Les Echos - 04.03.2020

(Darren Dugan) #1
plus d e 42.000 migrants, dans d es
camps surpeuplés où sévissent la
violence et une extrême préca-
rité. Depuis l’arrêt d es mesures d e
solidarité des Européens, en 2017,
aucune « relocalisation » des
réfugiés vers les autres pays de
l’Union n’est plus organisée, lais-
sant le pays opérer, tant bien que
mal, les enregistrements des nou-
veaux venus, le t raitement de leur
demande d’asile, toujours lon-
gue, et des renvois, en nombre
très insuffisants, vers la Turquie
et ailleurs.

Promesses déçues
A son arrivée, en juillet dernier, le
nouveau Premier ministre con-
servateur, Kyriakos Mitsotakis,
avait promis de s’attaquer à cette
situation devenue explosive dans
les îles. Le gouvernement précé-
dent, celui d’Alexis Tsipras, avait
été vivement critiqué pour son
laxisme vis-à-vis des demandeurs
d’asile, qu’il refusait de renvoyer
en Turquie sans qu’ils aient épuisé

les voies de recours auxquels ils
avaient droit.
En novembre, le gouvernement
a fait voter plusieurs textes allant
dans le sens d’un durcissement de
sa politique d’asile : renforcement
de la surveillance des frontières
terrestres et maritimes, durcisse-
ment d e la procédure, accélération
du traitement des demandes et
nouveau cadre d’obligations et de
critères pour les ONG – seules cel-
les qui s’y conformeront étant
autorisées à opérer dans le pays.
Le nouveau gouvernement
s’était aussi engagé à fermer les
camps insalubres de Lesbos,
Chios, Samos pour construire à
leur place trois centres de déten-
tion fermés de 5.000 places cha-
cun. Ces structures devaient per-
mettre de faciliter l’instruction des
dossiers d’asile et surtout le renvoi
des migrants déboutés de leur
droit à la protection. Le gouverne-
ment prévoyait 10.000 retours d’ici
à la fin 2020, contre quelques mil-
liers depuis 2016.

Lancé en novembre, ce projet de
centres f ermés s’est h eurté à l’oppo-
sition des populations locales épui-
sées par des années de bouleverse-
ment de leur environnement et qui
redoutent de voir ces centres deve-
nir permanents. Le mois dernier, le
gouvernement a temporisé et s’est
donné plus de temps.
« L’Europe considère les pays
d’arrivée comme la Grèce comme un
lieu de stationnement commode
pour les réfugiés et les migrants.
Est-ce cela la solidarité européenne?
Non. Je n’accepterai plus cela » avait
lancé Kyriakos Mitsotakis en
novembre dernier, réclamant des
sanctions contre les pays euro-
péens qui refuseraient de prendre
leur part du fardeau de réfugiés. En
vain jusqu’ici. Les Vingt-Sept sont
toujours en désaccord sur une poli-
tique commune de l’asile. La Com-
mission avait promis de mettre sur
la table une nouvelle proposition
au printemps. La situation de crise
à la frontière gréco-turque pourrait
siffler la fin de la récréation.n

La Grèce au bord de l’explosion


Catherine Chatignoux
@chatignoux

La Grèce est tout sauf prête à gérer
une nouvelle vague migratoire. Si
des forces de l’ordre déterminées
bloquent depuis samedi les mil-
liers de migrants qui s’amassent à
sa frontière terrestre avec la Tur-
quie, c’est d’abord parce que le
pays, livré à lui-même depuis des
années, n’est plus en mesure
d’accueillir de nouveaux arrivants.
Le pays d ’Homère est r edevenu
l’an dernier la première porte
d’entrée des migrants et des réfu-
giés en Europe, avec près de
75.000 arrivées, par la mer pour
l’essentiel, loin devant l’Espagne
et l’Italie. Sur les îles les plus pro-
ches de la Turquie, Lesbos, Chios,
Samos, s’entassent désormais

Av ec des camps
de migrants surpeuplés
et insalubres, la Grèce
est incapable de gérer une
nouvelle vague migratoire.

