LE
COMMENTAIRE
de Jean-Paul Betbeze
Les Américains sont-ils devenus socialistes?
J
oe Biden a remporté la pri-
maire en Caroline du Sud,
avec 48 %, contre Bernie
Sanders 20 %, Tom Steyer 11,8 % et
Pete Buttigieg (qui depuis a jeté
l’éponge). Sa première victoire va-
t-elle renverser la dynamique San-
ders? Pas encore, pour les sondages
tout au moins : Sanders reste, selon
eux, le candidat démocrate qui sera
nominé mi-juillet. Il aurait, selon
FiveThirtyEight le 2 mars, 1.626 délé-
gués, contre 1.430 pour Joe Biden,
603 pour Michael Bloomberg,
203 pour Elizabeth Warren et 65
pour Amy Klobuchar (qui vient de se
désister au profit de Biden). Selon
YouGov (sondage du 26-27 février), il
l’emporterait sur Donald Trump
avec 48 % des voix contre 42 %. Mais,
selon RealClearPolitics le 28 février,
si Sanders gagne contre Trump
(48 % contre 42 %), c’est aussi vrai
pour Biden (49 % contre 41 %),
Bloomberg (48 % contre 40 %), But-
tigieg (45 % contre 42 %) et Warren
(48 % contre 43 %)! Tous les préten-
dants démocrates peuvent l’empor-
ter sur Trump, et si c’est Sanders le
mieux placé, c’est qu’il a gagné les
premières primaires!
De fait, Sanders est bien parti
grâce au soutien des jeunes et des
diplômés à son programme. Ce bon
départ a été renforcé par sa victoire
dans le Nevada, en attendant le
Super Tuesday le 4 mars. Avec 1.
délégués en jeu, il devrait être décisif.
pourrait-il vraiment vaincre
Trump?
Le programme Sanders est très
généreux : « Medical for All, Green
New Deal, College for All, Cancel
student debt, Housing for All, Jobs
for All... » Pour le financer, Sanders
taxerait « la richesse extrême », au-
delà de 32 millions de dollars, pour
récolter 4,35 milliards de dollars.
Les sociétés de plus de 100 millions
de dollars de chiffre d’affaires, où
l’écart de salaire est trop élevé entre
le patron et le salarié médian, paie-
raient plus d’impôts. « Fondamen-
talement, il s’agit de faire passer la
richesse aux mains des travailleurs
qui la créent », écrit-il. Wall Street
n’aime pas. La promesse du College
for All coûterait 2,2 trillions de dol-
lars, mais une « modeste taxe » sur
la spéculation à Wall Street en rap-
portera 2,4. La Sécurité sociale
serait, quant à elle, payée par les
Américains gagnant plus de
250.000 dollars par an.
Il y a pourtant très p eu de chiffres
dans les débats entre candidats
démocrates : chacun cherche « la »
phrase! Sur le site de Sanders, bien
malin celui qui trouvera le coût
total de ses promesses et des res-
sources pour les payer!
Jean-Paul Betbeze est
professeur émérite de sciences
économiques et membre
du Cercle des économistes.
Dans le Nevada, Bernie Sanders a
gagné un Etat où figurent toutes les
composantes américaines : il aurait
eu 27 % des voix des Noirs (point fort
de Joe Biden) et 53 % des Hispani-
ques, gagnant aussi sur toutes les
tranches d’âge, les plus de 65 ans
exceptés. Le favori de presque tous!
Mais Sanders, même « socialiste »,
Sur le site de Sanders,
bien malin celui
qui trouvera le coût
total de ses promesses
et des ressources
pour les payer
Les banques
européennes face au
mercato des patrons
Thibaut Madelin
@ThibautMadelin
Pour les banques européennes, les
dernières semaines ont ressemblé à
un grand mercato, rappelant les
transferts de j oueurs d e football. Tid-
jane Thiam a subitement quitté Cre-
dit Suisse, où le patron franco-ivoi-
rien a été remplacé par Thomas
Gottstein, dirigeant de la filiale
suisse du groupe. UBS a annoncé le
départ surprise de Sergio Ermotti,
qui va présider le conseil du réassu-
reur Swiss Re. Il sera remplacé en fin
d’année par Ralph Hamers, actuel
CEO du néerlandais ING, qui doit
maintenant lui trouver un succes-
seur. Ailleurs en Europe, ABN
AMRO, Danske, ou RBS se sont
dotés de nouvelles têtes ces derniers
mois. Après le refus du Français
Jean-Pierre Mustier, le géant britan-
nique HSBC doit, de son côté, relan-
cer la recherche du successeur de
John Flint, débarqué l’été dernier.
Chez Barclays, le patron Jes Staley
est fragilisé par u ne e nquête du régu-
lateur britannique sur ses liens pas-
sés avec Jeffrey Epstein, le financier
américain accusé de pédophilie et
retrouvé mort en prison l’é té dernier.
Enfin, S ociété Générale p ourrait être
amené à chercher un successeur à
Frédéric Oudéa, en poste depuis
douze ans, avant la fin de son man-
dat en 2023. En l’espace de douze à
dix-huit mois, une majorité des ban-
ques européennes auront sans
doute changé de capitaine.
Cette concomitance est sans
doute le fruit du h asard. Le départ de
Tidjane Thiam est lié à une rocam-
bolesque affaire d’espionnage. Celui
de Ralph Hamers d’ING, où il a géré
la t ransformation numérique, est lié
à son arrivée (inattendue) chez UBS.
Les affres de HSBC témoignent de
questions plus profondes au sein du
fleuron de la finance britannique.
