Les Echos - 04.03.2020

(Darren Dugan) #1

TRANSPORT// La maire


de Paris, Anne Hidalgo,


a fait du développement


du vélo un marqueur de


sa campagne électorale.


Elle se présente devant


les électeurs avec


un bilan cyclable en


demi-teinte. La pratique


du vélo s’est nettement


développée ces derniers


mois, même si le Vélib’


reste convalescent.


Adrien Lelièvre
@Lelievre_Adrien


A


ujourd’hui, beaucoup de Parisiens et
de Franciliens considèrent que le
vélo leur offre une liberté nouvelle de
se déplacer. Il faut donc s’appuyer sur la sai-
son 1 pour faire une saison 2 que les habitants
vont a-do-rer. » Il e st sur les c oups de 19 h 45,
ce mercredi 29 janvier, quand Anne
Hidalgo déclenche les rires du public d’une
salle du 6e arrondiss ement de Paris avec
cette saillie digne d’une productrice de Net-
flix. Micro à la main, l’édile socialiste est
comme un poisson dans l’eau face au jour-
naliste Gilles Dansart. Pendant un quart
d’heure, elle multiplie les propositions
chocs en faveur du vélo : soutien au « vélo-
politain » – un ambitieux réseau de pistes
cyclables – , suppression d e 60.000 places de
parking de voitures, nouvelles subventions
pour l’achat d’un vélo, baisse de la vitesse de
circulation automobile, renforcement de la
vidéoverbalisation pour protéger les pistes
cyclables...
Au total, l’héritière politique de Bertrand
Delanoë s’engage à dépenser 350 millions
d’euros pour la petite reine en cas de réélec-
tion. Une somme équivalente au plan vélo
annoncé en septembre 2018 par Edouard
Philippe pour tripler les déplacements à
bicyclette dans l’Hexagone. A la fin de son
intervention, les applaudissements fusent
dans la salle. Une élue qui vante son bilan et
promet de faire encore mieux lors de son
deuxième mandat? La chose est ordinaire.
Mais si cet événement a marqué les esprits,
c’est parce qu’A nne Hidalgo ne fut pas la
seule à parler de vélo.


Un sujet au cœur de la campagne
Chacun leur tour, Cédric Villani, Benjamin
Griveaux (depuis retiré de la course), David
Belliard et Danielle Simonnet ont rivalisé
d’idées pour faire grandir la bicyclette.
Seule absente notable : Rachida Dati (LR),
qui avait envoyé l’une de ses proches (Nelly
Garnier). Ce grand oral du vélo, organisé
par deux associations de cyclistes (Paris en
selle, Mieux se déplacer à bicyclette), témoi-
gne de la place inattendue p rise par ce mode
de transport dans la campagne municipale.
« Il y a quelques années, les seconds cou-
teaux auraient été envoyés », s’amuse Isa-
belle Lesens, conseillère déléguée à l’espace
public et aux mobilités dans le 15 e arrond is-
sement de Paris (divers droite). « C’est la
preuve que le vélo devient une évidence : tous
les candidats se sentent obligés d’en parler »,
appuie Audrey Pulvar, numéro 2 de la liste
« Paris en commun » dans le centre de la
capitale. Embouteillages, propreté, sécu-
rité, cherté du logement, endettement : les
autres thématiques n’ont pas disparu des
débats. Mais, à coup sûr, le vélo pourrait


La nouvelle piste
cyclable, gagnée sur
la chaussée de la rue
de Rivoli, est proté-
gée de la circulation
automobile par une
bordure. Photo Laurent
Grandguillot/RÉA

groupe spécialisé
dans la publicité urbaine
dénonce « une décision troublante » fondée
sur du « dumping social ». JCDecaux assure
notamment avoir obtenu une meilleure
note que s on concurrent dans les critères de
notation non financiers : exploitation,
entretien, maintenance du dispositif, com-
munication institutionnelle, suivi du ser-
vice.
Le résultat de cet appel d’offres était
d’autant plus attendu que le Vélib’
deuxième génération devait s’étendre à une
soixantaine de villes de banlieue et com-
prendre une flotte de vélos électriques. De
quoi soutenir les ambitions cyclables
d’Anne Hidalgo. Mais l’arrivée du nouvel
opérateur, le 1er jan vier 2018, a viré au cau-
chemar. Stations fermées, vélos déchargés,
système d’attache défectueux, service
clients débordé : pendant plusieurs mois, le
Vélib’ a sombré. « Le Vélib’ e st une tache n oire
dans le mandat d’Hidalgo », concède un
haut responsable de Paris en commun.
L’année 2018 a ainsi été jalonnée par les
sanctions en cascade infligées contre le
nouvel opérateur. « Il y a eu des problèmes
d’anticipation du côté de la Mairie comme de
l’opérateur », observe un bon connaisseur
du secteur, tout en rappelant la difficulté
d’électrifier le « plus grand service de vélos
partagés au monde ». Pour ne rien arranger,
la descente aux enfers du Vélib’ s’est accom-
pagnée de l’arrivée d’une ribambelle de
concurrents, séduits par les particularités
de la Ville de Paris : une densité exception-
nelle (21.000 habitants au kilomètre carré),
une accoutumance au vélo en libre-service,
un pouvoir d’achat élevé et la présence de
nombreux touristes.