(Stats SA) sont finalement pires que
les prévisions des experts et des ins-
titutions financières : lors du der-
nier trimestre de 2019, marqué par
les délestages et l’effondrement des
entreprises publiques, l’activité du
pays a connu un recul de 1,4 %. Au
troisième trimestre, la croissance
avait déjà décliné de 0,8 %. L’Afri-
que du Sud est donc entrée de nou-
veau en récession. Sur l'ensemble
de l'année 2019, le pays a enregistré
une croissance de 0,2 %, la plus fai-
ble depuis 2009.

Effondrement
de l’investissement
L’agricul ture (–7,6 %), le transport
et les communications (–7,2 %), la
construction (–5,9 %) ont été les
freins les plus importants à l’acti-
vité. Parmi les rares points positifs,
la finance et les mines parviennent

à sortir la tête de l’eau. « Il est aussi
très inquiétant de voir que l’investis-
sement a diminué de 10 % lors de ce
dernier trimestre, ce qui constitue un
véritable effondrement », note l’éco-
nomiste Azar Jammine, directeur
d’Econometrix. L’économie sud-
africaine ne parvient donc pas à
redynamiser la croissance molle
qu’elle connaît depuis la fin de la
présidence de Jacob Zuma. Déjà
début 2018, le pays avait subi deux
trimestres de suite de recul de son
activité. Le président, Cyril Rama-
phosa, a mis en garde contre les
effets négatifs de l’épidémie d e coro-
navirus partie de Chine. Ce n'est
qu'une question de temps avant que
des cas soient déclarés en Afrique
du Sud, a-t-il estimé. « On va être
affectés assez négativement » sur le
plan économique par la propaga-
tion de l’épidémie, a-t-il prévenu.

Dans ce contexte, les prévisions du
gouvernement risquent d’être
encore trop optimistes. En 2020, la
croissance devrait être de 0,6 % et
non pas de 0,9 %.

Des groupes publics
qui plombent l’économie
Le pa ys est notamment plombé par
ses entreprises publiques, criblées
de dettes après des années de cor-
ruption. Le géant national de l’élec-
tricité Eskom, qui croule sous une
dette gigantesque de 26 milliards
d’euros, ne parvient plus à satisfaire
la demande, e t doit recourir réguliè-
rement à des délestages tournants
pour éviter que le réseau ne s’effon-
dre. Il fournit actuellement plus de
90 % de l’électricité du pays. Afin
d’améliorer l’offre, le gouverne-
ment a annoncé en début d’année
mettre fin à son monopole de pro-

duction : les municipalités seront
bientôt autorisées à se procurer
leur propre électricité auprès de
producteurs indépendants et les
mines du pays pourront également
produire leur propre énergie. Des
mesures qui prendront cependant
du temps avant d’être appliquées, et
le gouvernement devra continuer à
renflouer les caisses de la compa-
gnie nationale en attendant sa res-
tructuration.
De son côté, l a compagnie
aérienne South African Airways
(SAA) ne se porte pas mieux : cela
fait presque dix ans que l’entreprise
nationale n’a plus enregistré aucun
bénéfice, et ses quelque 5.000 sala-
riés craignent de perdre leur poste.
Une rallonge d’un peu moins d’un
milliard d ’euros sur les trois prochai-
nes années vient de lui être allouée
par le ministre des Finances.n

Claire Bargelès
— Correspondante à Johannesbourg


Les chiffres de la croissance annon-
cés ce mardi par l’Institut national
sud-africain des s tatistiques


AFRIQUE


Au deuxième semestre
2019, le pays est
à nouveau entré
en récession, pour la
troisième fois depuis
la fin de l’apartheid.


Sur l’année, il a enre-
gistré une croissance
de 0,2 %, la plus faible
depuis la crise finan-
cière de 2008-2009.


L’A frique du Sud à nouveau en récession


lLes présidents des trois grandes institutions européennes se sont rendus, mardi, à la frontière entre la Grèce et la Turquie.


lIls refusent de céder au « chantage » de la Turquie, mais savent leur marge de manœuvre réduite.