Mais ces départs braquent le projec-
teur sur u n défi majeur p our les ban-
ques européennes, déjà confrontées
à une série de difficultés (rentabilité
en berne, transformation numéri-
que, contrainte r églementaire, com-
pétition américaine...) : celui de
trouver la perle rare. « Il y a un vrai
sujet sur le vivier de candidats poten-
tiels », déplore une chasseuse de
têtes. Le « talent pool », comme on
dit dans le jargon, s’est atrophié.
« Depuis la crise financière, le secteur
ne produit plus de talents », ajoute un
autre expert du recrutement. Les
raisons ne manquent pas. Alors
qu’e lles n’avaient d’yeux que pour la
croissance et l’innovation dans les
années 1990 et 2000, elles sont
depuis dix ans occupées à réduire la
voilure et se conformer aux régle-
mentations.
Si les institutions financières res-
tent des repères d e diplômés
brillants, une partie d’e ntre eux ont
suivi le mouvement des capitaux
depuis la crise : ils ont rejoint des
fonds ou des fintechs, des structures
plus légères, moins bureaucrati-
ques, dont la croissance n’est pas
freinée par la régulation. En France,
le gestionnaire d’actifs Tikehau
Capital n’a pas de difficultés à
embaucher les déçus de BNP Pari-
bas ou de Société Générale. Témoin
du changement générationnel : le
fils de l’ancien patron de BNP Pari-
bas, Alexandre Prot, a choisi de fon-
der sa propre structure, Qonto, une
banque pour les start-up. Les jeunes
ne cherchent pas seulement un envi-
ronnement de travail moins hiérar-
chique et plus moderne. Ils sont
aussi sensibles aux valeurs véhicu-
lées par leur employeur, d’une part,
et la rémunération d’autre part. Or
les banques européennes ne peu-
vent rivaliser ni avec leurs rivales
américaines, ni avec les fonds de
capital- investissement, où les som-
mes peuvent monter très haut.
Cette attrition de talents compli-
que la tâche déjà compliquée des
conseils pour trouver la perle rare,
dont le portrait-robot a évolué. « On
ne recherche pas forcément les
mêmes profils qu’après la crise, où la
priorité était de recruter des experts
ayant un solide track record de finan-
cier », explique Florence Soulé de
Lafont, spécialiste du secteur ban-
caire au sein du cabinet de recrute-
ment Heidrick & Struggles. Selon
elle, on cherche aujourd’hui quel-
qu’un qui maîtrise la banque, mais
aussi les nouvelles technologies, qui
ait un profil multiculturel, com-
prenne les évolutions des clients,
puisse inspirer les jeunes généra-
tions et incarner une culture inclu-
sive et responsable... « Il faut des gens
qui ont une bonne vision du système,
mais aussi des compétences plus soft,
dont la capacité à entraîner les équi-
pes et redonner une fierté à un métier
qui a souffert », ajoute un confrère.
« C’est une fonction qui demande pas
mal de compétences spécifiques,
témoigne le dirigeant d’une banque
européenne. Un grand banquier
d’affaires ne fait pas forcément un
grand patron de banque. »
Figurant de plus en plus sous la
pression du superviseur pour assu-
rer des plans de succession, les
conseils d’administration des ban-
ques européennes ont manifeste-
ment accéléré ce travail d epuis deux
ou trois ans. Mais ils dépendent
pour cela de directeurs généraux
qui ne sont pas forcément enclins à
préparer leur propre départ. Par
ailleurs, avant d’embaucher le can-
didat ou la candidate idéale, leurs
membres doivent avoir une vague
idée de leur groupe dans cinq ou dix
ans. « Il faut un consensus du conseil
sur la stratégie », juge Florence S oulé
de Lafont. Une gageure dans un sec-
teur qui n’a jamais été autant boule-
versé. Inversement, un conseil qui
arrête une stratégie avant même
d’avoir un patron de plein exercice,
comme vient de le faire HSBC, n’est
pas du meilleur goût, ni pour le
patron intérimaire, Noel Quinn, lui-
même candidat, ni pour un éventuel
candidat externe. Cette dissociation
entre le directeur général et le prési-
dent du conseil – propre aux ban-
ques et imposée par le régulateur –
est d’ailleurs un enjeu clé, selon un
grand banquier. L’équilibre entre les
deux personnalités peut s’avérer
subtil. Voire impossible. L’an der-
nier, Santander a ainsi dû renoncer
au recrutement du banquier star
d’UBS Andrea Orcel, que sa prési-
dente, Ana Botin, avait annoncé
quatre mois plus tôt.n
L'ANALYSE
DE LA RÉDACTION
Credit Suisse, UBS,
ING, HSBC... Ces
dernières semaines,
on ne compte plus
les grandes banques
à la recherche d’un
nouveau dirigeant.
C’est que les bons
profils se font rares,
Sans compter la
difficulté à diriger
des groupes bancai-
res dont la stratégie
est en mutation
profonde.
Pascal Garnier pour
« Le
s Echos »
D
Les points à retenir
- Déjà confrontées à de
nombreuses difficultés, les
banques européennes doivent
en plus relever un défi majeur :
trouver un nouveau dirigeant
dans un vivier « atrophié ». - Une partie des responsables
de haut niveau ont rejoint
des structures plus légères,
comme les fonds
ou les fintechs. - Pour compliquer
la recherche, les perles rares
doivent maîtriser les nouvelles
technologies, avoir un profil
multiculturel, etc. - Enfin, pour séduire les
candidats, les conseils
d’administration doivent avoir
une stratégie claire à moyen
terme. Une gageure dans
un secteur qui n’a jamais été
autant bouleversé.
Les Echos Mercredi 4 mars 2020 // 11