Les Echos - 13.03.2020

(sharon) #1

12 // IDEES & DEBATS Vendredi 13 et samedi 14 mars 2020 Les Echos


opinions


Face au coronavirus, c’est à l’Europe


de prendre en charge les salaires


faisait horreur à Berlin. Mais le bouger
allemand reste bien petit. Les discus-
sions sur le budget 2 021-2027 de l’Union
se sont ensablées dans les égoïsmes
nationaux, et butent surtout sur l’idéo-
logie anti-keynésienne de l’ordolibéra-
lisme : la bonne économie ce sont des
bons produits, et cela ne vient jamais de
l’argent de l’Etat, au contraire. L’aban-
don par le président français de l’ortho-
doxie budgétaire à l’occasion de la crise
des « gilets jaunes » n’a fait que consoli-
der les réticences germaniques.

Nationaliser les salaires
Le drame du coronavirus pourrait ser-
vir comme une seconde crise Lehman
Brothers. Mme Merkel a pris l’ampleur
de la catastrophe qui s’annonce : « Il
s’agit d’une situation exceptionnelle et on
fera tout ce qu’il faudra [...] sans nous
demander tous les jours ce que ça fera sur
notre déficit », a-t-elle dit mercredi.
Dans la tête de la chancelière, il s’agit
encore du niveau national, mais des
économistes allemands commencent à
faire sauter le tabou maastrichtien du
3 %. La bonne réponse, expliquent-ils,
est, comme en 200 8, de mettre les sala-
riés en temps partiel aux frais de l’Etat,
en clair de nationaliser les salaires des
entreprises en difficulté, le temps de la
crise, que l’on suppose ne durer que peu
de semaines. Ils ont raison, s’il l’on veut
éviter une très forte récession ou que ne
disparaissent des milliers de PME et
d’artisans, il faut aller jusque-là. Mais, si
l’on veut ne pas creuser les divergences
bientôt meurtrières entre pays, c’est à
l’Union de prendre en charge la « natio-
nalisation » par une « européanisa-
tion », la Commission se dotant d’une
capacité d ’emprunt. L’occasion d e mon-
trer à toutes les populations les bien-
faits concrets de l’Europe! Une crise
transformée en avancée européenne,
Angela Merkel, chez elle s i désemparée,
pourrait, sans être convaincue, se lais-
ser faire.

Eric Le Boucher est éditorialiste
aux « Echos »

tenir ses familles et ses entreprises avec
l’autorisation de Bruxelles de creuser
son déficit, mais il demande une solida-
rité européenne bien plus large, à com-
mencer par la livraison de matériels
pour ses hôpitaux débordés. C’est
Pékin, un comble, qui répond, par un
envoi de masques et de machines respi-
ratoires.

Réticences germaniques
La France en cas de scénario à l’ita-
lienne aura aussi besoin d’aide, non pas
médicale mais budgétaire, si elle veut
faire face avec « tout ce qu’il faudra ». Si
l’épidémie se prolonge et si l’économie
tombe en récession, il faudra mobiliser
20 ou 30 milliards ou plus, pour soute-
nir les trésoreries d es e ntreprises, ce q ui
fera exploser le déficit très au-delà des
3 % du PIB, au risque de dégrader la
note de la dette française. L’idée est évi-
demment, comme toujours, que ce soit
l’Europe qui prenne le relais. Et comme
toujours, la réponse allemande est
« nein ».

Emmanuel Macron doit rejouer la
tragédie jouée par Nicolas Sarkozy il y a
douze ans devant la chancelière alle-
mande. Il essaie, en vérité, depuis son
entrée à l’Elysée, sur le thème de la sou-
veraineté. Sans grand succès jusqu’ici.
Outre-Rhin, les grands groupes ont pris
peur devant les ambitions chinoises
dans les robots ou l’automobile, modi-
fiant l’état d’esprit, ils parlent ouverte-
ment d’une « politique industrielle
européenne », des mots qui, il y a peu,

Rome demande
à l’Europe la livraison
de matériels pour
ses hôpitaux débordés.