Le boom du free-floating
A partir de l’hiver 2017-2018, les groupes
asiatiques Gobee. bike, Ofo, Obike et
Mobike ont transformé Paris en champ de
bataille en déversant leurs vélos en free-
floating sur les trottoirs. « Ça a été un nau-
frage. On a cru qu’on pouvait réussir avec des
vélos bas de gamme, mais on a totalement
sous-estimé le problème du vandalisme »,
rembobine un acteur du secteur. Un pro-
blème auquel Vélib’ est confronté
depuis 2007, notamment dans le nord-est
de la ville. Un an plus t ard, les s pécialistes du
free-floating avaient jeté l’éponge, à l’excep-
tion de Mobike qui vivote. Uber est le der-
nier en date à avoir tenté sa chance avec

Jump. Le
géant des VTC a
déployé 5 .000 vélos électriques
rouges. Le succès semble au rendez-vous.
« Paris est devenu notre première ville dans
le monde avec 3 millions de trajets (trottinet-
tes compris) depuis notre lancement en
avril », détaille Laureline Serieys, directrice
générale de Jump en France. Le Vélib’
remonte également la pente. Le service
revendique un nombre d’abonnés record
(plus de 310.000), même si les difficultés
sont loin d’avoir disparu. L’opérateur pro-
met une flotte de 16.000 vélos d’ici à la mi-
mars, puis 19.000 dans les mois suivants


  • l’objectif fixé dans le contrat était d’au
    moins 20.000.
    Il est vrai que, la fin du mandat appro-
    chant, le plan vélo a subi un net coup d’accé-
    lérateur, avec l’ouverture des pistes cycla-
    bles sur les grands axes (Sébastopol,
    Voltaire, Rivoli, Turbigo, etc.) et le réaména-
    gement d es grandes places (Bastille, Nation,
    Gambetta, etc.). « On se réveille un matin, et
    on a une piste cyclable en bas de chez soi », a
    raillé Rachida Dati, maire du 7e arrond isse-
    ment, qui dénonce un manque de concerta-
    tion. L’effet a été immédiat. Entre septem-
    bre 2018 et septembre 2019, la pratique du
    vélo a bondi de 54 %. Et la grève dans les
    transports publics (RATP, SNCF) contre la
    réforme des retraites est venue amplifier
    cette dynamique.


La grève dope le vélo
Fa ute de métros, trains, bus et tramways, la
fréquentation des pistes cyclables a atteint
des sommets historiques en décembre et
janvier. A certaines heures de la journée, le
nombre de vélos a même dépassé celui des
voitures sur certains boulevards! « Sur les
deux premières semaines de grève, la hausse
d’activité sur notre application était en
moyenne de 223 %, avec des trajets de 10 à
15 % plus longs », détaille Antoine Laporte
Weywada, chargé du développement de
Geovelo, le « Waze des cyclistes ». « Au-delà
de la grève, on observe que la pratique du vélo
explose quand on construit des infrastructu-
res sécurisées. Le boulevard Sébastopol est un
bel exemple : il est devenu un aspirateur à
cyclistes. »
Les compteurs installés dans la ville indi-
quent que la pratique du vélo reste soute-
nue depuis la fin du mouvement social,
même s’il est trop tôt pour savoir si les néo-
cyclistes de cet hiver vont jeter définitive-
ment leur carte RATP à la poubelle.

« La part modale du
vélo à Paris a probablement
dépassé les 5 % », observe Sébas-
tien Marrec, doctorant en aménage-
ment et urbanisme à l’université Ren-
nes-II. Elle était de 0,2 % en 1976, 1,3 % en
2001 et de 3 % en 2010, selon les enquêtes
réalisées par Ile-de-France Mobilités.
Le vélo, étiqueté symbole des bobos,
serait-il devenu consensuel? « Le discours
politique a changé. Le vélo est désormais con-
sidéré comme une solution de mobilité prati-
que et efficace, mais aussi un levier pour ren-
dre la ville plus humaine et agréable »,
poursuit le chercheur.

