Le Monde - 14.03.2020

(WallPaper) #1

AU CAFÉ DU CHAMP DE FOIRE, À PONT-
D’AIN, on s’empaille sur les choses impor-
tantes : les « courts-métrages » de Benjamin
Griveaux, l’épidémie de Covid-19, la défaite de
l’Olympique lyonnais... Mais une information
locale ne semble pas émouvoir. Elle revient
sur le panneau lumineux dressé à l’entrée du
pont rouge qui franchit la rivière, entre une
annonce pour la vente de bugnes par le club
de judo et celle de boudin par le club de
pétanque des Boules d’Oussiat : « Faute de
listes déposées, les élections municipales des
15 et 22 mars sont reportées. » Le bourg de
3 0 00 habitants, posé au bord de l’autoroute
entre Lyon et Genève, le plus important du
canton, ne votera pas dimanche. Il n’aura plus
de maire une semaine plus tard et sera placé
sous la tutelle du préfet : « Il mettra en place,
dans les huit jours, une délégation spéciale
– sans doute deux élus compétents et un
fonctionnaire retraité – pour gérer les affaires
courantes », explique Pascale Preveirault,
sous-préfète de l’arrondissement de Belley.
« Les tâches d’état civil, les dépenses de per-
sonnel, les pouvoirs de police, la gestion quo-
tidienne seront assurés, mais aucune décision
ne sera prise en matière d’investissements.
Une nouvelle élection sera organisée dans
les trois mois si possible. »
Dans son bureau de la mairie qui domine
les eaux vives, Gérard Guichard, 70 ans,
pensait « pouvoir profiter de la vie après dix-
neuf ans donnés à la commune » en tant que
conseiller municipal, adjoint, puis maire,
en 2014. Il a annoncé ne plus vouloir être tête
de liste en janvier, au cours de la cérémonie
des vœux : « C’était un samedi, j’imaginais
que le lundi, le téléphone sonnerait pour des
volontaires, mais non... » Les cinq premiers
adjoints et adjointes ont dépassé les 70 ans
et ne veulent pas prendre la suite, les plus
jeunes ont leur métier, les « femmes sont
moins disponibles à cause de leur vie de
famille ». Les gens ont peur des journées inter-
minables pour ces élus de petites communes
privées de directeur des services techniques,
entre bureaucratie, « ampoules à remplacer »
et administrés impatients : « Si on veut changer
la donne, il faut que le métier de maire soit
reconnu et que l’on puisse en vivre », ajoute
Gérard Guichard. Avec les indemnités reçues


PONT-D’AIN EN MAL DE MAIRE.


Texte Pierre SORGUE

pour ses fonctions de vice-président de la
communauté de communes et du syndicat des
eaux, il touche 2 0 00 euros par mois. Autant
d’activités qui, outre le fait que le maire ne
réside plus à Pont-d’Ain (il vit à dix kilomètres),
l’ont éloigné de la commune, juge l’adjoint aux
finances Daniel Dussolin, attablé au Café du
Champ de Foire avec Jean-Paul Perret, le pre-
mier adjoint, et un élu président du comité des
fêtes. À les entendre reprocher au maire son
« autocratie », on comprend que le mandat
s’achève sur quelques rancœurs. Jean-Paul
Perret a sollicité un ancien dentiste, un ancien
douanier, un conseiller plus jeune et chef d’en-
treprise. En vain. Même ceux de la liste
concurrente de 2014 ont disparu : « La ville est
pourtant bien gérée mais la population qui tra-
vaille à Bourg-en-Bresse ou à Lyon s’investit
moins dans les associations, les fêtes et la vie
locale : une mentalité de consommateur plus
que de citoyen, une ville-dortoir », lâche-t-il.
Pont-d’Ain fut aussi marqué par les actions
des « gilets jaunes » et leur défiance à l’égard
des politiques.
C’est peut-être ce qui explique qu’au café
comme ailleurs on semble accueillir l’absence
d’élections avec un stoïcisme qui frise l’indif-
férence : « Les gens sont devant leur télé, les
jeunes devant leur console de jeux, ils se
foutent du reste. Regarde, dans les bistrots

Personne ne s’est porté candidat pour briguer la mairie


de cette commune de 3 000 habitants. Une centaine


de villes françaises sont dans la même situation.


comme ici, y a plus que les vieux... », analyse
un buveur de blanc. De l’autre côté de la rue,
Séverine, la coiffeuse, confirme que ces
dames parlent du coronavirus mais pas du
candidat introuvable. Et elle a été très surprise
quand Laurent Ruquier l’a appelée pour lui
proposer d’être maire au cours d’un gag
téléphonique sur RTL... Dans son restaurant
Les Alliés, Laurent reconnaît que la situation
n’émeut pas grand monde, « tant que les rues
sont propres et les poubelles ramassées... ».
Mais il regrette que la soudaine renommée
de Pont-d’Ain soit due au fait d’être la plus
peuplée des 106 communes de France
privées de ces élections.
Le temps est loin, en effet, où Jacques Boyon,
ministre de Jacques Chirac, cumulait cinq
mandats locaux et où il y eut jusqu’à quatre
listes quand il fut dégommé, en 2001.
Aujourd’hui, Damien Abad, conseiller départe-
mental du coin mais aussi président du groupe
LR à l’Assemblée nationale, reconnaît qu’il a
contacté sans succès le « peu d’adhérents sur
la commune ». Mais il n’imagine pas que « cette
ville centrale, au bord de l’Ain, ne trouve pas
d’équipe prête à lui consacrer du temps ». C’est
aussi ce que veut croire Thierry Dupuis, maire
de Neuville-sur-Ain et président de la commu-
nauté de communes dont Pont-d’Ain est la
plus importante : « Rien dans l’immédiat ne va
changer pour la gestion intercommunale, mais
il nous faut un interlocuteur pour nos investis-
sements dont la nouvelle zone artisanale. »
André Ferry, l’ancien maire de 80 ans, essaie,
lui, de rassembler quelques énergies. Il en
veut à Gérard Guichard, qui fut son premier
adjoint : « C’est son droit absolu de s’arrêter,
mais c’est honteux que la passation ne soit pas
faite et que l’on en arrive là. Ses commentaires
sur la fonction de maire découragent les volon-
tés alors que c’est une tâche passionnante. »
Il a trois mois pour trouver un candidat...
Et ceux qui devraient l’élire.

Faute de volontaire
pour devenir maire,
Pont-d’Ain est
privée d’élections
municipales les
15 et 22 mars.

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LA SEMAINE

Jean-Pierre Balfin/Le Progrès/PhotoPQR/MaxPPP
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