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MARDI 17 MARS 2020 coronavirus | 3
A
partir de lundi, et « jus
qu’à nouvel ordre »,
selon l’expression du
président Emmanuel
Macron, quelque 13 millions d’élè
ves doivent rester chez eux. Mais
combien d’enseignants vont re
prendre le chemin des écoles, col
lèges et lycées qui restent officiel
lement ouverts?
La question a résonné ce week
end parmi les intéressés : tous ou
presque font état de courriers re
çus de leur rectorat ou de leur chef
d’établissement leur demandant
de se rendre disponibles, dès lundi
16 mars, à condition qu’ils soient
bien portants et n’aient pas la
charge de leurs propres enfants.
Tous ou presque se demandent
« pour quoi faire », « pour accueillir
qui », « à quelle fréquence » et
« pour combien de temps ».
Présent chaque jour dans les
médias, leur ministre de tutelle,
JeanMichel Blanquer, n’a pas va
rié dans la désignation de l’objec
tif : il s’agit de proposer au plus vite
un « service minimum » d’accueil
aux enfants des personnels soi
gnants, personnels hospitaliers
mais aussi personnels des cellules
de crise des agences régionales de
santé, des Ehpad, des unités de
soins de longue durée, des insti
tuts médicoéducatifs, des mai
sons d’accueil spécialisées... Bref,
de tous ceux qui sont actuelle
ment sur le pont pour répondre à
l’urgence sanitaire.
Dès lundi, et à condition qu’ils
n’aient pas d’autre mode de garde,
ces parents pourront laisser leurs
enfants dans leur école ou leur col
lège habituel (les lycéens ne sont
pas concernés), aux horaires habi
tuels, afin qu’ils y soient recensés.
L’accueil ultérieur devrait se faire à
proximité du lieu de travail, dans
des classes de huit à dix élèves
- pas plus – pour limiter les risques
de contagion, et suivant des mo
dalités pédagogiques à définir. Il
n’est pas exclu que d’autres sala
riés assurant la bonne marche de
« fonctions vitales » pour le pays,
comme celle des centrales électri
ques, puissent plus tard en bénéfi
cier, a fait savoir le ministre de
l’éducation. Mais pas en priorité.
Voilà pour l’objectif. La communi
cation, elle, a évolué au fil des heu
res. « Le motclé c’est travail », a
martelé JeanMichel Blanquer sur
le plateau de France 2, vendredi
13 mars au soir. « Tout le monde
reste au travail », atil répété le len
demain, samedi, lors d’un point
presse convoqué au ministère de
l’éducation. L’occasion d’avancer
une première estimation : « La
moitié des professeurs [pourraient
être présents] en moyenne dans les
établissements. »
Changement de ton dimanche
15 mars : dans un courrier adressé
aux recteurs, le ministre a de
mandé que « seuls les personnels
absolument nécessaires soient pré
sents », et que « seules les réunions
indispensables aient lieu ». La
« continuité pédagogique » sera,
sembletil, assurée à distance, et
l’accueil des enfants de soignants,
qualifié de « dispositif exception
nel », uniquement par les ensei
gnants volontaires. Sur Franceinfo
quelques heures plus tôt, JeanMi
chel Blanquer avait déjà marqué
une inflexion. « Le but n’est pas de
faire venir beaucoup de profes
seurs », avaitil expliqué. Sur une
« équipe pédagogique de soixante
dix [adultes], cinq ou six » pour
raient suffire.
« Il faut assumer de bricoler »
Dans les rangs syndicaux, on
épingle des « contradictions ».
« Pragmatisme » et « bon sens »,
défendon dans l’entourage du
ministre de l’éducation. L’an
nonce du passage au stade 3 de
l’épidémie, samedi soir, impli
que de réduire au maximum les
déplacements, y compris ceux
des enseignants.
Il n’empêche : ceuxci disent se
retrouver noyés sous les « ordres
et contreordres », d’autant que
d’une académie à l’autre, parfois
même d’un jour sur l’autre, la de
mande de la « hiérarchie » n’est
pas la même. « Je n’irai pas au col
lège, assure Romain, enseignant
en SeineSaintDenis et père de
trois enfants. J’ai pourtant reçu du
principal du collège où j’enseigne
un programme de travail impres
sionnant pour la semaine à venir...
