Le Monde - 14.03.2020

(WallPaper) #1

5 – SEINE ALTERNATIVE.
Dans une ambiance énergique et joyeuse,
KENNETH IZE, 29 ans, a défilé pour la première
fois à Paris. Personnalité solaire et attachante,
finaliste du prix LVMH 2019, diplômé de l’Univer-
sité des arts appliqués de Vienne, le designer
nigérian a fondé sa marque en 2013. Son studio
est installé à Lagos, dans le quartier de Sabo
Yaba, où il produit ses tissus selon la technique
traditionnelle de tissage imaginée par les Yorubas
(peuple du sud-ouest du pays). Il réinterprète le
fameux aso oke, cette étoffe nigériane ultracolo-
rée, portée autrefois lors des cérémonies et tissée
à la main, à partir de fils de coton. Une technique
ancestrale qui tend à disparaître... Kenneth Ize
milite pour que les écoles nigérianes enseignent
l’art du tissage et ainsi conservent ce savoir-faire.
Avec ses manteaux tailleurs, ses pantalons loose
frangés et ses rayures bigarrées et flashy, le créa-
teur impose sa patte, en tout optimisme. Et, pour
fermer le show, il a fait appel à Naomi Campbell,
l’un de ses plus fidèles soutiens.


En trois ans, le duo KWAIDAN EDITIONS s’est fait
une place dans le calendrier parisien, jusqu’à
séduire un tas d’acheteurs de magasins pointus,
de rédacteurs et stylistes réputés. Ils étaient pré-
sents le 29 février salle Wagram, tous debout
comme à un concert, pour voir parader leurs
héroïnes paradoxales. « Nous avons imaginé une
femme qui, depuis son quotidien, monterait sur
scène, avec cette idée de la féminité comme une
performance », explique Léa Dickely, qui a tra-
vaillé entourée de photos de PJ Harvey. En trente
et une silhouettes, la collection passe de l’uni-
forme protecteur (tailleur, manteau) aux tenues
excentriques d’une artiste en représentation
(jupe ultraviolette, pantalon argent, ensemble
léopard...) « Avec nous, poursuit Hung La, la


sophistication se mêle à une dose de perversion. »
La Française et l’Américain, tombés amoureux à
l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, ont
d’abord travaillé pour d’autres  : elle pour
Balmain, Rick Owens ou McQueen ; lui pour
Balenciaga ou Celine. Au moment de s’exprimer,
le couple a choisi pour nom de baptême Kwaidan,
le titre d’un film japonais de fantômes de Masaki
Kobayashi sorti en 1965 qu’ils avaient découvert
ensemble.

Robe à double encolure qui vrille sur l’épaule,
veste en forme d’accordéon, blouson mille-
feuille... Les faux plis et les trompe-l’œil se mul-
tiplient, les pièces semblent se dédoubler, se
détripler. Tout est détourné, déconstruit ; tout
s’entortille, s’entrecroise. Mais les vêtements
tiennent et tombent parfaitement, c’est la magie
de Y/PROJECT. « J’aime l’idée d’un prêt-à-porter
tellement absurde qu’on ne sait pas si c’est de bon
ou de mauvais goût... Toutes ces expérimentations
font partie de notre identité, on aime bien pousser
les extrêmes, dépasser parfois ce que l’œil juge
acceptable. Je crois même que c’est ce que les gens
attendent de nous », explique Glenn Martens à la
tête de Y/Project, label qu’on pourrait qualifier
de conceptuel. Sorti major de sa promotion de
l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers puis
engagé par Jean Paul Gaultier, le designer belge
assiste ensuite Bruno Pieters et travaille en free-
lance pour Hugo Boss. En 2013, après la dispari-
tion de Yohan Serfaty, fondateur de Y/Project, il
est nommé, à 29 ans, directeur artistique de la
marque. Depuis ses débuts, il entretient un rap-
port particulier à la beauté. « La Belgique est un
pays très industriel, avec beaucoup de béton et de
constructions urbaines. Quand on grandit dans ce
pays tout gris, on est obligé de prendre les chemins
de traverse... On peut faire changer le regard sur

les choses en mettant l’accent ailleurs, sur l’inat-
tendu par exemple, pour les rendre plus belles et
plus intéressantes », poursuit Glenn Martens,
passé maître dans la déconstruction. Cela vaut
pour les vêtements qu’il dissèque pour mieux les
transformer mais aussi pour toutes les références
qu’il mixe dans ses silhouettes. Pop culture,
clubbing, architecture brugeoise, histoire... « Mes
inspirations, aussi disparates soient-elles, ont
toutes un lien : elles signalent une certaine opu-
lence, une flamboyance. Je tiens beaucoup à cet
esprit festif », ajoute-t-il.
Des vêtements très photogéniques, comme ces
pantalons à taille haute décolletés en V qui se
portent sur des bodies ou des sous-pantalons
et devraient trouver leur place dans les éditos des
magazines et sur Instagram. Pour le stylisme du
show, le créateur a fait appel pour la première
fois à Robbie Spencer, 34 ans et déjà une réfé-
rence dans le milieu. Aux commandes des bijoux,
on retrouve la créatrice Stéphanie D’Heygere. Et
au design sonore, Senjan Jansen, qui imagine la
bande-son des défilés, déconstruisant-recons-
truisant (lui aussi) les sons, capable d’imaginer un
duo entre Maria Callas et le personnage de
Beaker du « Muppet Show » ou de revisiter
Le Beau Danube bleu, de Strauss. « Cette saison,
on a choisi des chants flamencos interprétés a
capella par des hommes pendant les processions
de la Semaine sainte à Séville. On a fermé le défilé
avec une Vierge de la Macarena enveloppée dans
une montagne de velours noir », conclut Glenn
Martens qui sait décidément faire le show.

5 - Glenn Martens à la tête de Y/Project.

5 - Kenneth Ize.
5 - Kwaidan Editions.

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LE GOÛT

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