Les Echos - 13.03.2020

(sharon) #1

Les Echos Vendredi 13 et samedi 14 mars 2020 IDEES & DEBATS// 13


opinions


plus de 40 % des diarrhées et de 23 % des
infections respiratoires. Les pays sans
hygiène ont le plus haut taux de mortalité
d’enfants de moins de 5 ans, le plus haut
niveau de malnutrition et de pauvreté.
L’absence d’hygiène dans les bureaux et les
usines réduit aussi la productivité et donc la
croissance économique.
L’absence d’hygiène est un motif pour ne
pas utiliser des transports en commun, ne
pas aller dans un restaurant, ne pas entrer
dans un magasin ou un cinéma. Plus parti-
culièrement, une étude menée au Bangla-
desh a montré que 73 % des ouvrières man-
quent 6 jours de travail par mois par
manque de moyens et de services d’hygiène
féminine.
Cela ne concerne pas que les pays en
développement : l es pays l es plus r iches, qui
disposent des moyens d’hygiène, ne les u tili-
sent pas non plus. En particulier, une étude
a montré en 2014 que le manque d ’hygiène a
un coût de 14,5 milliards d’euros en France,
13,7 en Grande Bretagne, et 12,6 milliards en
Allemagne.

Il serait donc particulièrement rentable,
ici et maintenant, d’investir dans l’écono-
mie de l’hygiène. Et ce serait très rentable,
même sur le simple terrain économique.
Une étude de l’OMS de 2012 a montré que
chaque e uro i nvesti dans l ’hygiène r apporte
5 euros (en réduisant le nombre de morts
prématurés, en réduisant les dépenses de
santé et en augmentant la productivité).
Une étude menée par l’Unicef en Chine a
montré q ue la distribution de savon dans les
écoles primaires réduirait de moitié
l’absentéisme des élèves.
Au moment où on se prépare, partout, à
mettre en p lace des programmes de relance
de l’offre et de la demande, il serait bon de
penser à celui-là : un grand programme
mondial de développement de l’hygiène
devrait concerner non seulement des sec-
teurs d’infrastructures (comme les réseaux
de gestion des eaux usées, les marchés de
gros), mais a ussi des entreprises p roduisant
des produits d’hygiène, le recyclage de ces
produits, aujourd’hui trop souvent en plas-
tique à usage unique. On comprendra alors
qu’il y a des relations très étroites entre
hygiène, protection de l’environnement,
justice sociale et éducation.n

L’absence d’hygiène dans
les bureaux et les usines
réduit la productivité
et donc la croissance.

Une étude a montré
que le manque d’hygiène
a un coût de 14,5 milliards
d’euros en France.

LE POINT
DE VUE

de Borge Brende
et Ryan Morhad

Nous savions que nous


n’étions pas prêts


À


l’automne dernier, seize diri-
geants de gouvernements,
d’entreprises et d’organisa-
tions internationales se sont réunis à
New York pour mener une simulation
d’intervention face à une hypothétique
urgence sanitaire mondiale. Nous
avons examiné les défis que pourrait
poser un tel scénario, qui, nous le
savions, était susceptible de se pro-
duire. Nous ne pouvions pas savoir que
cet exercice deviendrait réalité quel-
ques mois plus t ard avec le coronavirus.
Les premiers cas de Covid-19 ont été
signalés en Chine. Fin janvier, plus de
500 personnes avaient été infectées et
Wuhan, le point de départ de l’épidé-
mie, mis en quarantaine. Aujourd’hui,
le Covid-19 a touché 120.000 personnes
dans l e monde, f aisant plus de
4.200 morts. L’OCDE s’attend à ce qu’il
cause également des dommages é cono-
miques importants. Le monde pourrait
plonger en récession technique.
Si vous nous aviez demandé lors de
l’exercice à New York : « Etes-vous prêts
en cas d’urgence sanitaire mondiale? »,
nous a urions répondu « non ». La simu-
lation et nos travaux antérieurs avaient
montré qu’il restait beaucoup à faire
face à une telle menace. Il reste toutefois
de l’espoir.

