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CORONAVIRUS
MARDI 17 MARS 2020
0123
L’exécutif réfléchit à confiner les Français
Depuis dimanche, le gouvernement envisage le confinement total et l’annulation du second tour des municipales
C’
était le 6 mars, mais
c’est comme si c’était
il y a un siècle. Après
avoir visité une mai
son de retraite à Paris, Emmanuel
Macron s’était ce jourlà rendu
avec sa femme, Brigitte, au Théâtre
Antoine (10e arrondissement),
pour y assister à une représenta
tion de la pièce Par le bout du nez.
On était alors au début de l’épidé
mie due au coronavirus SARS
CoV2, et le chef de l’Etat voulait
montrer que « la vie continue ».
« Il ne faut pas, sauf pour les po
pulations fragiles, modifier les ha
bitudes de sortie », avait alors dé
claré M. Macron, selon des propos
rapportés par le producteur Jean
Marc Dumontet, un très proche du
couple présidentiel.
Dix jours plus tard, le temps n’est
plus à l’innocence. Après avoir dé
cidé, jeudi 12 mars, de fermer tous
les établissements scolaires, puis,
samedi 14 mars, les restaurants,
bars, discothèques, cinémas, le
chef de l’Etat envisage désormais
de confiner tous les Français chez
eux, comme l’ont déjà décidé l’Ita
lie ou l’Espagne. Une mesure ja
mais appliquée en France en
temps de paix, mais qui pourrait
être la seule façon de ralentir l’épi
démie, qui ne cesse de s’étendre et
prend des proportions qui ef
fraient jusqu’au sommet de l’Etat.
Dimanche soir, le bilan était offi
ciellement de 5 423 cas de Covid
en France, soit plus de 900 supplé
mentaires en vingtquatre heures,
et de 127 morts liés à la maladie. Un
bilan que tous les médecins s’ac
cordent à dire sousestimé, tous
les patients n’étant plus testés.
Moyen efficace d’enrayer l’esca
lade, le confinement de l’ensem
ble de la population a été évoqué
lors d’une réunion téléphonique,
dimanche aprèsmidi, entre les di
recteurs de cabinet du gouverne
ment. Durant cette discussion, la
liste des options possibles pour
freiner la propagation du virus a
été passée en revue, dont celle du
confinement total. Une issue ju
gée désormais possible au som
met de l’Etat, au vu « des images
des Parisiens qui font comme si de
rien n’était », indique Matignon.
« Si les Français ne respectent pas
les mesures barrières comme on l’a
vu dimanche sur les quais de Seine,
aux ButtesChaumont ou au parc
du Luxembourg, on va vers un mo
dèle “à l’italienne”. C’estàdire un
confinement total, hors courses né
cessaires et activités de soignants,
sécurité... », indique une source
gouvernementale. « En fonction
du degré d’appropriation de la dis
tanciation sociale, on verra s’il est
nécessaire d’aller plus loin », a re
connu la porteparole du gouver
nement, Sibeth Ndiaye, dimanche
soir sur RTL.
Lors de cette réunion, une annu
lation du second tour des élec
tions municipales a également été
étudiée. L’exécutif a confirmé, di
manche soir, qu’il demanderait
leur avis aux autorités sanitaires
sur l’opportunité de tenir le scru
tin, prévu le 22 mars.
Le chef du gouvernement,
Edouard Philippe, a annoncé qu’il
réunirait « à nouveau en début de
semaine » les experts scientifiques
et « les représentants des forces po
litiques » afin de prendre une déci
sion. « Sans doute mardi », a pré
cisé le ministre de la santé, Olivier
Véran, sur France 2. « Mais les cho
ses évoluent à une telle vitesse qu’il
faut être prudent », nuanceton
à Matignon. Le premier tour du
scrutin, qui s’est déroulé diman
che, a été marqué par un taux
d’abstention record estimé entre
53,5 % et 56 %.
