Le Monde - 14.03.2020

(WallPaper) #1

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CORONAVIRUS


SAMEDI 14 MARS 2020

0123


L’


Elysée avait promis un
président « protecteur »
et « rassembleur ». Pour
son premier discours
depuis le début de la crise du
coronavirus, prononcé, jeudi
12 mars, lors d’une allocution so­
lennelle de près d’une demi­
heure, c’est un véritable plan de
bataille contre la « plus grave crise
sanitaire qu’ait connue la France
depuis un siècle » qu’a en réalité es­
quissé Emmanuel Macron. « Je
compte sur vous », a répété à plu­
sieurs reprises le chef de l’Etat,
comme un général s’adresse à ses
troupes avant l’assaut.
A ses yeux, l’heure n’est en effet
plus à tergiverser. « Nous ne som­
mes qu’au début de cette épidémie,
et, partout en Europe, elle s’accé­
lère », a prévenu le président.
« Malgré nos efforts pour le freiner,
le virus continue de se propager »,
a­t­il ajouté, ton martial et regard
droit depuis le salon doré, situé au
premier étage de l’Elysée.
Selon le ministère de la santé,
2 876 cas de Covid­19 ont été enre­
gistrés en France depuis l’appari­
tion du virus et 61 personnes en
sont décédées. Des chiffres sous­
évalués, selon la plupart des ex­
perts, pour qui le pic de l’épidémie,
requalifiée mercredi en « pandé­
mie » par l’Organisation mondiale
de la santé (OMS), est encore de­
vant nous.
Face au risque de saturation des
services de réanimation dans les
hôpitaux, comme en Italie, le chef
de l’Etat a donc décrété une sorte
d’état d’urgence, même s’il n’a pas
utilisé le terme et s’il n’a pas évo­
qué un passage au stade 3 de l’épi­
démie qui pourrait intervenir
dans quelques jours. Pour protéger
les plus fragiles, il a d’abord invité
« toutes les personnes âgées de plus
de 70 ans », mais aussi « celles et
ceux qui souffrent de maladies
chroniques ou de troubles respira­

toires » ou sont « en situation de
handicap », à « rester autant que
possible à leur domicile ». Une
sorte de confinement volontaire
destiné à éviter les contacts avec le
virus et à ralentir l’épidémie.
De même, Emmanuel Macron a
annoncé le report de deux mois de
la fin de la trêve hivernale, prévue
le 31 mars, pour éviter que des per­
sonnes en situation de précarité se
retrouvent à la rue. « Je demande
au gouvernement des mesures ex­
ceptionnelles, dans ce contexte,
pour les plus fragiles », a­t­il ajouté,
sans donner plus de détails.

Décision d’une ampleur inédite
Surtout, le président a provoqué
la surprise en annonçant la fer­
meture « dès lundi et jusqu’à nou­
vel ordre » de toutes les crèches,
des écoles primaires, des collèges,
des lycées et des universités. Une
décision d’une ampleur inédite
en France : selon le ministère de
l’éducation nationale, près de
12,4 millions d’élèves étaient ins­
crits rien que dans les écoles, les
collèges et les lycées à la rentrée
2019, ce qui représente 18,5 % de la
population française. « C’est à la
fois pour les protéger et pour ré­
duire la dissémination du virus à
travers notre territoire », a justifié
Emmanuel Macron.
Pour éviter un blocage du pays et
permettre aux gens d’aller tra­
vailler, le président de la Républi­
que a assuré qu’« un service de

garde sera mis en place région par
région » pour « les personnels qui
sont indispensables à la gestion de
la crise sanitaire ». Et il a demandé
aux entreprises de « permettre à
leurs employés de travailler à dis­
tance ». « Le déploiement de notre
système d’enseignement à distance
va s’enclencher pour toute la
France », a par ailleurs précisé le
ministre de l’éducation, Jean­Mi­
chel Blanquer, qui assurait pour­
tant, le matin même sur Fran­
ceinfo, n’avoir « jamais envisagé la
fermeture totale » des établisse­
ments scolaires.
A l’inverse, et malgré une ru­
meur qui a alimenté les conversa­
tions toute la journée, Emmanuel
Macron n’a pas souhaité reporter
les élections municipales, prévues
les 15 et 22 mars. « J’ai interrogé les
scientifiques sur nos élections mu­
nicipales (...). Ils considèrent que
rien ne s’oppose à ce que les Fran­
çais, même les plus vulnérables, se
rendent aux urnes », a expliqué le
chef de l’Etat, qui avait réuni, jeudi
matin, le conseil scientifique de
suivi de la crise du coronavirus,
composé de onze médecins et
chercheurs, chargés d’éclairer les
décisions de l’exécutif.
« J’ai aussi demandé au premier
ministre [Edouard Philippe] (...) de
consulter largement toutes les fa­
milles politiques, et elles ont ex­
primé la même volonté », a­t­il
ajouté, même si les discussions
ont été âpres en coulisses et si le
chef de l’Etat a longtemps hésité
avant de se rallier à la position dé­
fendue par Gérard Larcher, le pré­
sident (Les Républicains) du Sénat,
et le chef du gouvernement, pour
une fois unis dans le même com­
bat. Mais Emmanuel Macron ne
s’est pas contenté d’énumérer les
mesures. Il a aussi esquissé ce qui
pourrait être le tournant social
que lui réclame depuis des mois
une partie de ses troupes.

