2 – MODE CAPITALE.
En dépit des perturbations dues à la menace du Covid-
19, les défilés auront tenu leurs promesses. Notamment
celle que fait chaque saison la capitale de réunir le meil-
leur de la création et de démontrer la puissance des
grands noms du luxe français. « Ce fut une semaine de
haute vigilance pour toutes les parties prenantes de la
Paris Fashion Week, résume Pascal Morand, président
exécutif de la Fédération de la haute couture et de la
mode. Mais qui n’en fut pas moins marquée par une
grande créativité et une grande diversité. » En effet. Est-ce
en comparaison de la noirceur ambiante et de la menace
quotidienne de devoir peut-être tout annuler? Cette sai-
son aura offert, à ceux qui ont eu la chance d’y assister,
des moments d’une incroyable qualité. À commencer
par une collection remarquable de Saint Laurent par
Anthony Vaccarello, le deuxième soir. Dans un décor
moquetté de beige qui rappelait l’appartement d’Yves
Saint Laurent, rue de Babylone, celui qui assure depuis
2016 la direction artistique de l’une des griffes françaises
les plus connues au monde a semblé rétablir un dialogue
2 - Loewe.
2 - Louis Vuitton.
2 - Valentino.
direct avec son fondateur. Libéré de ses gimmicks et du
poids des créateurs qui l’ont précédé à ce poste depuis
le départ du grand couturier, Vaccarello s’est comme
approprié une part du génie d’YSL. Absolument rien ne
sentait la naphtaline. Beauté des couleurs qui s’entre-
choquent, blouses transparentes posées sur des jambes
moulées dans du latex pourpre ou noir, fines comme un
trait au fusain, vestes croisées portées ouvertes avec les
mains dans les poches, on a retrouvé la provocation et
l’ultraféminité que maîtrisait si bien le maître, mais tail-
lée pour aujourd’hui. Voire pour demain, pourvu que les
mannequins gagnent en formes.
De couleurs franches, il fut aussi question chez Hermès.
Dans un registre équestre, les rouge vif, bleu roi, jaune
solaire et blanc optique sont venus rythmer les cuirs
beiges et bruns et ponctuer une collection lumineuse.
Non pas que les silhouettes élégantes manquent d’habi-
tude dans cette maison, mais cette fois, campées dans
de grandes bottes ou de gros souliers plats, elles
avancent d’un pas décidé vers plus de modernité. Vers
une nouvelle sensualité, plus énergique et débridée.
Côté beauté faussement classique, le public s’est aussi
régalé chez Loewe et Valentino, où ces projections de
grandes bourgeoises dingues de mode ont atteint des
sommets. Pour la marque d’origine espagnole détenue
par LVMH, Jonathan Anderson touche du doigt la per-
fection dans le choix des couleurs et des matières
luxueuses, qu’il met au service de lignes, de superposi-
tions, de volumes non dénués de théâtralité. À peine
plus sobre, Pierpaolo Piccioli réussit encore, chez
Valentino, à épater par ses robes et manteaux noirs, ses
grandes jupes et tous ses cuirs à la beauté fatale, rehaus-
sés d’accessoires irréprochables, des boucles d’oreilles
aux boots à grosses semelles et aux escarpins divins.
Enfin, si l’on connaît et apprécie l’étrange fascination
qu’exercent les créations délirantes de Rei Kawakubo,
chez Comme des garçons, on trouve aussi depuis
quelque temps matière à halluciner chez Balenciaga.
Ces deux univers créatifs puissants ne sont pas compa-
rables, mais leur force l’est. Faisant alterner la grâce et
la caricature avec la même habileté, Demna Gvasalia a
encore pris son public dans ses filets. Sa vision apoca-
lyptique, traversée d’éclairs d’optimisme, sert une fois
encore un vestiaire inventif et relativement pragma-
tique, où les robes-leggings moulantes, les épaules
démentielles en pointe, les robes de chambre « de
jour » à la frontière du kitsch, les austères tenues de
clergé ou les minaudières façon « lunch box » croisent
de sublimes robes plissées imprimées, des maillots de
foot de l’équipe Balenciaga que les fans veulent tous
intégrer ou le sac Classic, apparu dans cette maison
sous l’ère Nicolas Ghesquière, qui ressort, pour fêter ses
20 ans, en version XXL sous le nom de Neo Classic. Car,
ici, la nouveauté prévaut. Mieux, la surprise. Ce qui
confirme que, en termes de luxe achevé et d’extrême
créativité, cette saison Paris n’a pas failli.
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LE GOÛT
Valentino. Molly SJ Lowe. Louis Vuitton