32 | 0123 SAMEDI 14 MARS 2020
0123
T
out le monde se fiche de
la culture dans la cam
pagne municipale. Pas
tout à fait tout le monde.
Ce scrutin est celui de tous les
dangers pour les acteurs culturels
locaux. Ils savent que, sur les
12,5 milliards d’euros d’argent pu
blic qui nourrissent chaque an
née la création et le patrimoine
en France, près de 60 % viennent
des communes. L’Etat est loin
derrière, les départements et ré
gions encore plus. Et ils savent
qu’un nouveau maire fait valser
le secteur bien plus qu’un minis
tre qui prend et quitte le poste
sans que personne ou presque ne
s’en rende compte.
Il est normal qu’il y ait des chan
gements. Sauf que la culture est
souvent prise en otage par des
étendards locaux. On a beaucoup
parlé, dans les années 1990, de la
façon dont les maires Front natio
nal, à Toulon (Var) ou à Orange
(Vaucluse), ont manié la censure.
On oublie qu’en 2014 quelque
150 villes ont basculé, souvent à
droite, et que pas mal de nou
veaux élus ont stoppé des projets
théâtraux ou musicaux jugés
coûteux ou élitistes.
Il y a quarante ans, on disait que
les maires se souciaient si peu de
culture qu’ils la confiaient à leur
épouse ou à celle du préfet. Le
tandem MitterrandLang, qui a
mis musées, théâtres et bibliothè
ques au centre du pays, leur a
donné des idées. Portés par la dé
centralisation et par l’argent de
l’Etat, ils ont fait pareil, pour valo
riser leur ville et le tourisme. C’est
ainsi que la dépense culturelle
des villes est passée, en moyenne,
de 88 euros par habitant en 1978
à 212 euros par habitant en 2006.
« Je paie, donc je décide »
Le maire payait beaucoup, l’Etat
aussi et veillait sur la qualité. Jus
qu’au jour où l’élu local, voyant
que l’Etat se désengageait et goû
tant peu le rôle du pigeon, s’est dit
« je paie, donc je décide ». Qu’un
responsable de théâtre ait le
maire sur le dos est sain. Certains
tandems locaux ont donné de
très belles choses.
Sauf que certains édiles sont al
lés plus loin : intervenir sur la pro
grammation, choisir l’affiche
d’une exposition ou d’un specta
cle, demander tel chanteur dans
sa salle, vouloir plus clinquant
pour qu’on parle de sa ville et plus
populaire pour doper les entrées.
Crispations et vexations se sont
multipliées depuis dix ans. Des
responsables culturels sont régu
lièrement mis au placard ou virés.
Mais comme la peur domine, per
sonne ne parle, comme ce direc
teur de musée d’une grande ville
dont le courrier est d’abord
ouvert à la mairie avant de lui par
venir. Ou tant d’autres qui doi
vent composer avec les diktats de
petits chefs en mairie.
Le comédien Charles Berling,
directeur du théâtre Le Liberté, à
Toulon, vient de jouer la pièce Art,
de Yasmina Reza, dans cinquante
six villes de France. « J’ai vu l’em
prise des mairies sur le contenu
des théâtres. J’ai vu la liberté cultu
relle se restreindre », nous ditil,
tout en pointant l’Etat qui laisse
la voie libre aux excès locaux et
des entreprises culturelles pri
vées qui proposent aux villes de
gérer un théâtre.
« C’est moins de soucis, moins de
personnel et moins d’argent à met
tre pour les maires, mais aussi
moins de création et moins d’ac
tion culturelle auprès du public,
transformé en strict consomma
teur. » Il tient à ajouter : « Je n’ai
pas ce problème à Toulon. »
Toujours estil que le fossé se
creuse entre l’Etat, qui souvent fi
che la paix aux lieux qu’il finance,
à Paris ou en région, et les mairies,
qui mettent leur marque, jusqu’à
leur logo, sur les sites Internet, affi
ches et publications de leurs lieux
culturels, leur donnant parfois un
côté ringard. Le fossé se creuse
également en matière de moyens
financiers et d’offre, entre Paris,
où l’Etat concentre son action, à la
quelle s’ajoute celle de la munici
palité, et le reste du pays.
