. Autour
des tables familiales, les parents regardent
leurs enfants qui regardent leurs parents. La
nuit est tombée sur ce dernier jour de
l’avant, ce premier jour de l’après. Dans les
rues silencieuses et désertes de Paris, où la
veille, à la même heure, on trinquait et riait
encore, des soldats avancent par groupes de
quatre. L’image du lendemain.
pascale robert­diard,
avec le service france
et les correspondants du « monde »

LE  CONTEXTE


LES  PRINCIPALES 
MESURES

Grandes surfaces, commerces
alimentaires, pharmacies, mar-
chands de journaux, pompes
funèbres ou banques font partie
des commerces qui pourront
ouvrir dans le cadre des mesures
de confinement décidées par
le gouvernement pour faire face
à l’épidémie due au coronavirus,
détaille un arrêté paru lundi
16 mars au Journal officiel.
Les commerces français peuvent
« continuer à recevoir du public
pour les activités figurant en
annexe du présent arrêté », dit le
texte. Le gouvernement ordonne
depuis dimanche 15 mars la fer-
meture des lieux « non indispen-
sables », dont notamment les
restaurants et les bars, mais un
flou demeurait sur les commer-
ces autorisés à ouvrir.
Outre les magasins alimentaires,
les pharmacies, les banques,
les bureaux de tabac et les sta-
tions-service s’ajoutent les re-
vendeurs d’équipements d’auto-
mobiles et de deux-roues, les
fournisseurs des agriculteurs
ainsi que leurs équipementiers,
les vendeurs et réparateurs
d’ordinateurs ou de téléphonie.
Les blanchisseries et les services
funéraires sont aussi ouverts.
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