Le Monde - 14.03.2020

(WallPaper) #1
LA FILE D’ATTENTE S’ALLONGE À L’ENTRÉE
DU WING, À WEST HOLLYWOOD. Au programme de
ce club privé : « Pitch Perfect ». Sur scène, ce
16 décembre 2019, cinq équipes d’entrepre-
neuses vont présenter leur projet de business à
un jury de professionnelles. Quand les portes
s’ouvrent, à 18  heures, près de deux  cents
membres (les « winglets », en jargon maison)
s’engouffrent dans la grande salle de ce social
club d’un genre nouveau. Les murs sont peints en
couleurs pastel, l’ambiance est girly sans être
nunuche, avant tout hautement instagrammable.
À l’exception des quelques techniciens latinos qui
s’assurent du bon fonctionnement de la sono (et
d’un grand type baraqué qui confie être le
petit ami de l’une des start-upeuses), pas un
homme à l’horizon. Mais des coupes afros bouf-
fantes, des boucles blondes, de hauts talons et
des baskets, des tresses nattées de manière
sophistiquée et des cheveux courts à la gar-
çonne... The  Wing est un club réservé aux
femmes, à toutes les femmes. Ici, le féminisme
est résolument intersectionnel : de la couleur de
peau à l’orientation sexuelle ou au genre, il
englobe la lutte contre l’ensemble des discrimi-
nations auxquelles les femmes peuvent être
confrontées. Anty Diakite, 27 ans, a récemment
déménagé à Los  Angeles depuis New York.
Membre de The Wing depuis un an, elle a amené
une amie. Elles étaient déjà venues ensemble,
pendant le dernier ramadan. « Nous sommes
musulmanes, explique-t-elle, et il y avait un buffet
halal pour rompre le jeûne. En tant que femme
noire, je suis particulièrement attentive aux évé-
nements pour les femmes de couleur, mais j’appré-
cie aussi beaucoup les soirées comme celles-ci, qui
célèbrent le networking et le pouvoir des créa-
trices d’entreprise. C’est très inspirant. »
Avant que les stars de la soirée n’entrent en scène,
les conversations s’engagent dans la queue du buf-
fet, où les invitées garnissent généreusement leurs

assiettes en bois recyclable de fromage, charcute-
rie et crackers. Le networking passe mieux avec un
petit verre de vin ou un cocktail aux saveurs de girl
power (le Magda Carta doit son nom à une jeune
féministe et poète péruvienne, Magda Portal ; le
Beyhive, au bon goût de cannelle, est un hom-
mage à Beyoncé). La directrice de la communica-
tion de The Wing, Zara Rahim, une trentenaire
menue d’origine indienne, donne le coup d’envoi.
Elle s’enthousiasme du « pouvoir qui s’exprime
quand les femmes s’allient pour faire exister leurs
projets ». Et se change un temps en chauffeuse de
salle. « Des applaudissements pour notre partenaire,
Pantene! », conclut-elle. Les membres prennent
place face à la scène sur les fauteuils aux formes
arrondies où les attend un sac en tissu estampillé
par la marque de shampoing, rempli d’échantil-
lons. Le jury peut faire son entrée : Yara Shahidi,
actrice et productrice aux 4,8 millions de followers
sur Instagram ; Maris Croswell, responsable mar-
keting chez Pantene ; Lauren Kassan, cofondatrice
de The Wing ; et Susan Lyne, directrice de BBG
Ventures, une société de capital-investissement
qui mise sur des projets menés par des femmes
(« Pas parce que c’est “bien”, mais parce qu’on croit
qu’il y a de l’argent à gagner! », précise-t-elle).
Sur scène, les entrepreneuses se succèdent. Elles
ont été sélectionnées parmi cent cinquante
membres du club. L’équipe la plus convaincante
recevra une bourse de 20 000  dollars, allouée par
Pantene, et décrochera un rendez-vous personna-
lisé avec Susan Lyne, qui la conseillera sur la meil-
leure manière de lever des fonds. « Merci de nous
donner l’opportunité de partager nos idées dans un
cadre bienveillant », déclare Mandi Nyambi, la pré-
sidente de Baalm, un site qui propose des consul-
tations en ligne avec des dermatologues et des
esthéticiennes, et des recommandations person-
nalisées de crèmes et de potions. « Le futur du jeu
vidéo est féminin et divers! », claironnent ensuite
les trois créatrices de Glow Up Games, un studio
créé par et pour des femmes. Suit Kate Hoffman,
une ancienne employée d’Endemol qui s’est lan-
cée dans l’aventure d’une galerie d’art en ligne.
« Quelle est votre stratégie pour mettre à profit les
datas que vous récolterez auprès de vos utilisa-
trices? », s’enquiert Susan Lyne. On pense un ins-
tant avoir mal compris. Qu’en fait elle s’inquiète,
comme nous, de la protection des données. Pas du
tout. Cette ancienne grande productrice recyclée
dans les start-up est bien en train de demander
aux participantes comment elles comptent capita-
liser sur la revente des informations personnelles
de leurs futures clientes.
Baignée dans une atmosphère féminine et fémi-
niste, la soirée est un précipité de l’état d’esprit de
The Wing, un club privé comme il en éclot régu-
lièrement depuis quelques années aux États-Unis.
Inauguré en octobre 2016 à New York, The Wing
a depuis ouvert une dizaine d’antennes à travers
le pays, compte aujourd’hui 15 0 00 membres et
annonce au moins cinq adresses supplémentaires
pour 2020. « Quand les femmes se rassemblent,
nous allons plus loin, plus vite, ensemble », peut-on
lire sur la page d’accueil de leur site Internet. Dans
le sillage de la nouvelle vague féministe et du

ENTRAIDE, NETWORKING,
CONFÉRENCES, ACTIVITÉS...
SURFANT SUR LA VAGUE #METOO,
LES CLUBS PRIVÉS RÉSERVÉS
AUX FEMMES SE MULTIPLIENT
AUX ÉTATS-UNIS. UN FÉMINISME
QUI MISE AVANT TOUT
SUR L’ÉMANCIPATION
PAR LA RÉUSSITE SOCIALE. SELON
LES BONNES VIEILLES NORMES
PATRIARCALES DU CAPITALISME.


Le bon


business


des clubs


de femmes.

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