D’autant que le dynamisme cul
turel local des années 19801990
est fini. Il y a des exceptions, de
grosses différences d’une ville à
l’autre, d’une année sur l’autre,
mais les budgets sont souvent
grignotés. C’est encore pire dans
les cités de 20 000 à 100 000 habi
tants, qui auraient pourtant bien
besoin de culture. Le quinquen
nat de François Hollande n’a pas
arrangé les choses : l’Etat a réduit
sa dotation aux villes, qui ont
souvent fait payer à la culture le
régime sec imposé.
Pas étonnant qu’avec un pay
sage imprévisible, un maire inter
ventionniste et un Etat absent, les
acteurs culturels locaux soient
pris d’angoisse quand le scrutin
municipal pointe. A quelle sauce
serontils préservés ou mangés?
Car les villes sont à l’heure des
choix ; 80 % de leurs crédits cultu
rels, et parfois plus, sont englou
tis dans le fonctionnement des
équipements et événements
existants. Celles qui ont un opéra
avec orchestre, ballet et chœur
voient 20 % de leur budget cultu
rel pris par ces structures de luxe.
Or les candidats aux municipa
les parlent très peu de leurs grands
musées, théâtres ou salles de spec
tacle. Comme si ces équipements
étaient des boulets coûteux et
éloignés des habitants. Ils préfè
rent, sans dire où prendre l’argent,
évoquer des actions plus légères,
de proximité et des événements
propres à toucher les jeunes.
Les maires ont un dernier sujet
sur le dos, et pas le moindre : gérer
leur riche tissu associatif. Selon
une étude du ministère de la cul
ture, il existe aujourd’hui 263 400
associations culturelles en France
- les MJC, bien sûr, et des tas de
structures qui incitent à pratiquer
le chant, le théâtre, la musique,
etc. Ces lieux offrent souvent le
premier contact avec la création,
et leurs adhérents sont specta
teurs, mais aussi acteurs – prati
quer une discipline, participer à la
fabrication d’un spectacle.
Ce réseau précieux ne cesse de
s’appauvrir dans un angle mort.
Le ministère de la culture estime
qu’il n’a pas à aider le « sociocu »,
qu’il méprise. Le maire le trouve
indocile et le finance moins,
quand il ne le dissout pas dans un
service municipal. Ce réseau
aurait perdu le tiers de ses res
sources en dix ans. Tous les élus,
jusqu’à Emmanuel Macron, répè
tent que la société civile peut con
tribuer à réduire la fracture so
ciale et culturelle en France et
tous tapent sur les associations.
Comprenne qui pourra.
L’
intervention télévisée d’Emmanuel
Macron, jeudi 12 mars, marque un
tournant dans la gestion de la crise
provoquée par la pandémie de Covid19.
Alors que de plus en plus de pays adoptent
des mesures de confinement et que les
Bourses mondiales dévissent, le président
de la République n’a pas tergiversé. Il a re
connu que la France était confrontée à « la
plus grave crise sanitaire depuis un siècle ». Il
a prévenu que nous n’en étions « qu’au dé
but de cette épidémie » et constaté que,
« partout en Europe, elle s’intensifie ».
L’accélération de la contagion ces der
niers jours est nette : 61 morts et plus de
2 800 cas recensés en France. Le président
de la République a donc renoncé aux déci
sions au cas par cas, qui visaient jusqu’ici à
freiner la propagation de l’épidémie tout en
préservant autant que possible la vie éco
nomique et sociale. Il a annoncé plusieurs
mesures fortes, comme la fermeture, à par
tir de lundi, de toutes les crèches, écoles et
universités, et ce faisant signifié que le
pays entrait dans une phase de combat
complètement inédite.