Selon un palmarès dévoilé en février par
la Fédération des usagers de la bicyclette,
Paris est désormais la quatrième ville de
plus de 200.000 habitants la plus cyclable
de France, derrière Strasbourg, Nantes et
Rennes. La capitale a connu la plus forte
progression entre 2017 et 2019. Tout en
saluant un « mandat historique » pour le
vélo, l’association Paris en selle juge que
seulement 56 % du linéaire d’aménage-
ments cyclables p romis en 2015 a été réalisé.
Elle regrette des progrès mitigés dans le sta-
tionnement vélo, un manque d’apaisement
dans les rues et un réaménagement déce-
vant des grandes places.
Le renouvellement d’Anne Hidalgo s erait
une victoire pour de nombreux cyclistes,
mais un cauchemar pour ses détracteurs,
qui redoutent de nouvelles restrictions
contre la voiture. Dans un clip de campa-
gne, l’édile socialiste joue cartes sur table
avec le slogan : « J’aime le vélo, je vote
Hidalgo. » La maire sortante y promet de
faire de Paris une ville 1 00 % cyclable. Le défi
sera de taille. Car les producteurs de série le
savent bien : il n’y a rien de plus difficile à
réaliser qu’une saison 2.n

faire pencher la balance
dans un sens ou dans l’autre,
le 15 mars prochain. Rares sont
les sujets à avoir autant noirci les
colonnes des journaux lors des six der-
nières années. Une situation qui s’explique
notamment par l’alliance politique qui a
porté Anne Hidalgo à l’Hôtel de Ville.
En 2013, les écologistes choisissent Christo-
phe Najdovski comme tête de liste aux
municipales à Paris. Arrivé en 3 e p os ition du
scrutin avec 8,86 % des voix, l’élu du
12 e arron dissement apporte au second tour
son soutien à Anne Hidalgo, qui bat Natha-
lie Kosciusko-Morizet.
En guise de récompense, il obtient le
poste d’adjoint chargé des transports, des
déplacements, de la voirie et de l’espace
public. L’o ccasion de défendre un agenda
ambitieux pour promouvoir les mobilités
actives. Un an plus tard, le Conseil de Paris
adopte à l’unanimité un plan vélo de
150 millions d’euros. Et Anne Hidalgo de
déclarer vouloir faire de Paris « la capitale
mondiale du vélo ». Une phrase q ui a dû faire
sourire à Amsterdam et à Copenhague...

Dans le détail, la nouvelle équipe munici-
pale prévoyait de faire passer le linéaire
cyclable de 700 à 1.400 kilomètres en cinq
ans et de créer 10.000 places de stationne-
ment vélo. « On prend de l’espace à la voiture
pour le donner au vélo », assumait dès le
départ Christophe Najdovski.
A peine lancés, les premiers chantiers
ont soulevé les c ritiques. L es a utomobilistes


  • notamment les banlieusards – ont accusé
    Anne Hidalgo de provoquer des bouchons
    monstres. De leur côté, les associations
    cyclistes ont déploré la lenteur des travaux.
    En 2017, l’association Paris en selle estimait
    que 4 % du plan vélo avait été réalisé – un
    chiffre contesté par la Mairie. A ces premiè-
    res difficultés est venue s’ajouter une
    bombe à retardement : le Vélib’. En
    avril 2017, JCDecaux, l’opérateur historique
    du vélo en libre-service à Paris, annonce
    avoir perdu l’appel d’offres lancé par la Mai-
    rie contre Smovengo (un consortium réu-
    nissant Smoove, Indigo, Mobivia et Moven-
    tia). Dans un communiqué assassin, le


Les associations cyclistes
ont déploré la lenteur
des travaux.

En 2017, l’association Paris
en selle estimait que 4 %
du plan vélo avait été
réalisé – un chiffre
contesté par la Mairie.

Municipales :


le Paris


du vélo


« Au-delà de la grève,
on observe que la
pratique du vélo
explose quand
on construit des
infrastructures
sécurisées. Le
boulevard Sébastopol
est un bel exemple :
il est devenu un
aspirateur à cyclistes. »
ANTOINE LAPORTE WEYWADA
Chargé du développement de Geovelo,
le Waze des cyclistes

Les Echos Mercredi 4 mars 2020 // 15


enquête

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