Libération - 13.03.2020

(Nancy Kaufman) #1

Libération Vendredi 13 Mars 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 7


«C’est 20 % de notre chiffre d’affaires et bien
plus encore en termes de bénéfices», confie le
haut dirigeant d’Air France. Qui rappelle que
depuis un mois, le cours de l’action Air France-
KLM a chuté de 50 %. Ses concurrentes di­-
rectes ne sont pas épargnées. L’allemande Luf-
thansa a dévissé jeudi de 13,11 % et IAG, qui
regroupe British Airways et l’espagnole Iberia,
a perdu 15,6 %. A la clôture, Air France valait
en Bourse à peine 1,8 milliard d’euros, soit
bien moins que le prix cumulé des 550 avions
qui constituent sa flotte. La situation est en-
core plus préoccupante pour La Compagnie,
ce transporteur français qui assure exclusive-
ment des vols vers New York en classe affaires.
«Le coronavirus et le décret Trump vont nous
coûter plus deux mois de chiffre d’affaires», es-
time son directeur général, Christian Vernet.
Résultat : cette entreprise de 120 salariés va
clouer au sol ses deux Airbus A321 jusqu’au
13 avril et mettre au chômage partiel ses per-
sonnels navigants et une partie de ses salariés
aux sols. Les cadres dirigeants devront eux
consentir des baisses de salaire.
Face à cette mesure unilatérale venue de
­Washington, les compagnies aériennes vont
toutes être contraintes de réduire la voilure.
Corsair, qui dessert Miami à raison de quatre
vols par semaine, ferme purement et simple-
ment cette destination. Air France, qui relie
onze villes américaines et proposait jusqu’à
présent 121 vols par semaine, ne volera plus
que vers sept destinations outre-Atlantique,
et avec un programme allégé.


Ambiance sinistre
Les plans d’économies ne devraient donc pas
tarder à faire leur apparition. «On en parlait
déjà avant cette décision américaine, alors
maintenant ça devient encore plus probable»,
estime le dirigeant d’Air France-KLM. Le PDG
de la compagnie, Benjamin Smith, s’est
d’ailleurs entretenu à ce propos jeudi matin
avec le ministre de l’Economie, Bruno
Le Maire, qui lui a rappelé les différentes me-
sures mises en place par Bercy sur le report de
paiement des charges sociales et fiscales. En
revanche, Air France ne pourra pas bénéficier
des prêts accordés par la Banque publique
d’investissement (BPI), réservés aux entrepri-
ses de plus petite taille.
Le gouvernement a également une autre in-
quiétude. Avec un cours aussi bas, Air France
peut devenir une proie intéressante pour cer-
tains fonds qui voudraient se livrer à une opé-
ration spéculative d’achat-vente de titres.
Bruno Le Maire n’exclut pas dans ce cas-là
d’utiliser le bras financier de l’Etat, le Fonds
spécial d’investissement (FSI), comme une
sorte de cavalerie pour contrer des opérations
agressives. Sur le front social, jusqu’à présent,
la direction d’Air France s’est contentée de ge-
ler les embauches de saisonniers et d’évoquer
un nouveau plan de départs volontaires. Ira-t-
elle jusqu’aux licenciements secs, dans une
entreprise toujours très réactive sur les ques-
tions sociales? Le président de la section
Air France du syndicat des pilotes de lignes
(SNPL), Guillaume Gestas, juge en tout cas
que certains navigants pourraient se voir pro-
poser un passage à temps partiel, compte
tenu de la baisse d’activité, notamment sur les
vols longs courriers.
Dans cette ambiance sinistre pour les compa-
gnies aériennes, l’une d’entre elles pourrait
tirer son épingle du jeu. British Airways se
­situe hors de l’espace Shengen visé par le dé-
cret Trump. Dans l’absolu, un passager fran-
çais qui souhaiterait à tout prix rejoindre
New York devrait partir immédiatement pour
Londres et y rester au minimum quinze jours.
Il pourrait alors s’envoler pour les Etats-Unis.
Un peu chronophage mais, à ce jour la seule
solution pour contourner, depuis l’Europe
continentale, ce nouveau blocus made in
America.•


D


ernière grande banque
centrale à réagir à
la pandémie mondiale
de Covid-19, la Banque centrale
européenne (BCE) se sera mon-
trée totalement impuissante
jeudi à rassurer les marchés.
A peine avait-elle annoncé
le maintien de ses taux direc-
teurs que les places européen-
nes sont reparties dans une
­spirale baissière, précipitant le
deuxième krach de la semaine
à la Bourse de Paris, bien plus
sévère encore que le premier.
Il faut dire que la journée avait
(très mal) débuté : jeudi matin,
Donald Trump annonçait la fer-
meture des frontières des Etats-
Unis pour les trente prochains
jours aux voyageurs provenant
d’Europe.

«Vendez, vendez». A la dif-
férence des autres grandes
­banques centrales, la BCE n’a
pas touché à ses taux directeurs.
Si le principal est déjà à zéro
­depuis 2016, celui qui s’applique
aux dépôts des banques dans ses
caisses a été maintenu à -0,50 %.