Mais me confiner dans une salle
avec des collègues, c’est non! »
Arnaud, enseignant en lycée
dans l’académie de Reims, envi
sageait de répondre à la convoca
tion reçue... avant qu’elle ne soit
annulée, dimanche : « On n’a pas
besoin d’une grande réunion Tup
perware pour savoir quoi faire. Il y
a deux questions prioritaires pour
réussir à amorcer la continuité pé
dagogique : dans quels délais
doiton travailler? Et quel con
tenu minimum fautil proposer
aux élèves? Quand ce sera tran
ché, on pourra rendre un “service
minimum” adapté aux condi
tions matérielles. »
« Ce sera un lundi de rodage »,
estime Pauline Laby, ensei
gnante en maternelle à Paris et
porteparole du syndicat d’ensei
gnant SEUNSA. Ellemême sera
au rectorat pour voir comment le
service minimum d’accueil peut
se mettre en place. Mais beau
coup de ses « collègues instits »
seront sur le pont, ditelle, « pour
organiser la semaine et les suivan
tes », savoir qui peut venir, qui
travaille à la maison, qui n’est pas
en état... Du bricolage? « Ça peut
sembler l’être, mais peutêtre
fautil assumer de bricoler dans la
situation inédite qui est la nôtre.
Les enseignants vont assurer des
permanences même à distance, se
relayer... et faire au mieux! »
« Les instructions données locale
ment aux enseignants sont trop
souvent contradictoires avec le
discours gouvernemental », a com
muniqué le SNUIppFSU, syndicat
majoritaire au primaire, diman
che soir, en réclamant que soient
garanties les « mesures sanitaires
nécessaires à l’accueil des enfants
du personnel soignant ».
mattea battaglia
A l’école
Condorcet,
à Montpellier,
lundi.
Le directeur
y accueille
deux élèves
dont la mère
est aide
soignante
au CHU.
JULIEN GOLDSTEIN
POUR « LE MONDE »
Sur une « équipe
pédagogique
de soixante-dix
[adultes], cinq ou
six » pourraient
suffire, selon
Jean-Michel
Blanquer
Questions autour du « service minimum d’accueil »
Ecoles, collèges et lycées ont fermé mais des enseignants doivent accueillir les enfants de soignants
Dominique Rousseau : « Pas de précédent » au confinement total
Selon le professeur de droit constitutionnel, le gouvernement a des outils juridiques pour décréter les « circonstances exceptionnelles »
ENTRETIEN
P
our Dominique Rousseau,
professeur de droit consti
tutionnel à l’université
ParisIPanthéonSorbonne, le
gouvernement, en cas de confine
ment général, a des outils juridi
ques liés aux « circonstances ex
ceptionnelles » qui peuvent être
rapidement mis en œuvre.
Quel pourrait être le cadre
juridique d’un confinement
total des Français?
La question n’est pas facile,
parce qu’il n’y a pas de précédent.
La seule théorie que nous pour
rions invoquer, c’est une vieille
théorie du droit administratif,
celle des circonstances exception
nelles, qui permet une extension
des pouvoirs de l’exécutif.
Il faudrait simplement prendre
un décret en conseil des minis
tres, signé par le président de la
République et le premier minis
tre, qui fixerait un certain nom
bre de mesures de nature à porter
atteinte aux libertés individuel
les. En restreignant celle d’aller et
de venir, en instaurant éventuel
lement un couvrefeu, en limitant
le droit de manifester, etc.
Un citoyen ou une association
pourraient éventuellement dépo
ser un recours devant le Conseil
d’Etat, qui aura à apprécier, dans
un cas concret, s’il s’agit bien de
circonstances exceptionnelles.
