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MARDI 17 MARS 2020 coronavirus | 9
L’Espagne placée en confinement généralisé
Alors que le bilan est de 288 morts, Madrid a décrété samedi l’état d’alerte pour tenter d’enrayer l’épidémie
madrid correspondante
Q
uaranteneuf. Quatre.
Neuf... », crie à une fe
nêtre un Espagnol,
un carton à la main.
Le numéro est répété
par un voisin, puis un autre, jus
qu’à ce qu’il fasse le tour de la cour
d’immeubles, de fenêtres en bal
cons, où une vingtaine de person
nes participent à bonne distance
à ce loto entre voisins, organisé
pour tuer le temps et maintenir
un semblant de vie sociale, à
l’heure du confinement généra
lisé en Espagne.
Le gouvernement espagnol a, en
effet, publié, samedi 14 mars, peu
avant minuit, le décret instaurant
l’état d’alerte pour une durée mi
nimale de quinze jours dans tout
le pays, afin de lutter contre l’ex
pansion galopante de la pandé
mie due au Covid19, dont le der
nier bilan faisait état, dimanche,
de 7 753 cas et 288 morts. L’Espa
gne est devenue le deuxième pays
européen le plus touché. L’épicen
tre, Madrid, inquiète particulière
ment les experts : le nombre de
décès y est passé de 86 à 213 en
vingtquatre heures.
Mais toutes les régions, sans ex
ception, sont touchées. « Les me
sures que nous prenons sont dras
tiques et auront malheureusement
des conséquences sur la vie de l’en
semble de la population », a expli
qué, plus grave que jamais, le pré
sident du gouvernement espa
gnol, le socialiste Pedro Sanchez,
dont l’épouse a été testée positive,
tout comme deux ministres du
gouvernement, celle de la fonc
tion publique, Carolina Darias, et
celle de l’égalité, Irene Montero.
Terminé, les mesures de conten
tion partielles et progressives.
Dans toute l’Espagne, la liberté de
circulation a été suspendue et
l’isolement presque total de la po
pulation a été ordonné. Les Espa
gnols ne peuvent sortir de chez
eux que pour se rendre à leur tra
vail, si celuici ne peut pas être ef
fectué depuis leur domicile, ainsi
que pour acheter des produits ali
mentaires ou de première néces
sité, se rendre à la pharmacie ou à
la banque, ou encore aider des
personnes dépendantes. L’armée
a commencé à se déployer dans
les villes, dimanche, afin de veiller
au respect de ces consignes.
Plus de raisons de sortir
La veille, déjà, à Madrid, la police
municipale conseillait aux gens
se promenant dehors de rentrer
chez eux, notamment grâce à des
hautparleurs installés sur des
drones. Des sanctions allant de
100 euros d’amende à un an de
prison à ceux qui ne respectent
pas le confinement pourront être
imposées. Ce qui devrait finir de
décourager les rares réfractaires
qui, dimanche, ont bravé les inter
dits pour faire un footing ou sim
plement prendre l’air.
Du reste, il n’y a plus de vérita
bles raisons de sortir. Sans sur
prise, toutes les fêtes sont officiel
lement interdites : les Fallas de
Valence et la Semaine sainte de Sé
ville ont été suspendues pour la
première fois depuis la guerre
civile (19361939). Les discothè
ques, les parcs et même les plages
sont clôturés. Tous les commerces
ont fermé leurs portes, à l’excep
tion des magasins d’alimentation,
des pharmacies et opticiens, des
kiosques à journaux et bureaux de
tabac, des boutiques de télépho
nie et d’informatique, des sta
tionsservice et des blanchisse
ries. Les cérémonies funéraires et
les messes sont restreintes. Toutes
les classes, de la crèche à l’univer
sité, sont suspendues, au profit, si
possible, de cours en ligne. La cir
culation et la capacité des trains,
avions et cars sont réduites drasti
quement afin d’éviter les agglo
mérations. Les partis politiques
devaient décider, lundi 16 mars,
du report, probable, des élections
régionales basques et galiciennes,
prévues le 5 avril, jugées « peu rai
sonnables » par M. Sanchez.
C’est dans une véritable guerre
contre le virus que s’est lancée
l’Espagne. Tous les moyens sani
taires « civils et militaires, publics
et privés » ont été mis à disposi
tion des besoins de la santé publi
que. Les responsables de santé ré
gionaux disposeront des clini
ques privées en fonction des be
soins. Et le ministre de la santé,
Salvador Illa, a annoncé, diman
che, que tous ceux, particuliers et
entreprises, qui disposent de
stocks de masques, gants et lunet
tes de protection sanitaire, de kits
de diagnostic du nouveau corona
virus, de gel hydroalcoolique et
d’appareils de ventilation artifi
cielle, doivent se faire connaître
des autorités dans un délai de
quarantehuit heures, sous peine
de sanctions.
Cavalier seul catalan
Afin de renforcer le personnel
médical, tous les contrats d’inter
nes en médecine seront prolon
gés. Les étudiants qui ont réussi
leurs examens mais n’ont pas ob
tenu de places, ou ceux dont le di
plôme européen n’a pas été en
core validé, pourront être embau
chés. Tous les médecins à la re
traite âgés de moins de 70 ans
devront être disponibles en cas
de besoins urgents.
