Les Echos - 04.03.2020

(Darren Dugan) #1

12 // IDEES & DEBATS Mercredi 4 mars 2020 Les Echos


opinions


10 commandements à suivre


en temps de crise sanitaire


dans leurs marchés comme en
Bourse.
Deuxième enseignement : « Dire la
vérité, t oute l a vérité, r ien q ue la vérité. »
Dans une société où tout finit par se
savoir, le silence des autorités chinoises
pendant vingt jours est de nature à
sérieusement éroder le lien de con-
fiance entre l’exécutif et le peuple,
comme le silence autour de Tchernobyl
a créé les conditions de l’effondrement
du régime soviétique. Dans une crise, il
est impératif de dire la vérité à ses « sta-
keholders », pour garder une légitimité
à agir, et pour faire partager le senti-
ment d’urgence, sans lequel personne
ne se mobilise. En revanche, trop en
faire, jouer la surenchère médiatique
abîme aussi sûrement l’autorité, en
même temps que l’hystérisation de la
peur paralyse l’action.
Enfin, faire le choix de l’optimisme.
L’optimisme n’est pas, en temps de crise,
une prédisposition naturelle à voir la vie
en rose. Mais un choix délibéré, moteur
et efficace. De la même façon qu’il n’y a
pas de pessimistes riches, les chefs de
guerre victorieux ne doutent pas de
l’issue du combat, quelle que soit leur
situation. Les géants du XXe siècle en
Occident – Churchill, de Gaulle, Roose-
velt – étaient, l’un alcoolique dépressif ;
l’autre mû par une vision tragique de
l’histoire, vie personnelle incluse ; le
troisième, dandy patricien fauché à 39
ans par une forme de poliomyélite qui
l’a cloué sur un fauteuil pour le restant
de sa vie. La vertu cardinale de la gestion
de crise, c’est l’optimisme de l’intelli-
gence. Pour prendre à rebours le slogan
du communiste Gramsci : pessimisme
de l’intelligence, optimisme de la
volonté.
Les organisations, entreprises e t pays
qui sortent renforcés d’une crise
majeure ne sont pas seulement les plus
agiles, ou ceux qui ont su se doter d’un
trésor de guerre pour tenir un siège ou
livrer une bataille. Ce sont les gardiens
agissants d’une vision positive de leur
avenir. Ceux qui posent des actes non
seulement pour traverser les vingt pro-
chains jours, mais les vingt prochaines
années.

Ed ouard Tétreau est associé-gérant
de Mediafin.

tous les esprits : dans le doute, on
ferme, on annule ou l’on diffère. Résul-
tat : la prévision de croissance mon-
diale vient d’être divisée par deux par
l’OCDE, de 3 % à 1,5 %.
Je ne suis pas épidémiologiste et
m’abstiendrai de tout jugement et
pronostic sur la gravité du virus, et
sur son développement avec l’arrivée
du printemps et la hausse des tempé-
ratures. J’ai en revanche eu la chance
d’enseigner le management de crises,
notamment financières. L’expé-
rience de grands dirigeants d’entre-
prise, de militaires et de responsables
politiques ayant affronté des épreu-
ves aussi graves que soudaines, m’a
permis d’identifier 10 commande-
ments pour sortir vivant – et plus fort


  • des crises. Parmi ces commande-
    ments, les trois premiers sont peut-
    être ici utiles.


Tout d’abord, la crise, comme
l’exprime l’anagramme chinois wei ji
est à la fois un risque et une opportu-
nité. Nous sommes tous obnubilés
par le risque, au point de négliger les
opportunités que recèle cette crise.
Elle est d’abord l’o ccasion de vérifier
la capacité de réponse de notre
société – Etat, système de soins, entre-
prises, f amilles, organisations –, pour
le jour où nous subirions une attaque
similaire, informatique ou biologi-
que, subie ou décidée par un adver-
saire. Le premier des commande-
ments de la gestion de crise, c’est
d’être prêt. Ensuite, la crise va faire
naître, pour les organisations les p lus
agiles, des opportunités rares de
consolidation et d’investissement,

Nous sommes tous
obnubilés par le risque,
au point de négliger
les opportunités
que recèle cette crise.

Elle est d’abord
l’occasion de vérifier
la capacité de réponse
de notre société.

