Les Echos - 13.03.2020

(sharon) #1
90 –LES ECHOS WEEK-END

SPÉCIALPARIS


PARIS VILLAGE


75 raisons d’aimerParis...Paris auraitété
dansledépartement de l’Ain,uneseule raison
aurait suffi,mais75, je crainsde ne pas
yarriver malgré mabonnevolonté.J’ysuis
venu de ma province, la premièrefois, j’avais
15 ans.Je ne voulais plus la quitter,subjugué
parl’effervescence intellectuelleàlaquellema
région étriquée nem’avait pashabitué,etvous
savezceque Nietzsche en disait:«Jehaisles
gens étriqués,chez eux rien de bonetpireencore
pasgrand-chosede mauvais. »Bref,jenevoulais
plus en partir.Jemepayais mêmedestours
de métro justepour leplaisir du balancement,
du bruit,d’une odeur particulière.J’y suis
revenu, j’en suisreparti, sansjamaisvraiment
yhabiter,sansjamais vraiment la quitter
jusqu’à ce que j’en sois chassé par lapollution
et son inconfort croissantil yacinqans.
J’y reviensavecplaisirpour des séjours
courts au-delà desquels les inconvénients
reprennent le pas sur lesavantages.Ceque
j’aimedansParis,c’est en premierlieu tout
ce qu’elle ad’immobile.Un filmdes frères
Lumièredes années1880coloriséet

remastérisémontredes enfantsjouant devant
le bassinduLuxembourg.Ontrouve lesmêmes
enfants aujourd’hui, issusdesmêmes quartiers
et si cen’est latechnologiequiles entoure,
ils n’ont pas changé.
Les monuments historiques ont cette force
conservatrice qui contrasteavec l’histoire
des idées, lebouillonnement révolutionnaire,
les clivages entretenus comme dans aucune
autre capitale au monde. La République
s’est choisi un hôtel particulier de seconde
zonepour héberger son président, depeur
de la force évocatrice de certains bâtiments
plus prestigieux. Le Louvre aurait bien
convenu aux intrigues d’un Mitterrand,
mais plutôt que de l’habiter ilapréféré
lui léguer unepyramide. Les injections
de modernité ont été souvent maladroites.
L’intérêt des colonnes enpyjama duPalais-
Royalinterroge notre capacitéàfaire dubeau.
Mais la laideur deBeaubourgn’empêche pas
son attractivitépour des collections d’art
moderne de grande qualité. Et le musée des
arts premiers qui estàpeu près tout ce qui

restera de Chirac–cequi est déjà pas mal,
ses trois successeurs nepeuvent pas en dire
autant–est aussi un lieuexceptionnel.
C’est de tout temps lepolitique qui a
façonné la ville et mêmepour un républicain
comme moi, il faut reconnaître que les rois
ont plus faitpour elle que les chefs d’État
modernes, même si Louis XIV,jugeant la ville
turbulente,apréféré déployersagrandeur
àVersailles.
Pour bien profiter deParis, il faut du temps
ou de l’argent. Si onales deux,c’est encore
mieuxpour jouir des bistrots et d’une
production théâtrale au sommet de laquelle
reste la Comédie-Française. Quand je suis
àParis, jem’installe dans le Xearrondissement
qui par son mélange depopulations mêle
mon histoire sénégalaise et marocaine
avecmon amour du jazz, puisque je dors
le plus souvent en face duNewMorning
au-dessus duquel je travaillepour mes films.
C’est çaParis, on trouveson coin et onn’en
bouge presque plus quand onyest. On ressent
le besoin de recréer son village, et ça marche.

LE TRAIT


ILLUSTRATION

PORTRAIT :KIM

ROSELIER

75

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