C’est Pékin, un comble,
qui répond, par un envoi
de masques et de
machines respiratoires.

Pour éviter des faillites en série, plusieurs pays, dont la France, ont déjà
recours au chômage partiel, c’est-à-dire à une « nationalisation » du paie-
ment des salaires. Il faut aller un cran plus loin, en demandant à l’Europe
de payer directement les salariés de l’Union dans l’incapacité de travailler.

DANS LA PRESSE
ÉTRANGÈRE


  • Les mains du roi Philippe VI restent
    le long du corps. En face le président
    Emmanuel Macron joint ses mains et
    fait un signe qui pourrait rappeler le
    « namasté » indien. La reine Letizia
    d’Espagne et Brigitte Macron mettent,
    elles, leurs p aumes vers le ciel. « Le salut
    sans les mains », commente « El Pais »
    sous la photo des c ouples présidentiel et
    royal qui se retrouvaient mercredi à
    l’Elysée avant de se rendre sur l’espla-
    nade du Trocadéro pour la première
    journée européenne en hommage aux
    victimes du terrorisme. Avant les dis-
    cours, le président français conseille au
    roi de saluer la chorale en recourant au
    langage des signes pour dire bonjour.
    Le monde entier s’est mis désormais à
    l’heure de la pandémie du coronavirus.


L’ importance de la mémoire
La journée du 11 mars a été choisie en
souvenir des attentats sanglants de
Madrid de 2004 qui firent près de
200 victimes et 2.000 blessés. Dans son
discours, écrit « El Pais », le roi Philippe
VI a rappelé l’importance de la
mémoire, « un acte de respect, un exer-
cice de justice et de dignité, une exigence
morale ».
Pour le roi, qui a prononcé son dis-
cours dans un excellent français, « la
mémoire est indispensable pour combat-
tre le terrorisme. Car le souvenir de ce qui
est arrivé constitue l’un des plus puis-
sants catalyseurs pour unir nos forces ».
L’Espagne n’a pas été frappée unique-
ment par le terrorisme d’inspiration
islamiste mais aussi par celui de l’ETA.
D’après un autre article du journal, les
victimes commencent à examiner de
nouveaux recours « pour empêcher les
hommages rendus aux membres du
mouvement terroriste qui commencent à
sortir de prison et retournent au Pays
basque et en Navarre ».
Le combat pour la mémoire des
familles et des proches de victimes ne
fait que commencer.
—J. H.-R.

La commémoration au
temps du coronavirus

LE MEILLEUR DU


CERCLE DES ÉCHOS


Perte d’autonomie :


comment aider les aidants


Les personnes qui accompagnent
des seniors en situation de dépendance
doivent concilier cette lourde
responsabilité avec leur vie
professionnelle. Une épreuve au quotidien.
C’est pourquoi il faut leur venir en aide,
expliquent deux consultantes,
Marion Blanié et Jéromine Da Prat.


PAPY-BOOM « La France connaît
une mutation démographique sans
précédent. La génération des baby-boomeurs
se transforme aujourd’hui en papy-
boomeurs. Conséquence? Le nombre
de personnes dépendantes va croître
de manière exponentielle. Ainsi, d’ici à 2040,
1,2 million de seniors seront touchés par
la perte d’autonomie. [...] L’aîné se tourne
alors vers un ou des proches. Ces proches
sont les aidants. Onze millions de personnes,
soit 1 Français sur 5, sont en situation d’être
un aidant. Cet accompagnement ponctuel
se transforme en un engagement puis
en une responsabilité [...]. »


DILEMME « 65 % des aidants en France
n’ont pas informé leur employeur de leur
situation, malgré de réelles conséquences
sur leur vie professionnelle : stress, fatigue,
absences répétées. Cumuler activité
professionnelle, activité familiale et charge
d’aidant peut rapidement provoquer
un déséquilibre de vie : c’est le dilemme
de l’aidant. Comment réussir à surmonter
ce dilemme? »


