Le Monde - 14.03.2020

(WallPaper) #1

connaître » en vue de construire « une amitié qui se
transformera peut-être en quelque chose de plus
grand ». Une autre façon d’élargir son réseau.
Quant au salon de coiffure sur place, il permet de
gagner du temps. L’efficacité avant tout. Certains
poussent d’ailleurs le concept plus loin encore :
ouvert en janvier 2019 à New York, Chief est un
club de femmes très privé, réservé aux directrices
ou aux présidentes d’entreprise. L’avocate Amal
Clooney et l’humoriste Tina Fey y ont donné des
conférences, et les membres doivent s’acquitter
d’un abonnement dont le coût varie de 5 400 à
7 800  dollars par an.
Aux côtés de The Wing et de l’AllBright, The Jane
Club se bat, lui aussi, pour obtenir l’attention des
working girls (et moms) de Los Angeles. Moins
clinquant que ses deux principaux concurrents, le
club occupe une maison en béton de 600 mètres
carrés sur Larchmont Boulevard, à quelques enca-
blures du siège de Netflix et des studios de la
Paramount. Pas de plaque sur la rue, un


interphone anonyme... Quand la porte s’ouvre, on
accède au premier étage par un escalier surmonté
d’une mystérieuse pancarte : « Are you a Jane? »
Dori Howard, une rousse énergique d’une quaran-
taine d’années, a travaillé plusieurs années pour le
cinéma, avant de se tourner, il y a dix ans, vers la
création de start-up. Elle a d’abord monté une
entreprise de chaussures, puis un site Internet de
vente de collants... Mais tout a changé pour elle en
novembre 2016, avec l’élection de Donald Trump.
« Je ne voulais plus consacrer ma vie aux collants,
dit-elle en souriant. Le monde avait changé.
Beaucoup de femmes ont compris à ce moment-là
qu’elles n’avaient plus rien à attendre du gouverne-
ment pour faire avancer leurs droits. » Dori entend
alors parler du projet de Jess Zaino et June Diane
Raphael, respectivement productrice de télévision
et actrice-scénariste, qui ont eu l’idée d’un club de
femmes qui mettrait à la disposition de ses
membres « les outils et les ressources pour réussir ».
Elle est aujourd’hui membre de l’équipe de

direction du Jane, qu’elle présente comme « un lieu
accueillant où les femmes peuvent se retrouver et
être productives ».
Autour d’une grande cuisine ouverte, les
membres peuvent s’installer sur des canapés, tra-
vailler à plusieurs autour de tables de bistrot ou
s’isoler dans des cabines consacrées aux visio-
conférences. Une séance de méditation se tient
chaque matin, et des activités sont organisées
toute la semaine. Bookclub le lundi, dîner com-
munautaire le mercredi, conférence pour « célé-
brer la sororité » le jeudi... Tout un monde garanti
sans microagressions ni remarques sexistes, pour
50 à 499 dollars par mois (en fonction du nombre
de jours de présence). Mais la botte secrète du
Jane se cache derrière une porte blanche dont
s’échappent des gazouillis d’enfants. Un nourris-
son, un petit garçon à l’air timide et une fillette
sautillante s’y amusent, surveillés par deux édu-
catrices. « The Jane, c’est aussi une solution de
garde! », s’enthousiasme Dori Howard. Tous les
jours de la semaine, les mères peuvent, pour 15 à
20 dollars de l’heure, déposer leurs enfants de
3 mois à 3 ans à la garderie avant de monter tra-
vailler. Une demi-journée par semaine ou six
heures par jour, la flexibilité est la promesse.
Baby-sitteur malade, vacances scolaires? Plus
rien ne se mettra en travers du chemin des mères
qui travaillent! Plus engagé politiquement que
l’AllBright, moins branché que The  Wing,
The Jane Club privilégie les solutions concrètes
aux problèmes qui lestent la vie quotidienne des
femmes actives.

MÊME


si la politique n’est pas au cœur
de leur mission, ces clubs (dont
certains ont déjà ouvert à
Washington) penchent nettement du côté démo-
crate. Dans les premiers moments de la cam-
pagne pour les primaires, les candidates Amy
Klobuchar, Kamala Harris et Kirsten Gillibrand
sont passées par The Jane pour lever des fonds.
Plus surprenant, à l’automne 2018, Alexandria
Ocasio-Cortez, la sénatrice démocrate du Bronx
de 30 ans, a fait une apparition remarquée dans
les locaux de The Wing, dans le quartier de SoHo,
à New York. « The Wing est un symbole de ce qui
se passe dans notre pays », a-t-elle confié au
magazine Glamour à la suite de sa visite. Cette
socialiste revendiquée, qui soutient Bernie
Sanders dans la course à la Maison Blanche, peut-
elle vraiment souscrire à ce féminisme d’esta-
blishment et de business qui promet aux femmes
l’empowerment par le billet vert, la victoire sur le
patriarcat par l’appropriation de ses codes? Alors
qu’en France Virginie Despentes encourage les
femmes à quitter la table (« on se lève et on se
casse »), The Wing, The  Jane ou l’AllBright
délivrent un autre message : « On s’assied, on
s’organise et on gagne de l’argent. » Une lutte pour
l’égalité au pays de Wall Street : il s’agit de leur
donner les clés pour réussir comme des hommes,
devenir riches comme des hommes, profiter du
marché au même titre que leurs frères et leurs
maris. Sans en changer les règles. Ou comment
conjuguer « féminisme » avec « capitalisme ».

Page de gauche, à l’AllBrigt
le 25 février, un salon de coiffure
s’est implanté afin de faire gagner
du temps à ses membres.
Ci-dessus, le 28 février, au Jane club,
un espace garderie accueille
les enfants de 3 mois à 3 ans.

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