avait mis tous les doigts dans
le pot de confiture et avait déposé la
confiture sur un compte non déclaré
au Luxembourg. Celle-ci aurait
alors, selon Mediapart, vidé ledit
compte en 2009 : 2,86 millions
d’euros retirés, dont une partie en
lingots, 102 pour être précis. La
défense de Joëlle est en or ou en
bois, c’est selon : elle dit avoir
touché un héritage de sa grand-
mère, institutrice en Corse. Depuis,
personne ne sait si elle va être
inquiétée pour une éventuelle
fraude fiscale. « Mais sincèrement, si
je compare avec Charles, ça va beau-
coup mieux, admet Nadine Jeanne,
ancienne opposante. Les méthodes
du père finissaient par choquer les
gens. J’ai même eu peur pour la vie de
Christophe Grébert. Aujourd’hui, on
peut être bousculé, insulté, mais on ne
risque plus sa vie. » En 1971, un col-
leur d’affiches socialiste est tué par
des partisans de Charles, qui sera
condamné, au civil, à 200 000 francs
d’amende (l’auteur des coups de feu
a été condamné à trois ans de pri-
son, deux autres à deux ans pour
violence avec port d’armes, et un
troisième, le beau-frère du maire, à
deux ans d’emprisonnement pour
complicité). Un fait divers qui inspi-
rera le réalisateur Pierre Granier-
Deferre pour Adieu Poulet. Quarante
ans plus tard, Joëlle se contente de
racheter tous les Canard enchaîné de
toutes les maisons de la presse de
Puteaux quand le journal satirique
s’intéresse de trop près à cette his-
toire de lingots.
AU
fond, on se demande
bien pourquoi elle
craint autant les
articles vaches, la
maire. Il suffit de prendre un café
avec Abdel pour comprendre pour-
quoi elle a toutes les raisons de faire
de vieux os. « Je vote toujours très à
gauche. Sauf ici, aux municipales.
Oui, on entend des trucs, les lingots,
tout ça... Sûrement qu’elle s’est
gavée, mais c’est pareil partout, non?
Moi, je vois ce qu’elle fait pour la
ville, qui est bien tenue. Et quand on
a des enfants, Puteaux, c’est le para-
dis. Là, ma fille est au ski pour
500 euros tout compris, voyage en
TGV et service de bagagerie. J’ai ins-
crit mon autre fille au tennis :
190 euros par an au lieu de 450 à
Mantes-la-Jolie, où j’habitais. Et du
hautbois pour 250 euros par an! Je
me souviens de mon premier Noël à
Puteaux. Ma fille voulait que je lui
offre un jouet, un petit Caddie à
75 euros. Trop cher. Eh bien, le cadeau
de la mairie, c’était ce Caddie, oui,
mais rempli de cadeaux. Elle redistri-
bue l’argent, elle nous fait bien profi-
ter. S’il y a un nouveau maire, il va
faire quoi de mieux? Deux piscines,
trois palais de la culture et payer le
crédit de mon appart? Un nouveau
maire, il se gaverait beaucoup plus,
car il voudra se mettre à jour. Je suis
d’origine tunisienne et la dictature, je
connais. Le successeur fait toujours
pire que le précédent. »
Les opposants nous ont assuré que le
« système » était à bout de souffle,
mais on a plutôt l’impression que
c’est la maire qui a épuisé tout le
monde. « Cette famille sera aux
manettes tant qu’elle sera éligible », se
désole Alexandre Gabard, le super-
justicier. « Pour gagner, il faudrait un
sacré alignement de planètes... »,
admet Poézévara. Prenez Stéphane
Vazia, ancienne tête de liste PS
(8,7 % en 2014). Il a vu ses espoirs
d’alternance écrasés et a essuyé les
foudres de la mairie, un procès, du
blacklistage. Il est devenu neurasthé-
nique, tendance fataliste cynique :
« Je suis d’origine paloise. Pau a long-
temps été dirigé de façon très pater-
naliste par André Labarrère. Il y a
beaucoup de similitudes avec
Puteaux. Mais, comme Labarrère
était socialiste, ça me dérangeait
moins. N’allez pas croire que je suis
ceccaldiste! Bien sûr que les gens ont
peur, bien sûr que je trouve ça insup-
portable en termes de pratiques, mais
il n’y a jamais rien d’illégal, jusqu’à
preuve du contraire! Après tout, si ça
convient aux Putéoliens... »
Aujourd’hui, l’opposition est large-
ment balkanisée, si on peut dire.
C’est dommage, car c’est peut-être
au moment où Vincent Franchi,
40 ans, le fils et petit-fils de, va deve-
nir maire (si sa maman lui laisse la
place en cours de mandat), que l’op-
position aurait son rôle à jouer. Visi-
blement, le rejeton n’est pas une
affaire. En conseil municipal, il peut
pousser des cris de cochon quand un
opposant prend le micro et, quand
on lui demande des précisions sur
les finances, il peut répondre : « Non.
J’ai pas envie. » Même sa maman ne
serait pas rassurée sur les capacités
de son fiston. Mais, comme le dit
Stéphane Vazia : « De toute façon, il
faut que ce soit un membre du clan
qui assure la suite. Son fils est incom-
pétent? Au début, on disait la même
chose de sa mère. » Ça ferait une série
télé terrible, on vous dit.
Un espace réservé aux déjections canines.
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LE MAGAZINE
Jonathan LLense pour M Le magazine du Monde