Le Monde - 14.03.2020

(WallPaper) #1
témoigner. » En 2012, Grébert avait
dévoilé l’identité des dix-neuf élus
de la majorité qui bénéficiaient d’un
logement social à Puteaux. Ce fut
presque son dixième procès, mais la
plainte a été retirée in extremis. En
tant que membre de l’oppposition,
Évelyne Hardy, elle, a cru que tout
pouvait être mis à plat : « On avait
un espoir avec le préfet qui a pris la
tutelle de la mairie pendant un mois
[le scrutin de l’élection municipale
de 2014 avait été invalidé pour vice
de forme]. » Mais elle a soudain le
regard qui part dans le vide. « On
s’est dit qu’il allait mettre le nez dans
les dossiers... Il ne voulait pas faire de
vague, j’ai été déçue. » À la même
époque, tout le monde se souvient
avoir vu des camions pleins de
papiers broyés partir de la mairie.
Évelyne Hardy assiste à la commis-
sion d’appels d’offres. « S’il y a
quelque chose d’irrégulier, c’est là
que ça doit se voir, sur l’attribution
des marchés publics. Force est de

contester l’amende et ils m’envoient à
la caisse centrale d’activités sociale.
Je ne voyais pas bien le rapport... Là,
on me fait remplir un dossier de
demande d’aide, raconte-t-il. Je
retourne à la mairie, où on me remet
une enveloppe contenant une petite
centaine d’euros en liquide. Le mon-
tant exact de mon amende. » Avec
cette petite aventure insolite,
Arnaud Masclet s’est dit que quelque
chose ne tournait pas rond, alors il
s’est engagé en politique. Il est pré-
sent sur l’actuelle liste d’union de la
gauche.
Que fait la police? le Conseil d’État?
le parquet? C’est la question récur-
rente que se pose la centaine d’op-
posants déclarés. « On voulait s’atta-
quer aux attributions de HLM,
raconte Francis Poézévara. Il y a
environ 6 000  logements sociaux.
Dont un quart est attribué par le
maire, c’est le cœur nucléaire du
clientélisme avec des bataillons
d’obligés. Mais personne ne veut


constater qu’il n’y a rien. Tout est
bien huilé, toujours à la limite. La
maire est très habile. » À force de
déambuler, on a réussi à rencontrer
une « Gorge profonde » putéolienne,
une ancienne adjointe qui en a eu
assez. Depuis, elle n’est pas devenue
paranoïaque, mais elle est prudente.
Quand elle dîne avec ses copines,
elles réservent dans un restaurant en
dehors de la ville. Ses copines pour-
raient être embêtées si elles étaient
vues avec elle. « Gorge profonde »
nous a dit que la maire est une per-
sonne très sûre d’elle, d’une sérénité
inaltérable et qu’elle se pense à l’abri
de tout. Ce qui intéresse la maire
par-dessus tout, selon elle, c’est le
pouvoir. De traiter comme elle
l’entend le personnel municipal, et
pas toujours avec des coquelicots
dans la bouche. Ce qui la fait jubiler,
surtout, c’est de savoir qu’elle peut
refuser n’importe quoi à n’importe
qui. « Gorge profonde » nous a aussi
parlé du train de vie de la maire. Une

belle maison sur les hauts de
Puteaux, une autre en Normandie
dont elle aurait fait doubler la super-
ficie par l’architecte qui a conçu le
Palais de la culture.
Bon. Il y a quand même un vrai
grand procès à venir, en septembre.
Mais Joëlle Ceccaldi-Raynaud n’est
pas concernée. Une affaire de favo-
ritisme et de pots-de-vin présumés
octroyés à son papa Charles par
l’entreprise lauréate de l’énorme
marché du chauffage de la Défense.
Dix-huit ans d’une instruction
menée par cinq juges successifs.
Charles a été mis en examen pour
corruption en 2007. Mais la justice a
renvoyé l’affaire en correctionnelle
quelques semaines après sa mort,
en juillet 2019.
Il n’est pas mort heureux, Charles.
Pas à cause du procès, mais à cause
de sa fille. Elle a voulu prendre la
mairie plus tôt que prévu, alors
Charles, pour se venger, a écrit au
juge pour lui dire que Joëlle

“JE ME SOUVIENS DE MON PREMIER


NOËL À PUTEAUX. MA FILLE VOULAIT


QUE JE LUI OFFRE UN JOUET, UN PETIT


CADDIE À 75 EUROS. TROP CHER.


HÉ BIEN, LE CADEAU DE LA MAIRIE,


C’ÉTAIT CE CADDIE, ET REMPLI


DE CADEAUX. LA MAIRE,


ELLE REDISTRIBUE L’ARGENT,


ELLE NOUS FAIT BIEN PROFITER.”
ABDEL, PUTÉOLIEN

Free download pdf