Au­delà de l’annonce de la mise
en place d’un « mécanisme excep­
tionnel et massif de chômage par­
tiel » pour limiter les conséquen­
ces économiques de la crise, et du
report « sans justification, sans
formalités, sans pénalité, [du]
paiement des cotisations et im­
pôts dus en mars » par les entre­
prises, le président de la Républi­
que s’est ainsi dit déterminé à « in­
terroger le modèle dans lequel s’est
engagé notre monde depuis des
décennies et qui dévoile ses failles
au grand jour ».
« Ce que révèle d’ores et déjà cette
pandémie, c’est que la santé gra­
tuite sans condition de revenus, de
parcours ou de profession, notre
Etat­providence, ne sont pas des
coûts ou des charges mais des biens
précieux, des atouts indispensables
quand le destin frappe », a ainsi dé­
fendu le chef de l’Etat, régulière­
ment présenté par l’opposition
comme voulant détruire le mo­
dèle social français, notamment à
l’occasion de la réforme de l’assu­
rance­chômage ou de celle du sys­
tème de retraites.
Surtout, Emmanuel Macron
s’est dit résolu à « placer en dehors
des lois du marché » un certain
nombre de biens et de services.
« Déléguer notre alimentation, no­
tre protection, notre capacité à soi­
gner notre cadre de vie (...) à

d’autres est une folie », a­t­il expli­
qué, sorte de critique en creux de
la mondialisation et du libéra­
lisme. « Nous devons en reprendre
le contrôle », a­t­il ajouté, une
phrase qui n’est pas sans faire écho
au slogan « Take back control », uti­
lisé par les partisans du Brexit lors
du référendum de 2016 sur l’ap­
partenance du Royaume­Uni à
l’Union européenne.
« Les prochaines semaines et les
prochains mois nécessiteront des
décisions de rupture en ce sens. Je
les assumerai », a promis le prési­
dent, donnant le sentiment d’es­
quisser le programme qui pour­
rait le conduire à une prochaine
candidature en 2022. A la fin de
son discours, Emmanuel Macron
a d’ailleurs utilisé la locution « la
France unie », qui était le slogan de
campagne de François Mit­
terrand lors de l’élection prési­
dentielle de 1988.

« Maintenant, c’est la guerre »
Sans surprise, ce discours a suscité
l’enthousiasme de l’aile gauche de
la majorité. « C’est clairement un
discours humaniste, vraiment à la
hauteur. On place l’humain et la
santé au­dessus de toutes priorités.
On se mobilise sur ce qui nous ras­
semble. Une orientation qui remet
la science au centre et écarte le repli
nationaliste », se félicite Guillau­
me Chiche, député (La République
en marche, LRM) des Deux­Sèvres.
« Nous aurons des enseignements à
tirer sur le monde dans lequel nous
vivons. Des services publics à pré­
server, un modèle de développe­
ment à réinventer. Le président
prend date », abonde Hugues Ren­
son, vice­président (LRM) de l’As­
semblée nationale et ancien con­
seiller de Jacques Chirac.
Signe que le coronavirus fait
bouger les lignes, Edouard Phi­
lippe et ses soutiens ont de leur
côté remisé le costume de gar­

Lors de l’allocution télévisée d’Emmanuel Macron, jeudi 12 mars. MICHAEL ESDOURRUBAILH/PHOTOPQR/MAXPPP

Le président de
la République
s’est dit déterminé
à « interroger
le modèle dans
lequel s’est
engagé notre
monde depuis
des décennies »

diens de l’orthodoxie budgétaire.
« Le premier ministre et [le ministre
de l’économie et des finances]
Bruno Le Maire ont été proactifs sur
le plan de relance, il n’y a pas de su­
jet », affirme un familier des deux
hommes. « Quand on est dans un
moment de croissance, il est nor­
mal de faire des efforts. Mais quand
le moteur cale, on ne va pas ap­
puyer sur le frein », assure un con­
seiller, qui décrit un chef du gou­
vernement « à l’aise » avec les an­
nonces du chef de l’Etat. « L’ortho­
doxie budgétaire, c’est pour être
plus fort avant la guerre. Mais
maintenant, c’est la guerre », a con­
fié Edouard Philippe à son entou­
rage, jeudi soir au retour de l’Ely­
sée. Le premier ministre doit parti­
ciper, vendredi, au journal télévisé
de 13 heures de TF1 pour « expliquer
les tenants et aboutissants des déci­
sions gouvernementales » et pour
« rassurer » les Français quant à
l’organisation des municipales, se­
lon Matignon.
Parmi les soutiens d’Emmanuel
Macron, on se dit en tout cas per­
suadé que ce discours marquera
un tournant dans le quinquennat.
« La crise du coronavirus peut être
au chef de l’Etat ce que la crise ban­
caire de 2008 a été pour Nicolas
Sarkozy, la révélation que lui aussi
tient bon dans la tempête », estime
un ministre.
« C’est un discours fondamental.
Le président acte une rupture ma­
jeure avec la façon dont le siècle
passé a fonctionné et il dessine un
nouveau modèle français et euro­
péen au XXIe siècle, s’enthou­
siasme Pieyre­Alexandre Anglade,
député des Français établis hors de
France et porte­parole du groupe
LRM à l’Assemblée nationale. Le
Covid­19, c’est la crise qui nous fait
quitter le XXe siècle et entrer de
plain­pied dans le XXIe. »
alexandre lemarié
et cédric pietralunga

Emmanuel Macron prône une « France unie »


Le chef de l’Etat a annoncé, jeudi, plusieurs mesures exceptionnelles pour faire face à l’épidémie


Face au risque de
saturation dans
les hôpitaux,
Macron a décrété
une sorte d’état
d’urgence, sans
utiliser le terme
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