Le Monde - 14.03.2020

(WallPaper) #1
LE TITRE EXPLIQUE À LUI SEUL CET ENGOUEMENT. Effet
direct de la propagation du SARS-CoV-2 : Contagion, de
Steven Soderbergh, est l’un des dix films les plus téléchargés
sur la plateforme iTunes, aux côtés de sorties récentes comme
Joker, Il était une fois... à Hollywood ou Parasite. C’est égale-
ment, depuis quelques semaines, l’un des films les plus régu-
lièrement recherchés sur Google, celui aussi dont le titre
revient le plus souvent dans les échanges sur Twitter.
Alors que le film du réalisateur américain s’était révélé, lors de
sa sortie en 2011, un succès moyen, avec 650 0 00 entrées en
France et 135 millions de dollars de recettes dans le monde,
amortissant ses frais de production et de marketing, son sujet
lui donne aujourd’hui une tout autre résonance. Le réalisateur
de Sexe, mensonges et vidéo et d’Ocean’s Eleven met en scène
une femme d’affaires incarnée par Gwyneth Paltrow, de retour
chez elle à Minneapolis après un séjour à Hongkong. À peine
arrivée, elle est victime d’une attaque virale fulgurante et meurt
quarante-huit heures plus tard aux urgences. Très rapidement,
des cas similaires se développent aux États-Unis, avec les
mêmes symptômes : une toux convulsive accompagnée de
fièvre, puis des crises en rafale, une hémorragie cérébrale,
et la mort. La maladie se répand sur tous les continents, provo-
quant plusieurs centaines de millions de morts. Dans le film,
un médecin qu’interprète Kate Winslet explique comment
une telle épidémie a pu se répandre à une telle vitesse : « Un
individu se touche le visage deux à trois mille fois par jour. Soit

“CONTAGION”


EN VISIONNAGE VIRAL.


Texte Samuel BLUMENFELD

trois à cinq fois par minute. Il faut ajouter à cela le contact
avec les poignées de portes, les fontaines à eau, les boutons
d’ascenseur et les gens que nous croisons. »
Au-delà du titre, les parallèles entre le virus imaginaire,
baptisé « MEV-1 », du film de Soderbergh et l’actuel et
bien réel coronavirus sont nombreux. Les deux pandémies
sont originaires d’Asie. Et dans le film de Soderbergh,
les chauves-souris sont mises en cause dans la transmission
du virus. Une hypothèse qui n’est pas écartée dans le cas
de l’actuel SARS-CoV-2.
Ce n’est pas la première fois que le sujet de l’épidémie se
trouve porté au cinéma. En 1950, dans Panique dans la rue,
Elia Kazan mettait en scène un immigré clandestin, atteint de
la peste bubonique et ayant infecté ses assassins, lesquels
risquaient de propager la maladie s’ils n’étaient pas arrêtés à
temps. Mais la maladie ne dégénérait pas en épidémie.
En 1995, dans Alerte !, Wolfgang Petersen imaginait un virus
hémorragique mortel, inspiré d’Ebola, et introduit en
Californie par un singe en provenance du Zaïre. Le film don-
nait une idée de ce que pouvait devenir une épidémie, mais
circonscrite à la seule dimension de cet État américain.
Contagion, de Steven Soderbegh, se déroule à une autre
échelle. Il s’agit du premier film hollywoodien à mettre en
scène une pandémie, bâtissant son postulat à partir de
discussions et de recherches avec des scientifiques. Avant
de se lancer dans l’écriture du film, le scénariste Scott Z. Burns
avait passé plusieurs mois en compagnie de chercheurs en
épidémiologie, dont le professeur Ian Lipkin, patron du centre
d’infection et d’immunité de l’université Columbia, à New York.
Lipkin avait planché, à partir du scénario envisagé par Burns,
sur un virus fictif, « biologiquement viable », mais plus agressif
que ceux auxquels nous pourrions avoir été confrontés ces
dernières décennies.
Dans le dossier de presse de l’époque, le discours de Scott
Burns se révèle aujourd’hui étrangement prémonitoire :
« Au cours des dix à vingt dernières années, on a assisté à une
hausse significative de maladies émergentes, constatait alors
le scénariste. Beaucoup de facteurs y concourent : les mouve-
ments de populations entrant en contact avec de nouvelles
espèces animales, des changements climatiques entraînant
des migrations d’insectes porteurs de virus, l’extension des
transports de marchandises à travers le monde. Quand nous
avons commencé à nous documenter, les savants nous ont
tous dit : “La question n’est pas de savoir si une pandémie
pourrait se produire, mais quand elle se produira”. » Nous y
sommes. Reste à se rassurer en constatant que le coronavirus
n’a pas la dangerosité du mal imaginé par Soderbergh.

Dans Contagion
(avec Jude Law),
un virus très
mortel venu
d’Asie se répand
sur tous les
continents.

Le film de Steven Soderbergh, sorti en 2011, connaît


un regain d’intérêt auprès du public. Et pour cause :


c’est le premier long-métrage hollywoodien à mettre


en scène une pandémie mondiale, aux similitudes


troublantes avec la crise actuelle.


36


Rue des Archives/Everett

LA SEMAINE
Free download pdf