ÉPIDÉMIE// La crise du coronavirus est une crise de confiance. Pour
y répondre au mieux, Edouard Tétreau revient sur les grands principes
du management de crise, notamment dire la vérité et se montrer optimiste.

DANS LA PRESSE
ÉTRANGÈRE


  • Benyamin Netanyahu ne pouvait que
    se féliciter d’une éclatante victoire lors
    du troisième scrutin législatif en Israël
    en un an. Mais cette joie est loin d’être
    partagée par le « Haaretz » qui parle,
    dans son éditorial, d’« un jour noir pour
    la démocratie israélienne ». « Ce n’est pas
    seulement le centre gauche qui a perdu
    lundi. Une victoire de Netanyahu inculpé
    [pour corruption, NDLR] est une défaite
    pour l’Etat de droit » ainsi que pour tous
    les Israéliens « qui souhaitent vivre dans
    un pays où personne n’est au-dessus de la
    loi », affirme le quotidien israélien de
    gauche. Et il ne manque pas d’ajouter
    qu’« il s’agit d’un jour noir pour toute
    personne qui voulait dépasser le cauche-
    mar des années Netanyahu au pouvoir
    qui ont été caractérisées par l’incitation à
    la haine, la division et le racisme ».
    Or, à la différence des deux précé-
    dents scrutins, cette fois-ci Netanyahu
    se présentait, non plus comme simple
    suspect, mais « comme une personne
    inculpée de corruption, de fraude et
    d’abus de confiance dans trois affaires
    distinctes ». Son procès s’ouvre
    d’ailleurs le 17 mars prochain. Pour le
    journal, le scrutin de lundi est u n vote de
    défiance à l’égard du système légal, la
    police, la justice et du procureur géné-
    ral. Ce qu’il redoute le plus, au-delà des
    protections juridiques que va tenter
    d’obtenir le Premier ministre, c’est de
    voir, comme le souhaite Naftali Bennett,
    le chef de la coalition de droite, « un gou-
    vernement de souveraineté » q ui
    annexera des territoires palestiniens
    créant ainsi dans les faits un régime
    d’apartheid, en violation de toutes les
    lois internationales. « Pour appliquer
    une politique corrompue, il faut un Pre-
    mier ministre corrompu », dit le journal.
    Reste néanmoins que la participation a
    été de 71 % environ, p lus que les s crutins
    précédents. — J. H.-R.


Israël : immense
déception à gauche

LE MEILLEUR DU


CERCLE DES ÉCHOS


Coronavirus : éloge


de la quarantaine


Les mesures de quarantaine n’arrêteront
évidemment pas le coronavirus, écrit
l’épidémiologiste Benjamin Queyriaux. La
mise à l’écart des personnes contagieuses
ou susceptibles de l’être repousse
en revanche le pic de l’épidémie et laisse
davantage de temps aux services sanitaires
pour s’organiser.


LISS AGE Is« olement, confinement [...],
limitation des mouvements... toutes ces
formes de quarantaine sont utilisées depuis
des siècles. [...] Elles permettent de gagner du
temps, ce qui est fondamental lors des crises
sanitaires. [...] Repousser le pic épidémique ne
réduit pas le nombre de cas, ni le nombre de
décès, tant qu’un vaccin, un traitement ou
une prophylaxie ne sont pas disponibles. [...]
Le nombre de patients est cependant lissé
dans le temps, ce qui permet au système de
santé, médecine de ville et hospitalière, de
faire face à l’afflux massif de patients [...]. »


RIPOSTE Ralentir« la propagation du virus
dans l’espace par des mesures de restriction
des mouvements permet d’utiliser les zones
non encore impactées comme réserve de
personnel et de matériel. [...] Cela donne un
peu plus de temps aux chercheurs pour
trouver, et aux industriels pour produire des
solutions thérapeutiques et prophylactiques.
Cela laisse également aux usines le temps de
produire assez des matériels nécessaires aux
mesures barrières : masques, chasubles,
solutions hydroalcooliques... »