Migrants : les Européens affichent

leur solidarité avec Athènes

Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, à la frontière entre la Grèce et la Turquie, mardi, en présence
du Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, à droite. Photo Reuters

Gabriel Grésillon
@GGresillon
—Bureau de Bruxelles


Unis, mais quelque peu désempa-
rés. Les Européens ont multiplié les
signaux de solidarité, ces derniers
jours, à l’égard de la Grèce alors que
celle-ci fait face à la menace d’un
afflux de migrants en provenance
de Turquie. Le plus notable a été
envoyé conjointement par les prési-
dents des trois principales institu-
tions européennes. Ursula von der
Leyen, Charles Michel et David Sas-
soli, à la tête de la Commission euro-
péenne, du Conseil et du Parlement
européens respectivement, se sont
rendus, mardi, au poste-frontière
de Kastanies.
Au cours de cet exercice d’affi-
chage, Ursula von der Leyen s’est
dite « aux côtés » de la Grèce et a
promis à Athènes « toute l’aide
nécessaire » pour faire face à
l’afflux de milliers de migrants.
Aux côtés du Premier ministre
grec, Kyriakos Mitsotakis, elle a
promis de débloquer 700 millions
d’euros pour le pays, dont la moitié
immédiatement. La veille, la
même Ursula von der Leyen avait
assuré que « le défi que doit relever
la Grèce est un défi européen ».


Cibler Erdogan
Derrière les promesses rassuran-
tes, difficile toutefois de masquer
l’inquiétude qui saisit les Euro-
péens. Ceux-ci n’ont pas oublié la
violence d e la crise qu’ils ont traver-
sée à la suite de l’afflux massif de
migrants, en 2015 – l’Allemagne,
notamment, avait accueilli plus
d’un million de demandeurs d’asile
en 2015 et 2016.
Désormais, à défaut de disposer
d’un mécanisme européen pour se
répartir les c andidats à l’asile, c’est l a
fermeté aux frontières qui s’impose
comme l’un des rares points de con-
sensus. L’agence européenne de
surveillance des frontières, Frontex,
devrait ainsi « déployer une force
rapide » à la frontière, a promis
Ursula von der Leyen. Un navire,
deux patrouilleurs, deux hélicoptè-
res et un avion viendront s’ajouter
aux 530 garde-frontières européens
déjà présents.
De nombreuses voix se sont
aussi exprimées pour condamner
l’attitude de la Turquie, alors que


EUROPE


« Il est très
inquiétant
de voir que
l’investissement
a diminué de 10 %
lors de ce dernier
trimestre,
ce qui constitue
un véritable
effondrement. »
AZAR JAMMINE
Economiste, directeur
d’Econometrix

celle-ci actionne à nouveau le levier
des migrants pour faire pression
sur l’UE. Généralement plus tem-
pérée, Angela Merkel a donné le
ton en jugeant « inacceptable » que
le président Erdogan déploie sa
stratégie « sur le dos des réfugiés ».
Même tonalité de la part du minis-
tre français des Affaires étrangè-
res, Jean-Yves Le Drian, qui a jugé,
mardi, « absolument inacceptable »
le « chantage » de la Turquie. Q uant
à Sebastian Kurz, le chancelier
autrichien connu pour son
extrême dureté sur les questions
migratoires, il a même évoqué
« une attaque de la Turquie contre
l’Union européenne et la Grèce »,
estimant que « des êtres humains
sont utilisés pour faire pression sur
l’Europe ».

« Nous ne sommes pas en ordre
dispersé au niveau européen », a
assuré Jean-Yves Le Drian. Les
ministres de l’Intérieur de l’UE doi-
vent se réunir ce mercredi tandis
que ceux en charge des Affaires
étrangères feront d e même en fin de
semaine « afin de mettre en place les
moyens d’intervention rapide pour
soulager les autorités grecques », a
encore ajouté le chef de la diploma-
tie française.
Sur l e fond, l a marge de
manœuvre des Européens reste
toutefois étroite. Certes, une partie
de la solution pourrait venir,
comme e n 2016, d ’un accord finan-
cier. Mais c’est surtout le scénario
d’une rapide dégradation de la
situation diplomatique qui
menace : mardi, la tension est
encore montée d’un cran entre la
Russie, qui soutient l’armée
syrienne, et Ankara, du côté des
rebelles. Avec plus d’un million de
réfugiés massés depuis décembre
à la frontière turque en raison de
l’offensive d ans la province d ’Idlib,
l’ONU redoute une crise humani-
taire sans précédent au terme de
neuf années de conflit.n

L’agence européenne
de surveillance
des frontières,
Frontex, devrait
ainsi « déployer
une force rapide »,
a promis Ursula
von der Leyen.

MONDE


Les EchosMercredi 4 mars 2020

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