Réponse systémique
Au lieu de nous concentrer sur l’impact
immédiat du virus sur la santé, nous
devons trouver une réponse systémi-
que. Nous n’avons pas suffisamment
réfléchi à la gestion des conséquences
sur les moyens de subsistance des
populations. Il est désormais temps d’y
remédier.

Seattle Times aux États-Unis suivent
son exemple, en donnant à tous l’accès à
leurs articles, basés sur des recherches
solides et non sur des rumeurs en ligne.

Engager les entreprises
Troisièmement, nous devons impli-
quer les décideurs du secteur privé. Les
gouvernements concentrent leur com-
munication sur le grand public. Mais le
secteur privé et ses dirigeants sont eux
aussi une pièce cruciale du puzzle. Ils
peuvent aider à limiter les conséquen-
ces économiques s’ils sont correcte-
ment informés par les autorités sanitai-
res et publiques, et ce de manière
continue. Ces défis ne peuvent être sur-
montés sans la confiance, le partage
d’informations et des décideurs enga-
gés. L e Forum économique mondial fait
sa part. En réponse au Covid-19, il
appelle à une interaction entre les direc-
teurs généraux, l’OMS et d’autres
experts de haut niveau.
Enfin, nous devons tous collaborer.
Le Covid-19 est un test grandeur nature
pour voir comment n ous pouvons n ous
rassembler afin d ’atténuer les risques et
les perturbations propres à ce nouvel
environnement. Beaucoup d’entre
nous pensent que les épidémies n’arri-
vent qu’ailleurs et que c’est la responsa-
bilité des autres de les y maintenir. Pas
cette fois. Le Covid-19 est la plus grave
menace pour la sécurité sanitaire mon-
diale depuis des décennies. Nous ne
pouvons agir seuls.

Borge Brende est le président du
Forum économique mondial.
Ryan Morhard y dirige les activités
de sécurité sanitaire mondiale.

LE POINT
DE VUE

de Julie Gaillot


Les Français


voteront-ils vert?


M


arche pour le climat, effet
Greta, succès de nouveaux
modes de consommation,
essor des initiatives RSE des entrepri-
ses... Trois couleurs : bleu, blanc, vert!
A l’aube d’une échéance électorale
majeure, faut-il s’attendre à un raz de
marée vert pour les municipales?
En 2009, l’environnement n’était que
la sixième préoccupation des Français,
loin derrière le chômage, la santé, le
pouvoir d’achat, les inégalités sociales
et l’école. Dix ans plus tard, nos derniè-
res mesures dessinent un tout autre
paysage mental des Français. L es inéga-
lités sociales, le terrorisme, l’emploi,
l’école et le logement sont relégués au
second plan, devancés par le pouvoir
d’achat, la santé et surtout l’environne-
ment qui ne cesse de grimper dans les
priorités des Français depuis le prin-
temps 2019.
Dans ce contexte, les Français recon-
naissent leurs propres responsabilités.
Le citoyen averti exhorte acteurs
publics et entreprises à agir et désigne le
consommateur acteur comme le plus à
même d’avoir une influence pour la
protection de l’environnement. Et nom-
breux sont les Français qui revoient
effectivement leur mode de vie pour
adopter des gestes verts.

Les Français, schizophrènes?
Préoccupation première affichée du
citoyen, priorité du consommateur,
mais qu’en est-il de l’électeur? Seuls
34 % des Français déclarent que les
enjeux environnementaux seront prio-

autres. Les étiquettes politiques pèsent
moins que les femmes et les hommes
qui incarnent le territoire. Enfin, parce
que se dessine clairement le portrait
d’une France à deux vitesses dans
laquelle les habitants des grandes
agglomérations demandent en priorité
que l’on mette l ’accent sur la lutte contre
la délinquance et contre la saleté, alors
que ceux des communes rurales veu-
lent surtout sortir de leur isolement :
couverture numérique, transports en
commun et liaisons avec les autres vil-
les, aide aux personnes âgées, activités
culturelles... Sans oublier qu’en pleine
campagne électorale, les électeurs
retrouvent aussi leurs réflexes idéologi-
ques : pouvoir d’achat pour les uns, iné-
galités sociales pour les autres, ou
encore insécurité pour les électeurs les
plus à droite, reléguant ainsi l’environ-
nement au second plan.