CINQUIÈME RISQUE « Les acteurs publics
locaux doivent jouer un rôle de facilitateur
dans le parcours de l’aidant, décloisonner
les métiers en lien avec le grand âge et
coupler leur action avec celle du tissu
associatif d’aide aux aidants. Par ailleurs,
les organismes publics disposent de leviers
pour agir sur les enjeux de prévention liés
au bien-vieillir : campagne de sensibilisation,
guide de bonnes pratiques... [...] De plus en
plus considérée dans le débat public comme
le cinquième risque de l’assurance-maladie,
la perte d’autonomie s’impose comme un
chapitre à part entière dans la vie des
assurés, adhérents et citoyens. »


a
Lire l’intégralité sur Le Cercle
lesechos.fr/idees-debats/cercle


L


a crise financière de 2008 a per-
mis à l’Europe de faire un grand
pas dans l’intégration. Le prési-
dent Nicolas Sarkozy avait réussi à con-
vaincre la réticente chancelière Angela
Merkel de mettre en place un méca-
nisme de défense des Etats pour finan-
cer la Grèce. De son côté, Mario Draghi,
à la tête de la BCE, avait déclaré e n juillet
2012 qu’il ferait « tout ce qu’il faudra »
pour sauver l’euro, un engagement
choc qui avait illico calmé les marchés.
On ne peut pas garantir aujourd’hui
que l’Europe est immunisée contre une
nouvelle crise financière, mais s es capa-
cités de défense sont bien meilleures.

Une réponse budgétaire
Il peut en être de même à l’issue de cette
crise sanitaire dont l’impact économi-
que risque d’être équivalent. L’Europe
aujourd’hui hésite sur la politique à
engager. Christine Lagarde à la BCE
donne ce qu’elle peut, mais, à l’instar de
ses collègues a méricain ou britannique,
elle a prévenu que la politique moné-
taire serait d’un secours limité. Il faut
une réponse budgétaire dont seuls les
gouvernements ont la clé.
Les points de départ des discussions
sont exactement les mêmes. La France
demande un effort « massif » au niveau
de l’Europe, la Commission convaincue
débloque 25 milliards d’euros, mais
l’Allemagne est le pied sur le frein, Ber-
lin voudrait que les dispositifs restent
au niveau national. Cette fois-ci, ce n’est
plus la Grèce qui appelle au secours (on
l’aide déjà trop peu pour les migrants),
mais l’Italie et, comme souvent, la
France en planque derrière elle. Rome
débourse 10 milliards d’euros pour sou-

LA
CHRONIQUE
d’Eric
Le Boucher

LA REVUE
DU JOUR

Connaître et
communiquer

LE PROPOS Abondance
d’informations ne veut pas
forcément dire bonne
communication. La chose est
connue, mais prend une acuité
particulière en période de
révolution numérique et de
proéminence des réseaux sociaux.
Cette livraison, produite à
l’occasion des 80 ans du CNRS,
traite des enjeux démocratiques
d’une question toujours centrale.
Avec des experts qui veulent
désacraliser les algorithmes,
d’autres qui plaident pour
l’approche nécessairement
interdisciplinaire de ces thèmes
aux multiples dimensions
entremêlées, d’autres encore qui
s’intéressent aux conséquences du
déploiement de la 5G ou à la
généralisation de la téléphonie
mobile en Afrique. Et un Alain
Juppé qui, dans un entretien,
relève que « la communication
politique est un art
extraordinairement difficile ».

LA PUBLICATION Avec pour nom
celui du messager des dieux, dieu
de la communication lui-même,
« Hermès » traite depuis un tiers
de siècle de communication.
Revue au format original, publiée
par les éditions du CNRS, elle
apporte un regard critique sur les
réalités contemporaines, avec
dossiers fouillés et compte Twitter.

LA CITATION « Le problème
central? L’autre n’est pas moi »,
Dominique Wolton.
—Julien Damon

La communication au cœur
des connaissances
Hermès, no 85, 2019, 25 euros.

Odd Andersen / AFP
La chancelière allemande, Angela Merkel, et le président français, Emmanuel Macron, avant la conférence
des Balkans occidentaux, à la chancellerie de Berlin le 29 avril 2019.
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