CHINE En Chine, des millions de personnes «
se sont retrouvées confinées et interdites
de mouvement et de rassemblement, dans
une ampleur inédite. [...] La Chine a permis
au reste du monde de se préparer à faire face
et de commencer à travailler à trouver
des solutions. En cela, la quarantaine
à la chinoise est un succès. »


a
Lire l’intégralité sur Le Cercle
lesechos.fr/idee-debats/cercle


M


ademoiselle, êtes-vous certaine
de nous avoir absolument tout
dit? » Pour lutter contre la
double épidémie de panique et de coro-
navirus qui parcourt le monde, inspi-
rons-nous d’un chef-d’œuvre de l’art
cinématographique occidental des
années 1980 : « Y a-t-il un pilote dans
l’avion? » Dans cette ode au mauvais
goût, qui ne survivrait pas aux ciseaux
des tristes censeurs de notre époque,
une scène clé est celle de la panique
générale s’installant dans l’avion. Lors-
que l’hôtesse, après avoir égrené et exa-
géré les drames subis par le vol (des
astéroïdes frappant le fuselage, un sys-
tème de navigation détruit...), doit
avouer l’inavouable – il n’y a plus de café
à bord – l’émeute s’installe alors, provo-
quant chaos et pugilats. Du « don’t
panic » au « ok, panic ».
La crise du coronavirus, parce que
c’en est une, est d’abord une crise de
confiance. Les autorités chinoises ont-
elles donné les bonnes statistiques?
Seulement 3.000 morts sur 83.
personnes touchées, ce qui est déri-
soire par rapport à un épisode de
grippe classique, tuant entre 290.
et 650.000 personnes chaque année,
selon l’OMS. Ou, après avoir perdu la
face et tenté de contenir l’information
pendant vingt jours, aggravant ainsi
l’épidémie, la Chine a-t-elle minoré
l’ampleur de l’épidémie? L es Etats ont-
ils pris la mesure de la situation? Ont-
ils les moyens de faire face, alors que
les caméras t hermiques et les masques
manquent? Et mon entreprise, en fait-
elle suffisamment pour me protéger?
Dois-je porter plainte si mon
employeur me serre la main?
Le virus de la méfiance semble
encore plus véloce et corrosif que le
Covid-19. Les Anglo-Saxons l’ont
résumé en deux mots de quatre let-
tres : « doom loop ». La boucle du mal-
heur. Une spirale de mort qui gagne

LA
CHRONIQUE
de Edouard
Tétreau

LE LIVRE
DU JOUR

Pour un islam
moderne

L’ INTÉRÊT Une lecture libérale de
l’islam, intéressante à l’heure où
une version anti-occidentale de la
religion musulmane sur les droits
des femmes et la laïcité, s’impose
dans de larges parties du monde, en
particulier auprès d’une partie des
jeunes Français d’origine immigrée.

L’AUTEUR P hysicien de formation,
Malik Bezouh est un essayiste, jadis
proche de la Confrérie des Frères
musulmans, dont les travaux sont
centrés sur l’islam en France,
sa perception, son évolution et
les troubles identitaires d’une
partie de la jeunesse de confession
ou d’origine musulmane.

LE PROPOS L ’ouvrage dénonce
les « tabous mortifères »
et « l’intransigeance théologique »
de l’islam conservateur,
« l’inconsistance de l’islamisme »
et du wahhabisme (l’idéologie
saoudienne). S’appuyant sur
le rationalisme d’un Averroès,
l’humour de Nasreddin, le
« Voltaire musulman » du
XIIIe siè cle, la psychologie sociale et
les neurosciences, il prône une
« théologie islamique de libération »
qui valorise le doute et la méthode

et reconnaît le droit
à l’homosexualité (qu’au nom
d’un déterminisme biologique
on ne saurait juger), au blasphème
et à l’apostasie, qui ne seraient,
curieusement, pas proscrits
explicitement par Mahomet!
L’islam, monde complexe
et hétérogène, doit se livrer à un
véritable examen de conscience ou
périr, estime l’auteur. Une lecture
originale du Coran, s’appuyant sur
des citations de sourates libérales,
peu nombreuses toutefois.
— Yves Bourdillon

Ils ont trahi Allah
Malik Bezouh, Editions de
l’Observatoire, 269 pages, 19 euros.

L’armée coréenne procède à une opération de désinfection dans la ville de Daegu, le 2 mars. Photo Yonhap/AFP
Free download pdf