Voter vert, pour quoi faire?
Un citoyen qui multiplie les gestes
écolos et interpelle entreprises et gou-
vernements, un consommateur qui
prend de plus en plus en compte la
dimension environnementale dans
ses actes d’achat. et pourtant l’écologie
reste un é lément assez peu structurant
dans le vote de l’électeur... Pour les
Français, l’é lection ne serait donc pas
le meilleur moyen de faire avancer la
cause environnementale dans le q uoti-
dien de la cité.

Julie Gaillot est directrice du pôle
« society » de l’Institut CSA.

ritaires dans leur vote aux municipales.
Il s’agit essentiellement des plus jeunes
et des citadins, de sensibilité de gauche
ou écolo. Pourquoi ce changement de
comportement au moment de glisser le
bulletin dans l’urne? Pourquoi l’écolo-
gie peine-t-elle aujourd’hui à transfor-
mer ce capital citoyen en potentiel élec-
toral?
D’abord parce que les préoccupa-
tions environnementales sont surtout
(mais pas que) portées par les jeunes,
une catégorie de la population dont
l’opinion est en construction et est à ce

titre encore fragile. Un électorat dont le
premier parti politique est d’ailleurs
l’abstention. Aussi, parce que l’écologie
souffre malgré tout d’un déficit d’incar-
nation politique : 54 % des Français
sont incapables de citer spontanément
« un parti politique qui s’engage réelle-
ment pour la protection de l’environne-
ment », et répondent « aucun » à 35 %.
Les Verts sont ceux qui s’en sortent le
mieux, mais sans fanfaronnade : seuls
37 % des Français les citent spontané-
ment comme un parti qui s’engage réel-
lement pour l’environnement.
Ensuite, parce que l’élection munici-
pale n’est pas une élection comme les

Seuls 34% des Français
déclarent que les enjeux
environnementaux
seront prioritaires
dans leur vote.

Prenons un exemple. Il y a deux
cents ans, les services de lutte contre
les incendies du Royaume-Uni se
concentraient uniquement sur les f eux
en eux-mêmes. Jusqu’à ce que quel-
qu’un finisse par dire : « Il ne suffit pas
d’éteindre le feu. Vous devez le faire de
façon à soutenir les personnes les plus
touchées et [prendre en compte]
l’impact sur leur communauté. » De la
même façon, nous devons répondre
aux menaces sanitaires mondiales
d’une manière systématique qui s’atta-
que aux perturbations économiques et
sociales qui en découlent.

Nous devons par ailleurs agir sur les
faits, et non sur la peur. Les fausses
informations se propagent plus rapide-
ment que les annonces officielles de
l’Organisation mondiale de la santé
(OMS) et des autorités. De nombreuses
personnes continuent de prendre des
décisions excessivement prudentes et
souvent sans fondement, comme
l’accumulation de masques. Cela
conduit à un nivellement par le bas.
L’OMS a donné le ton avec ses points-
presse quotidiens et son site Web riche
en informations pour les citoyens, les
entreprises et les gouvernements. Elle a
même ouvert une chaîne TikTok. Des
médias tels que Dagens Nyheter en
Suède, The Local en Europe et The

Nous n’avons pas assez
réfléchi à la gestion des
conséquences sur les
moyens de subsistance
des populations

Illustration Mailys Glaize pour « Les Echos »


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notre podcast d’actualité

Une urgence : l’économie


de l’hygiène


U


n bon skieur sait que, pour passer
une porte dans un slalom, il faut se
préparer à franchir la porte sui-
vante. Et c’est vrai avec tout : la meilleure
façon de faire face à une crise, c’est d’agir en
se préparant à en tirer les leçons pour gérer
au mieux l a suivante. Cela semble peu intui-
tif, pourtant, si on avait, dans toutes les
circonstances, tenu compte de ce qu’on
avait appris de la crise précédente, celle que
nous traversons aujourd’hui eût été beau-
coup plus facile à gérer.

