Les Echos - 13.03.2020

(sharon) #1

14 // IDEES & DEBATS Vendredi 13 et samedi 14 mars 2020 Les Echos


focus


souci de notoriété et de respectabilité, mais
il a un amour de la presse réel », tranche
Matthieu Pigasse, son meilleur allié au
sein du groupe Le Monde. Daniel Kre-
tinsky n’est-il pas devenu indirectement
actionnaire du quotidien en reprenant
49 % du holding Le Nouveau Monde de
l’ex-patron de Lazard Europe.
D’autres sont plus circonspects en
arguant de ses liens avec ses parrains
« historiques » russophiles, le milliar-
daire tchèque Petr Kellner, avec lequel
Daniel Kretinsky reste « intimement lié »
depuis qu’il s’est « mis en couple » avec sa
fille, Anna Kellnerova, 23 ans, ou
l’homme d’affaires slovaque Patrik T kac.
Sans compter ses relations avec l’ancien
Premier ministre tchèque conservateur
et climatosceptique Mirek Topolanek,
connu pour ses dérapages et ses liens
plus que cordiaux avec Silvio Berlusconi.
« Son style est trop brutal, il manque d’élé-
gance, il est trop macho », admet Daniel
Kretinsky, qui lui a offert un poste au sein
de son groupe EPH. Mais « il est beau-
coup plus éduqué qu’il n’en a l’air ».

« Outsider » de l’énergie
Ne pas se fier aux apparences. Tel est le
credo de l’entourage du milliardaire
tchèque. L’auteur ne se contente pas de
raconter le « raid » réussi du milliardaire
tchèque sur « Elle » et une demi-dou-
zaine de titres du groupe L agardère, avec
l’aide des « facilitateurs » Etienne Bertier
et Denis Olivennes. Ni celle de son
« entrée par effraction » dans le capital
du grand quotidien du soir, avec l’appui
du banquier d’affaires Matthieu Pigasse.

Le propos est plus large. L’enquête se lit
comme un polar baroque sur un person-
nage c omplexe. Affairiste opportuniste?
Cheval de Troie du Kremlin? L’auteur ne
tranche pas. Tout juste nous invite-t-il à
réfléchir sur le parcours et les intentions
de cet « outsider » de l’énergie qui s’est
fait une spécialité de reprendre les
vieilles centrales à charbon européen-
nes promises à la fermeture (du suédois
Vattenfall en Allemagne à celle de Gar-
danne en 2019). En s’attirant, au passage,
les louanges appuyées du patron de
Total, Patrick Pouyanné, ou de l’ancien
patron d’EDF, Henri Proglio, qui parle
d’un « pari risqué mais intelligent ».
Le calcul de cet « éboueur de
l’Europe » qui reprend à bas prix, voire à
prix nul, des centrales et des mines dont
plus personne ne veut? « Il parie sur le
fait que la politique environnementale est
en partie une illusion » et que l’Europe
aura besoin de beaucoup plus de temps
pour basculer vers les énergies renouve-
lables. Pour l’ancien patron de Lagar-
dère Active, Denis Olivennes, qui confie
avoir directement plaidé la cause de
Daniel Kretinsky auprès d’Emmanuel
Macron – contre les préventions d’un
Xavier Niel –, au moment de son entrée
au capital du « Monde », c’est un « esprit
méthodique, méticuleux, précis, cultivé
[...] ». Un vrai « intello » qui s’intéresserait
de très près à la politique énergétique de
l’Europe.
« Une taupe est une taupe. Si Kretinsky
en est u ne, il est la personne idéale [ ...] Mais
c’est du polar », laisse malicieusement
planer l’ancien bras droit de Robert Her-
sant, Yves de Chaisemartin, qui lui a
vendu « Marianne ». Une chose est sûre :
déjà devenu le premier actionnaire du
géant allemand de la distribution Metro
et actionnaire de Casino en France,
Daniel Kretinsky a bien l’intention
de continuer à pousser ses pions en
Europe, y compris dans les nouvelles
énergies... Comme dans « La Panthère
des neiges » de Sylvain Tesson, l’art de
l’affût implique toujours une part
d’attente et de dissimulation.n

Enquête sur un milliardaire


au-dessus de tout soupçon


Comment le milliardaire tchèque climatosceptique a réussi à s’attirer


les faveurs d’une partie de l’establishment français et à pénétrer


au capital du « Monde ».