Il y a une jurisprudence an
cienne, qui fait toujours sourire les
étudiants, l’arrêt Dames Dol et
Laurent du 28 février 1919. Le pré
fet du Var avait en 1916 interdit aux
prostituées de racoler et aux cafe
tiers de leur servir à boire : deux
d’entre elles avaient attaqué les ar
rêtés. Et le Conseil d’Etat avait jugé
que, en pleine guerre mondiale, la
puissance publique pouvait dispo
ser de pouvoirs exceptionnelle
ment étendus en matière d’ordre
et de sécurité. Cette théorie a per
mis par la suite au Conseil d’Etat
d’élargir sa jurisprudence à toutes
les périodes de crise ou de troubles
graves, notamment en mai 1968.
Estce que déclarer l’état
d’urgence serait une option?
L’état d’urgence ne présenterait
guère d’intérêt, puisque la plupart
de ses dispositions ont déjà été
versées dans le droit commun.
Les préfets et le ministre de l’inté
rieur disposent déjà de pouvoirs
étendus.
Quelles seraient les conséquen
ces du report du second tour
des élections municipales?
Mon analyse est que le report du
second tour entraînerait automa
tiquement l’annulation du pre
mier. Les élections municipales
forment un bloc, on ne peut pas
détacher ces deux moments. En
effet, les résultats du premier tour
conditionnent largement le se
cond, les listes qui ont obtenu
plus de 5 % des voix peuvent fu
sionner, celles qui ont obtenu
plus de 10 % peuvent se mainte
nir : reporter le second tour re
vient nécessairement à annuler le
premier, y compris pour les
maires réélus dimanche.
Pourraiton envisager une
exception pour les toutes petites
communes, celles par exemple
où il n’y avait qu’une seule liste?
Sans doute, mais cela heurterait à
mon avis le principe d’égalité.
D’autant que le taux d’abstention
de 55,36 % pose la question de la
légitimité des élus, alors que la dé
mocratie représentative repose
précisément sur leur légitimité.
D’un point de vue technique, le
Conseil constitutionnel a déjà va
lidé le report d’élections, dans une
décision de 1990. Cela pourrait se
faire assez rapidement, le Parle
ment pourrait être réuni en ses
sion extraordinaire, l’Assemblée
nationale pourrait adopter le re
port des municipales dès mardi, le
Sénat le lendemain, et la loi serait
aussitôt promulguée. C’est théori
quement possible, et constitu
tionnellement acceptable, la si
tuation est objectivement excep
tionnelle et cela justifie qu’une
décision soit prise rapidement.
Jusqu’à quand faudraitil
reporter ces élections?
Il suffirait que la loi rallonge le
mandat des maires, par exemple
d’un an, les élections municipales
pourraient ainsi coïncider avec
les élections régionales.
Le Conseil constitutionnel a déjà
reporté d’un an des élections séna
toriales, et cette durée me semble
acceptable. Il ne fallait sans doute
pas organiser ce premier tour, et il
me semble scandaleux que le gou
vernement se soit abrité derrière
la communauté scientifique pour
justifier son maintien, pour des
raisons qui risquent finalement de
paraître politiciennes.
propos recueillis par
franck johannès
« Reporter
le second tour
revient
à annuler
le premier,
y compris pour
les maires réélus
dimanche »
Les concours et examens reportés
Le maintien des concours n’aura pas tenu longtemps. Les minis-
tères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur
ont annoncé dimanche 15 mars le report des examens natio-
naux et concours « pour ces trois prochaines semaines ». La me-
sure concerne le recrutement des enseignants – agrégations et
Capes – et toutes les épreuves de concours prévues jusqu’au
5 avril. « Des solutions seront trouvées au cas par cas (reports,
aménagements, etc.) », précise un communiqué. Les concours
postbac, qui concernent certaines écoles de commerce et d’in-
génieurs et les instituts d’études politiques, seront remplacés
par des examens de dossiers dans le calendrier de Parcoursup,
« qui n’est pas modifié à ce stade ». Quant aux grandes écoles
postclasses préparatoires (écoles de commerce et d’ingénieurs,
écoles normales supérieures), les épreuves étaient prévues à
partir de la mi-avril. On ignore encore si leur calendrier sera
modifié. « Pour la suite, on est en train de réfléchir à des solu-
tions alternatives, au cas où », précise-t-on au ministère de l’en-
seignement supérieur.