La guerre est là, déclarée. Mais plutôt que
de désigner un ennemi extérieur, comme
l’a fait Donald Trump mercredi en accusant
l’Union européenne d’avoir « échoué face
au virus », le chef de l’Etat a cherché à faire
nation : rassembler l’ensemble des forces
politiques et le corps social dans la perspec
tive de batailles à répétition. En se référant
constamment à l’expertise scientifique, il
n’a pas caché que l’épidémie, qui fait
aujourd’hui peser le plus de risque sur les
personnes âgées, pouvait revenir au cours
d’une possible deuxième vague frappant
alors des personnes plus jeunes.
L’épreuve, par son caractère vital, sa lon
gueur et ses implications à la fois sanitaires,
économiques et sociales, s’annonce redou
table. Elle sollicite un système de soins déjà
en forte tension et frappe un pays qui n’a
cessé ces dernières années de se fracturer.
Plus le nombre de décès va augmenter, plus
l’unité du pays risque d’être mise à mal. Em
manuel Macron l’a compris, et c’est à l’aune
de l’impérieux besoin d’unité nationale
qu’il faut saluer son discours et compren
dre ses annonces, y compris celle, extrême
ment délicate, de maintenir, dans ce con
texte de crise sanitaire majeure, les scrutins
municipaux des 15 et 22 mars. Le report de
ces élections avait été évoqué dans la jour
née mais, faute de consensus avec la droite,
il risquait de donner naissance à des accusa
tions de manipulation politique et, plus
grave, portait le risque de créer un mouve
ment de panique. L’hypothèse a finalement
été écartée pour afficher, coûte que coûte, le
maintien de la vie démocratique.
La crise est si grave qu’elle rebat, par
ailleurs, toutes les cartes politiques. Au
nom de l’« union sacrée », le chef de l’Etat
n’avait pas d’autre choix que d’effectuer un
virage politique sur le plan budgétaire et
économique. Après avoir rendu un vibrant
hommage au personnel de santé, Emma
nuel Macron s’est dit prêt à mobiliser « tous
les moyens financiers ». L’hôpital, qui dé
nonce l’insuffisance des financements de
puis des mois, est désormais assuré de re
cevoir les moyens nécessaires. Fortement
critiqué pour avoir réduit les droits de cer
taines catégories de chômeurs, le président
s’est engagé à ce que l’Etat indemnise les sa
lariés contraints de rester chez eux. Le gou
vernement, de son côté, est chargé de pré
parer un substantiel plan de relance « na
tional et européen ». L’Etat providence n’est
plus en berne. La guerre contre le virus l’a,
au contraire, sanctuarisé.
LE SCRUTIN
DES 15 ET 22 MARS
EST CELUI DE
TOUS LES DANGERS
POUR LES ACTEURS
CULTURELS LOCAUX
CONTRE LE VIRUS,
L’ARME
DE L’UNION
SACRÉE
Cruciale
élection municipale
DES RESPONSABLES
CULTURELS SONT
RÉGULIÈREMENT MIS
AU PLACARD OU VIRÉS
Tirage du Monde daté vendredi 13 mars : 174 652 exemplaires
CULTURE|CHRONIQUE
p a r m i c h e l g u e r r i n
0123
HORS-SÉRIE
EMPLOI
IMMIGRATION
SANTÉ
MOBILITÉ
ÉLECTIONS
40
CA RTES
POURCOMPRENDRE
LA
FR ANCE
Vous cherchez une ville dynamique en matière d’emploi? Installez-vous à Bordeaux
ou àToulouse...Vousvoulez devenir agriculteur? Choisissez la Bretagne ou laCorse,là
où lesterres sont les moins chères...Vous êtesune jeunefemme à larecherche d’un job?
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