Des moyens plus coercitifs
Il y a donc beaucoup de leçons à tirer, dès
aujourd’hui, de la crise actuelle. D’abord,
sur les moyens dont il faut doter chaque
système national de santé, en personnel et
en matériel ; puis sur les conditions de la
coordination internationale, et en parti-
culier les moyens plus ou moins coercitifs
dont doit disposer l’OMS. Il est insensé que
cette organisation soit dotée de beaucoup
moins de pouvoirs que n’en ont, dans leurs
domaines, le Comité olympique internatio-
nal ou la Fifa.
Il est un autre secteur où la crise actuelle
mérite qu’on agisse vite, pour le présent et
l’avenir, celui de l’hygiène : il ne faut pas
oublier que la crise actuelle a commencé
par un problème d’hygiène d ans un marché
d’alimentation de gros à Wuhan.
C’est donc l’occasion de se souvenir que
l’hygiène est un enjeu économique, social,
culturel et politique majeur. Et qu’il serait
urgent de le traiter c omme tel. Et d ’agir mas-
sivement. Tout de suite.

Mortalité des enfants élevée
Plus de 45 % de la population mondiale n’a
pas accès à des services d’hygiène efficaces ;
plus de 40 % des gens n’ont pas de moyens
de se laver les mains à domicile. Plus de
2 milliards de personnes n’ont pas accès à
des toilettes. La nourriture de plus de la
moitié de la population de la planète passe
par des marchés de gros à l’hygiène dou-
teuse. Au moins 10 % de la population mon-
diale mange de la nourriture irriguée par
des eaux usées. Et pas besoin d ’aller très l oin
pour voir le peu de cas fait, partout, de
l’hygiène urbaine, de l’hygiène personnelle,
de l’hygiène au travail ; l’actuelle campagne
électorale, en France, devrait être l’o ccasion
de s’en souvenir.
L’impact de l’hygiène sur la santé est éta-
bli : ne pas se laver les mains est la cause de

L'ACTUALITÉ
DES THINK TANKS

IDÉE
Le monde des think tanks se passionne pour les élections municipales. C’est
au tour de l’iFRAP d’apporter sa pierre à l’édifice. Le résultat repose sur
un an de travail : traitement et recomposition des finances du bloc
communal, c’est-à-dire des communes et de leurs intercommunalités.
Car, sur le plan des finances comme des réalités quotidiennes, la ville-centre
ne saurait plus compter isolément. Ainsi, 380 agglomérations sont passées
au crible du décorticage budgétaire. Un indicateur synthétise dépenses de
fonctionnement, impôts, investissements et dettes et une note sur 20 permet
de repérer les évolutions et de comparer des territoires de taille similaire.

INTÉRÊT
Pour les 20 villes de plus de 150.000 habitants, Villeurbanne est en tête, Paris
au 17e rang. Pour les villes autour de 45.000 habitants, Saint-Laurent-du-
Maroni, presque à égalité avec Saint-Germain-en-Laye (!), dépasse de très
loin Compiègne et Saint-Ouen. Ces notes alimenteront, chez les élus, critique
et fureur ou célébration et satisfaction. L’exercice a des vertus salvatrices en
ce qu’il autorise une consolidation de comptes dispersés. —Julien Darmon

http://www.ifrap.org

Décortiquer et noter les budgets municipaux


LA CHRONIQUE


de Jacques Attali

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