En annonçant toute une série
de mesures pour tenter d’en­-
diguer cette panique, la BCE
n’est toutefois pas restée inerte.
Les Etats et les entreprises, en
premier lieu les PME, vont
­bénéficier de son programme
de prêts et de rachats de dette
­publique et privée rallongé de
120 milliards d’euros d’ici la fin
de l’année. Quant aux banques,
en première ligne, dont cer­-
taines ont déjà perdu plus de la
moitié de leur valeur en Bourse
ces dernières semaines, elles
vont voir leurs règles assouplies
et être autorisées à opérer tem-
porairement en dessous des
exigences de fonds propres et
de liquidités en vigueur.
Après cette série d’annonces,
la présidente de l’institution,
Christine Lagarde, n’a pas vrai-

ment remonté le moral des
marchés en évoquant une ­
«considérable aggravation
des perspectives de croissance
à court terme». L’entrée poten-
tielle de la zone euro en réces-
sion «va clairement dépendre
de la vitesse, de la force et du
­caractère coordonné» de la ré-
ponse «de tous les acteurs», a-t-
elle insisté.

Challenge. Or à l’écouter,
les Etats ont jusqu’ici fait
preuve de «lenteur et de com-
plaisance» dans leur réaction
face au corona­virus, «en parti-
culier dans la zone euro». Une
critique aussi vive qu’inhabi-
tuelle de la part de l’institution
européenne pour mieux exhor-
ter les Etats à apporter une «ré-
ponse budgétaire ambitieuse et
coordonnée» lors de la réunion
de l’Eurogroupe lundi.
Confrontés au double challenge
«d’assumer le défi sanitaire»
tout en limitant l’impact écono-
mique de la pandémie, les Etats
vont devoir prolonger l’action
de la BCE, plaide Lagarde, no-
tamment en apportant des
­garanties supplémentaires
sur les crédits. Manière de si-
gnifier que l’arme monétaire
des ­banques centrales, déjà très
sollicitée ces dernières années,
n’est qu’un rempart temporaire
pour faire face à des crises
d’une telle ampleur.
Christophe Alix

Dans les minutes qui ont suivi,
le CAC 40 à Paris, le DAX de
Francfort et le FTSE à Londres
s’effondraient de plus de 10 %,
accentuant un recul qui repré-
sente désormais plus d’un tiers
de leur valeur depuis le ­début de
l’année. A - 12,28 % en clôture, la
place parisienne a même essuyé
la pire baisse ­journalière de son
histoire. Le Dow Jones a aussi
plongé de 8,22 % à l’ouverture,
provoquant une interruption
automatique des échanges.
Un scénario qui s’est répété à la
Bourse de São Paulo (- 11,6 %).
«Vendez, vendez, vendez», a ré-
sumé un analyste pour qualifier
l’état d’esprit du jour ; un autre
pronostiquait une «descente
aux enfers boursiers» qui devrait
continuer à court et moyen
­termes.

Bourses : ça krach de tous


les côtés, la BCE impuissante


Après avoir annoncé
une série de mesures
pour endiguer
la panique boursière,
Christine Lagarde a
exhorté la zone euro à
apporter une réponse
plus «ambitieuse».

Christine Lagarde, le 11 février. V. Kessler. Reuters

En
partenariat
avec

© Radio France/Ch. Abramowitz

LES
MATINS
DU SAMEDI
7H -9H

Caroline
Broue
Avec la
chronique de
Jacky Durand
"Les
mitonnages"

L’esprit
d’ouver-
ture.

Demain


matin,


le monde


aura


changé.


Comment aider les
travailleurs précaires?
Jugeant les ministres «obsédés par la crise économique»
et reconnaissant qu’«il faut l’être», le chef de file de La
France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, alerte sur «la
crise sociale que cela déchaîne». «Les gens qui sont mis
au chômage technique, il faut qu’ils retrouvent 100 % de
leur salaire», a-t-il lancé jeudi. Visant à maintenir l’emploi
en cas de baisse d’activité, le dispositif du «chômage
partiel» a déjà été demandé par 3 616 entreprises
pour 60 000 salariés. Il permet aux employeurs de
bénéficier d’une aide couvrant en partie l’indemnité qu’ils
doivent verser à leurs employés (celle-ci ne pouvant être
inférieure à 70 % de la rémunération antérieure brute).
Pour l’heure, l’aide est limitée au niveau du smic et le coût
estimé à 180 millions d’euros pour l’Etat. Mais l’exécutif
pourrait «déplafonner» le dispositif. Le ministre de
l’Economie y est favorable. «On est en train de regarder si
on peut aller au-delà du smic», indique aussi la ministre
du Travail, Muriel Pénicaud, qui assure «ne pas avoir de
limite budgétaire».
Autre urgence pour Mélenchon : «reporter» la loi
qui prévoit un nouveau durcissement des règles
d’indemnisation des chômeurs dès le 1er avril. «Ce sont
des centaines de milliers de femmes et hommes qui vont
tomber dans la pauvreté et le dénuement si cette réforme
entre en application», abonde le socialiste Olivier Faure.
Mercredi, FO, la CGT et la CFDT ont également réclamé
l’annulation de la réforme. En réponse, jeudi, la ministre
du Travail, qui regarde «différentes options» et recevra les
partenaires sociaux vendredi matin, promet des mesures
pour les «travailleurs précaires [...] d’ici quelques jours».
Sans préciser si un report de la réforme est à l’étude. A.Ca.
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