DOCUMENTS
« Mister K.
Petites
et grandes
affaires
de Daniel
Kretinsky »,
Jérôme
Lefilliâtre, Seuil
17,90 €, 281 p.

ESSAI
L’ Influence
insoupçonnée
des avocats
d’affaires
de Delphine Iweins,
Enrick B. Editions,
109 pages,
17,90 euros.

LIVRES


Par Pierre de Gasquet


tés civiles, fiscales, administratives, mais
aussi pénales. »

LE POUVOIR DE L’ADMINISTRATION EN
RUSSIE « Vouloir prospérer en Russie signifie
aussi faire face à l’omniprésence de l’adminis-
tration... Tous les échanges se réalisent sur la
base d’un p ouvoir l e plus souvent notarié. Cha-
que document doit être signé et tamponné. “Le
tampon doit être obligatoirement rond à
l’encre bleue”, précise David Lasfargue sur un
ton anecdotique. Récent et toujours en muta-
tion, le droit russe possède une jurisprudence
encore peu étoffée. »

LE DROIT APRÈS LA RÉVOLUTION TUNI-
SIENNE « En Tunisie, il n’existe pas réellement
de culture du droit des affaires. Le marché du
conseil est presque entièrement monopolisé
par les experts-comptables, surtout en droit
social, droit d es sociétés et droit f iscal. Les entre-
prises t unisiennes considèrent l’avocat unique-
ment comme le spécialiste du contentieux. Les
mentalités changent doucement avec l’arrivée
de nouvelles générations d’entrepreneurs. »n

d’entre eux, trop habi-
tués à manager selon
leur propre expé-
rience. Les recher-
ches scientifiques sur
lesquelles s’appuie
Olivier Sibony ne
livrent bien sûr
aucune recette mira-
cle. Elles montrent ce
qui fonctionne, ou pas, en général. Par exem-
ple, les entretiens d’évaluation mesurent très
mal la performance. Ou encore le « brains-
torming » de groupe à l’oral génère moins
d’idées que si l’on travaillait séparément... et
à l’écrit. Bref, l’inverse de ce qui se pratique en
entreprise. — Kevin Badeau

Vous allez
redécouvrir
le management
Olivier Sibony,
éditions Flamma-
rion, 304 pages,
20 euros.

Xavier Matharan se
garde pour autant de
tout angélisme. Il
identifie plusieurs
axes d’amélioration
pour atteindre
l’« horizon inélucta-
ble » de la métropoli-
sation. A savoir, une
montée des compé-
tences, la fluidification des transports en
commun et l’absorption d’une population
plus nombreuse et plus diverse. Dommage
que l’auteur se dispense de toute vision pros-
pective. Un chapitre supplémentaire, dans
lequel il dessine sa métropole « idéale »
n’aurait pas été de refus. — K.B.

Le bonheur
est dans
la métropole
de Xavier
Matharan,
éditions de L’Aube,
166 pages, 17 euros.

On ne les voit jamais. On les entend généra-
lement assez peu. Les rencontrer relève
souvent du parcours du combattant. On ne
s’intéresse généralement aux avocats
d’affaires qu’à travers leurs deals, l’argent


  • beaucoup – qu’ils font gagner à leurs
    clients. Pourtant, l’avocat n’est pas seule-
    ment celui qui plaide, même si les jetés de
    robes noires ces dernières semaines pour
    protester contre la réforme de leur système
    de retraite ont nourri encore l’image d’Epi-
    nal. L’originalité du livre de Delphine
    Iweins est d’aller chercher au-delà. Partir
    du postulat qu’eux aussi peuvent être
    « entravés par la corruption, par des autori-
    tés et administrations intrusives ou par un
    marché ultraconcurrentiel », explique-t-
    elle. Elle s’est livrée à une véritable enquête
    de terrain en rencontrant ces avocats dits
    « d’affaires », aux Etats-Unis, à Singapour,
    en Tunisie, en Russie ou au Brésil pour des-
    siner les contours d’une profession que l’on
    connaît peu ou mal et qui, cependant, a un
    « impact sociétal non négligeable ». Et c’est
    passionnant.