Parmi les personnalités politi
ques, le report du second tour des
municipales ne fait en tout cas
guère de doute. « Compte tenu
[des] circonstances exceptionnelles
et d’un éventuel confinement na
tional à venir, le report d’un
deuxième tour (...) me semble être
plus prudent », a déclaré Damien
Abad, le président du groupe Les
Républicains (LR) à l’Assemblée na
tionale. « Le second tour n’aura ma
nifestement pas lieu, compte tenu
de l’aggravation prévisible de l’épi
démie. Il faut considérer acquises
les élections de premier tour et re
porter les autres dans quelques
mois », a demandé la présidente du
Rassemblement national, Marine
Le Pen, lors d’une allocution di
manche. « Face à l’urgence sani
taire, relayée par de nombreux mé
decins, le président doit prononcer
dès demain l’annulation du second
tour », a abondé Carole Delga, pré
sidente (PS) de la région Occitanie.
Selon un sondage Harris Interac
tive publié dimanche, 54 % des
Français disent ne pas compren
dre la décision du gouvernement
d’avoir maintenu le premier tour
du scrutin.
Malaise de la majorité
Durant le weekend, l’exécutif
s’était pourtant échiné à convain
cre les Français que la démocratie
serait plus forte que le Covid19. Di
manche midi, Emmanuel Macron
a luimême justifié le maintien du
premier tour au nom de « la vie dé
mocratique » du pays. « Il est im
portant de voter dans ces mo
mentslà », atil déclaré, après
avoir glissé un bulletin dans l’urne
au Touquet (PasdeCalais), tout en
appelant les Français à respecter
les consignes de prévention. « Les
opérations de vote se dérouleront
demain comme prévu et je sais que
les Français démontreront à cette
occasion leur calme, leur civisme et
leur capacité à respecter les règles
que nous avons édictées pour leur
sécurité », avait vanté Edouard Phi
lippe samedi soir, lors de l’an
nonce de la fermeture de tous les
commerces hors alimentaire.
Un ton péremptoire qui cache
mal le malaise de la majorité face
à la décision de l’exécutif d’organi
ser coûte que coûte ce scrutin.
Tout l’aprèsmidi de samedi et
jusque tard dans la soirée, c’est
une « bataille de titans » qui s’est
jouée entre les partisans de l’an
nulation et ceux du maintien, se
lon un habitué de l’Elysée. Une
sorte de répétition des débats qui
s’étaient déjà tenus, jeudi, alors
que le chef de l’Etat avait hésité à
reporter le scrutin.
D’un côté, le président du Mo
Dem, François Bayrou, et plusieurs
députés importants de la majorité
ont plaidé en faveur d’un report.
« Dès jeudi, étant donné l’aggrava
tion de la situation sanitaire, j’ai
soutenu l’idée d’une annulation et
d’un report des élections. Une con
viction renforcée après les déclara
tions du premier ministre samedi
soir. La situation pose beaucoup de
questions pour le second tour »,
confie M. Bayrou, candidat à sa
réélection comme maire de Pau.
A l’Elysée, le secrétaire général de
la présidence, Alexis Kohler, aurait
poussé dans le sens inverse, tout
comme le directeur du cabinet
d’Edouard Philippe, Benoît Riba
deauDumas. Une position égale
ment défendue, selon plusieurs
sources, par le premier ministre
luimême. « Remettre en cause des
élections n’est pas un acte anodin
dans une démocratie », note un
conseiller au fait des discussions.
Mais la gravité de l’intervention
du chef du gouvernement, samedi
soir, a semé le trouble. Immédiate
ment après sa prise de parole, un
sentiment de panique avait envahi
le sommet du pouvoir : comment
faire appliquer les consignes de
confinement, tout en appelant
47,7 millions de Français aux ur
nes? Comment justifier une telle
décision, dans un contexte où la
France vient de passer au stade 3
de la gestion de l’épidémie?
« A vrai dire, je ne sais plus... »,
soufflait un ministre, samedi soir.
Sur les coups de 23 heures, certains
membres du gouvernement se de
mandaient encore si un conseil
des ministres extraordinaire n’al
lait pas être convoqué avant mi
nuit pour prendre un décret annu
lant la convocation des élections.
Redoutant que l’exécutif soit
tenu responsable d’une accéléra
tion de la propagation de l’épidé
mie, plusieurs soutiens de M. Ma
cron ont tenté de faire reposer le
choix de maintenir le scrutin sur
l’opposition, en chargeant le prési
dent (LR) du Sénat, Gérard Larcher,
et celui de l’Association des maires
de France, François Baroin, qui
auraient fait pression de tout leur
poids sur Emmanuel Macron,
jeudi, pour que ce dernier renonce
à annoncer un report.