Toutes les forces de police muni
cipales et régionales ont été pla
cées, pour leur part, sous le com
mandement unique du ministère
espagnol de l’intérieur. « L’auto
rité compétente sur tout le terri
toire sera le gouvernement d’Espa
« Il n’y a pas
de couleurs
politiques qui
vaillent, pas
d’idéologies, pas
de territoires : la
priorité, ce sont
les citoyens »
PEDRO SANCHEZ
président du gouvernement
gne », a résumé M. Sanchez. Une
affirmation qui a provoqué la co
lère des présidents nationalistes
des régions autonomes basque et
catalane, lesquels se sont soule
vés contre ce qu’ils ont considéré
comme une « recentralisation ».
« Il n’y a pas de couleurs politiques
qui vaillent, pas d’idéologies, pas
de territoires : la priorité, ce sont les
citoyens », a tranché M. Sanchez.
Dimanche, après une visiocon
férence de quatre heures entre
M. Sanchez et l’ensemble des
hauts responsables régionaux,
tous se sont pliés aux directives
du gouvernement espagnol. Seul
l’indépendantiste catalan radical
Quim Torra s’est démarqué des
autres, refusant de signer la
déclaration conjointe des prési
dents de région. Un texte qui
défend une coopération étroite
pour stopper le virus, de manière
à garantir l’égalité des soins pour
tous les citoyens, où qu’ils
résident.
sandrine morel
Les hôpitaux grecs usés
par dix ans d’austérité
Le gouvernement limite les mouvements et
annonce le recrutement de 2 000 infirmiers
athènes correspondance
L
a situation est grave et né
cessite la responsabilité de
tous. Nous évitons les lieux
publics avec du monde », a déclaré
le premier ministre grec, Kyriakos
Mitsotakis, samedi 14 mars au
soir, dans une allocution télévisée.
Avec 331 cas de coronavirus et
4 morts, le gouvernement a dé
cidé d’agir vite pour enrayer la
propagation du virus et éviter de
surcharger les hôpitaux publics
qui, après dix années d’austérité,
pourraient difficilement faire face
à un scénario à l’italienne.
Ce weekend, les rues d’Athènes
étaient désertes malgré une cha
leur printanière. Quelques cita
dins avaient rejoint les plages de la
riviera ou se baladaient dans les
montagnes entourant la capitale.
Mais samedi soir, face à l’afflux sur
les plages privées, le premier mi
nistre a décrété leur fermeture. Di
manche, les liaisons aériennes
avec l’Italie et l’Espagne ont été
suspendues, les frontières avec
l’Albanie et la Macédoine du Nord
fermées. Les bateaux de croisière
ne peuvent plus accoster dans les
ports grecs. Dès lundi, l’entrée
dans les supermarchés sera con
trôlée : une personne sera autori
sée pour 10 m^2. Durant toute la se
maine, le gouvernement a an
noncé progressivement la ferme
ture des écoles et universités, des
cinémas, théâtres, tribunaux, mu
sées, sites archéologiques et cen
tres commerciaux. Seuls les super
marchés, commerces de détail,
pharmacies, cabinets médicaux et
lieux de culte restent ouverts. De
puis jeudi, 96 personnes ayant en
freint ces mesures ont été arrêtées.
Si le gouvernement grec prend
autant de précautions, c’est que le
système de santé est à bout après
dix ans de restrictions budgétai
res. Depuis 2010, en raison de la
crise économique, près de 850 cli
niques de proximité et 11 hôpitaux
ont fermé, soit environ 2 000 lits
qui ont été supprimés. En 2017, se
lon l’OCDE, il existait en Grèce
4,2 lits pour 1 000 habitants contre
6 pour 1 000 en France. Le plus
grand hôpital d’Athènes, à Evange
lismos, aurait besoin de 1 000 per
sonnes supplémentaires, selon
Ilias Sioras, représentant du per
sonnel de l’hôpital : « Les autorités
nous assurent que nous avons des
masques et du matériel, mais nous
ne sommes pas encore arrivés au
pic des entrées dans les hôpitaux. »
Inquiétude à Lesbos
Lundi, le gouvernement a an
noncé que le budget du ministère
de la santé serait renforcé de
15 millions d’euros et que 2 000
infirmiers et médecins seront re
crutés d’ici deux semaines. Le mi
nistère a demandé aux cliniques
de mettre 180 lits à disposition.
Reste la question des 42 000 de
mandeurs d’asile coincés sur les
îles de la mer Egée, surtout après le
test positif d’une habitante de Les
bos. Médecins sans frontières a ap
pelé, vendredi, à l’évacuation des
camps. Selon Hilde Vochten, coor
dinatrice médicale MSF en Grèce,
« dans certaines parties du camp de
Moria, il n’y a qu’un seul point d’eau
pour 1 300 personnes et pas de sa
von. Des familles de cinq ou six per
sonnes doivent dormir dans des es
paces ne dépassant pas 3 m². Les
mesures recommandées comme le
lavage fréquent des mains et la dis
tanciation sociale pour prévenir la
propagation du virus sont tout
simplement impossibles ».
marina rafenberg