LES ZONES GRISES DES ROBES NOIRES
AU BRÉSIL « Au Brésil, l’homme d’affaires
est perçu historiquement comme un chef de
famille possédant son propre avocat généra-
liste. Conseiller juridique, celui-ci a accès à
toutes les informations c onfidentielles et dis-
pose de procurations. Cette zone grise dans
la déontologie des robes noires – être à la fois
conseiller d’une entreprise et la diriger –
n’est pas sans risque. En signant à la place de
son client, l’avocat assume des responsabili-


  • Et voilà un énième
    bouquin sur le mana-
    gement, se dira peut-
    être le lecteur. Bien
    souvent, nous renon-
    çons à les chroniquer
    tant ceux-ci transpi-
    rent le « bullshit ».
    Pas cette fois. Olivier
    Sibony, connu pour
    ses chroniques dans la lettre d’information
    « Time to Sign Off » signe un intéressant
    manuel sur les pratiques managériales.
    Le professeur à HEC Paris fait appel à la
    science pour éclairer les dirigeants face à
    l’incertitude des décisions quotidiennes.
    L’essai déroutera certainement bon nombre


Livres en bref


Le management sans « bullshit »



  • « Ce sont les métro-
    poles qui vont sauver
    le monde, ou à tout le
    moins contribuer à le
    changer. » Cette cita-
    tion, tirée du livre,
    résume avec fidélité
    le propos de Xavier
    Matharan. L’ancien
    adjoint de Manuel
    Valls à la mairie d’Evry (Essonne) partage
    dans un court essai s a vision enthousiaste d e
    la métropolisation des territoires. Aux yeux
    de l’auteur, ces espaces urbains sont à la fois
    « des lieux d’émancipation », où émergent
    « les ruptures culturelles » et où « les activités
    de services ont trouvé leur terrain de jeu ».


Bienvenue en métropole


LIVRES


Par Valérie de Senneville


Delphine Iweins nous livre une série de récits
dessinant les contours d’une profession
qui a un « impact sociétal non négligeable ».

Avocats d’affaires :


le pouvoir des silencieux


Daniel Kretinsky, le Tchèque qui bouscule la presse française. Photo Joël Saget/AFP


C


e livre pourrait s’appeler
« L’Intrus ». Ou alors « L’Incom-
pris »... Ici, dans le rôle de
l’incompris un milliardaire tchèque de
quarante-quatre ans, Daniel Kretinsky,
venu presque de nulle part, qui a surgi
sur la scène française en 2018, en faisant
son entrée au sein du capital du journal
« Le Monde », après avoir mis la main
sur les magazines « Marianne », « Elle »
et une demi-douzaine de titres du
groupe Lagardère. A première vue,
l’homme se situe à mi-chemin entre un
Robert Maxwell, – lui aussi d’origine
tchèque –, version XXIe s iècle, et un Silvio
Berlusconi, en plus policé. Le genre
d’ovni dont la presse raffole à condition
de ne pas le voir atterrir chez soi...


Journaliste à « Libération », et fin
observateur du monde des médias,
Jérôme Lefilliâtre a voulu percer le mas-
que souriant de ce mystérieux milliar-
daire venu de Prague, francophile et
francophone. Avec une question à la clé :
quel est le ressort réel de cet « homme
pressé, avide de reconnaissance », qui a su
séduire une partie de l’establishment
français, bien que considéré comme l’un
« des plus gros pollueurs d’Europe »?
« C’est un démocrate farouche, libéral éco-
nomiquement, progressiste sur les
valeurs, pro-Otan [...] Bien sûr, il a un


« C’est un
démocrate
farouche, libéral
économiquement,
progressiste
sur les valeurs. »
MATTHIEU PIGASSE
Banquier d’affaires
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