« Un bilan devra être tiré »
« Larcher et Baroin on fait du chan
tage inacceptable en criant à la dic
tature. En réalité, ils avaient en tête
de protéger leurs intérêts électo
raux », accusait samedi l’excon
seiller de M. Macron, Stéphane Sé
journé, chef de file des eurodépu
tés macronistes. Un argumentaire
repris par le patron de La Républi
que en marche (LRM), Stanislas
Guerini, dimanche, sur France 2 :
« Les formations politiques ont été
réunies à deux reprises autour du
premier ministre. A ce momentlà,
pas une formation politique n’a de
mandé le report des élections. »
Une attaque jugée irrecevable
par l’opposition, en particulier par
le secrétaire national d’Europe
EcologieLes Verts, Julien Bayou,
soulignant que « le premier minis
tre a rigoureusement écarté l’op
tion de reporter les municipales »,
jeudi, lorsqu’il a reçu les responsa
bles politiques à Matignon.
« Un jour, un bilan devra être tiré
des décisions prises et surtout non
prises », a attaqué Marine Le Pen,
dimanche soir, en dénonçant les
« atermoiements », « retards », ou
encore « les choix idéologiques et
contradictoires » de MM. Macron
et Philippe. « Il y a un vrai risque
que ça retombe sur le gouverne
ment », redoute un ministre.
Des accusations balayées au
sommet de l’Etat. « La vérité, c’est
que nous avons une méthode : nous
suivons les recommandations des
scientifiques, explique un proche
d’Edouard Philippe. Jeudi comme
samedi, ils nous ont dit que le pre
mier tour des élections municipales
pouvait se tenir. C’est pour cela
qu’on a maintenu le scrutin. On ne
pouvait pas ajouter une crise politi
que à la crise sanitaire en prenant
une décision unilatérale. »
Dans l’entourage du premier mi
nistre, on observe d’ailleurs que
« le consensus républicain évolue »
sur la question d’un report du se
cond tour. « Les déclarations de ce
dimanche soir ne sont pas les mê
mes que celles de jeudi dernier »,
analyse ainsi un conseiller. Reste
que la décision d’un confinement
de l’ensemble de la population ne
sera pas facile à prendre, tant les
conséquences sur la vie quoti
dienne mais aussi l’économie se
raient importantes.
Pour le moment, les proches de
M. Macron décrivent un chef de
l’Etat « concentré » et « déterminé ».
« Il a le sentiment d’être d’une cohé
rence absolue, il n’a aucune envie de
tomber dans la politique politi
cienne. Il doit à chaque étape em
barquer le pays et toutes ses forces,
sans effet de panique », observe un
habitué du palais, qui échange nuit
et jour avec le président.
Seule certitude, M. Macron de
vait organiser, lundi midi à l’Ely
sée, un déjeuner en format « con
seil de défense » avec le premier
ministre et plusieurs membres du
gouvernement, pour faire le point
sur la suite de la crise en France. Il
devait également tenir, lundi, une
réunion par visioconférence avec
les chefs d’Etat du G7, dont l’améri
cain Donald Trump. Objectif : faire
le point sur l’avancée de la recher
che et coordonner la réponse éco
nomique à l’épidémie.
Une autre vidéoconférence était
à son agenda avec la chancelière al
lemande Angela Merkel, la prési
dente de la Commission euro
péenne Ursula von der Leyen et le
président du Conseil européen,
Charles Michel. De son côté,
Edouard Philippe devait de nou
veau rencontrer, « en tout début de
semaine », les responsables de par
tis et des associations d’élus pour
recueillir leur avis et les informer
des décisions de l’exécutif. « On
n’est qu’au début de la crise, le pic
épidémiologique n’est pas encore
en vue, souffle un conseiller. On
doit tenir sur la longueur. »
alexandre lemarié
et cédric pietralunga
Emmanuel
et Brigitte
Macron,
au Touquet
(PasdeCalais),
le 15 mars.
PETIT FRANCIS/ABACA
La décision
d’un confinement
ne sera pas facile
à prendre, tant les
conséquences sur
la vie quotidienne
mais aussi
l’économie seraient
importantes
Selon un sondage
Harris Interactive,
54 % des Français
disent ne pas
comprendre
le choix d’avoir
maintenu le
premier tour