Les Echos - 13.03.2020

(sharon) #1
LE FAIT
DU JOUR
POLITIQUE

Cécile
Cornudet

C


’est l’histoire folle des
élections municipales


  1. Perturbées par
    l’arrivée du coronavirus,
    menacées d’une abstention
    record, reportées
    virtuellement le temps d’une
    journée, et finalement
    maintenues par le jeu des
    acteurs institutionnels.
    Emmanuel Macron s’est
    trouvé empêché par Gérard
    Larcher, président du Sénat,
    et Laurent Fabius, président
    du Conseil constitutionnel, de
    décaler le scrutin pour cause
    de mobilisation générale
    contre l’épidémie.
    En milieu de journée, jeudi,
    l’exécutif, qui a écouté les
    scientifiques, change de
    doctrine. La France n’a pas dix
    jours de retard sur l’Italie ; elle
    n’en a que quatre ou cinq. Il
    faut donc frapper fort pour
    « protéger les personnes
    vulnérables et l’hôpital » et
    suivre l’Italie sur des mesures
    de confinement.
    Mais peut-on dire aux enfants
    de rester chez eux et aux
    salariés d’opter pour le
    télétravail tout en accueillant
    les électeurs deux dimanches
    de suite dans des bureaux de
    vote? Impossible, juge
    Emmanuel Macron, question
    de cohérence et d’efficacité. Il
    décide de reporter le scrutin
    pour circonstances


Larcher et Fabius


en travers de Macron


exceptionnelles, avertit ses
ministres, commence à
consulter experts juridiques
et politiques, et annonce sa
décision aux scientifiques. Fin
du premier acte. Il ne durera
pas longtemps.
Très vite, la droite s’insurge,
Gérard Larcher en tête, qui
s’oppose au report des
élections ; Christian Jacob et
François Baroin en appui. Le
Premier ministre, qui recevait
les chefs de parti le matin
pour parler municipales, n’a
pas abordé le sujet avec eux,
s’indignent-ils. Ce serait un
« déni de démocratie », une
façon pour En marche d’éviter
une élection difficile, voire un
« coup d’Etat » si l’article 16
était déclenché. Le monde
politique est en ébullition,
la pression monte.
En fin de journée, elle
l’emporte. L’exécutif consulte
le Conseil constitutionnel
pour tester sa réaction en cas
de recours contre sa
décision... La réponse met fin
à l’opération : la juridiction ne
le suivra pas forcément, elle
ne donne aucune garantie.
Emmanuel Macron revient
au point de départ. Sans doute
était-il trop tard pour tout
chambouler au dernier
moment, ou le président
n’était-il pas suffisamment
fort pour l’imposer. Fût-ce au
nom de l’intérêt général. Le
scrutin est maintenu. « Il est
important dans ce moment
d’assurer la continuité de la vie
démocratique », affirme-t-il
le soir à la télévision. Ce sont
les scientifiques qui l’ont dit,
assure-t-il.
[email protected]

Par souci de cohérence avec ses mesures de confine-
ment, le président a souhaité reporter les élections
municipales... Avant d’être contraint d’y renoncer.

Dessins Kim Roselier pour

« Les

Echos »

les heures chômées. « C’est le
meilleur instrument pour aider les
entreprises et protéger les salariés »,
estime le ministre. Pour lui, « il faut
déplafonner le dispositif et aller au-
delà d’un SMIC », même si « le coût
pour les finances publiques sera très
élevé », a-t-il prévu. Il évalue le chif-
fre à « plusieurs centaines de mil-
lions d’euros », mais estime qu’il
s’agit « d’argent public bien
employé » puisque cela permettra
aux entreprises de « conserver leurs
salariés et leurs compétences ». Les
mesures devraient être annoncées
lundi matin.

Fonds de solidarité
Deuxième sujet, la garantie publi-
que accordée aux entreprises
demandant un crédit de trésorerie.
La BPI garantira jusqu’à 90 % (70 %
auparavant) des prêts demandés
par les PME à leur banque, ce qui
devrait permettre de rassurer les
établissements financiers, et donc
les inciter à financer les entreprises,
même si celles-ci sont en difficulté.
Cette garantie publique, qui avait
très bien fonctionné lors de la crise
de 2008, sera même « élargie aux
entreprises de taille intermédiaire »,
a indiqué Bruno Le Maire. « Nous
mettrons en place un fonds de solida-
rité pour les entreprises en diffi-

culté », a aussi indiqué le ministre.
Avec une certaine crainte tout de
même : le locataire de Bercy veut
éviter « les effets d’aubaine ». « Je ne
veux pas que cela permette à certains
de se défausser de leurs responsabili-
tés », a-t-il souligné en évoquant
« les banques, les assurances et les
grands donneurs d’ordre ». Ce fonds
de solidarité, dont les modalités
seront clarifiées e n début de
semaine prochaine, « doit servir à
ceux qui en ont le plus besoin », a
résumé Bruno Le Maire.
Enfin, les ordres donnés à l’admi-
nistration sont clairs : « Ce n’est pas
aux entreprises de demander des
reports de charges sociales et fiscales.
C’est aux administrations de leur pro-
poser », a martelé le ministre de
l’Economie. Aux Urssaf et au fisc,
donc, d’être proactifs. Le dégrève-
ment est possible, mais sera étudié
au cas par cas. La taxe de 10 euros
sur les CDD d’usage est aussi repor-
tée. Il faut dire que certaines entre-
prises voient leur chiffre d’affaires
s’effondrer.
Alain Marcotullio, président de
Traiteurs de France, qui regroupe
une trentaine de traiteurs, indique
que ses adhérents connaissent une
baisse de leur chiffre d’affaires de
l’ordre de 80 % depuis début mars.
Ce patron d’une entreprise de récep-

Bercy amplifie le soutien aux entreprises


Guillaume de Calignon
@gcalignon


Devant la gravité de la situation éco-
nomique provoquée par la crise du
coronavirus, le gouvernement
amplifie ses mesures de soutien aux
entreprises. D’abord en ce qui con-
cerne le dispositif d’activité partielle
qui permet aux entreprises en diffi-
culté de faire chômer leurs salariés
et de se faire indemniser par l’Etat et
l’Unédic d’une partie des salaires
versés. Environ 3.600 entreprises
ont déjà fait une demande pour
environ 60.000 salariés. Jeudi, en
déplacement dans une entreprise
de traiteur et de réception, le minis-
tre de l’Economie, Bruno Le Maire,
s’est dit prêt à « refonder » le disposi-
tif, qu’il a qualifié de « lacunaire, trop
lent et plafonné à un SMIC ».
Les entreprises sont en effet
aujourd’hui remboursées par les
fonds publics jusqu’à un SMIC pour


Bruno Le Maire a annoncé
jeudi que le dispositif du
chômage partiel sera
amélioré et l’indemnisation
prise en charge par l’Etat
rehaussée. Ces mesures
s’expliquent par l’aggra-
vation des difficultés des
entreprises.


Le président de la République s’est adressé à la nation jeudi soir. Photo Ludovic Marin/AFP

sonnes de plus de soixante-dix ans
ou atteintes de maladies chroni-
ques de rester le plus possible chez
elles. Aussi le président a rappelé,
pour le bon déroulement des muni-
cipales – dont le report a été envi-
sagé –, que les mesures barrières
soient bien respectées.
Pour « continuer de gagner du
temps » contre la propagation du
virus, le président de la République
a annoncé la fermeture des crèches,
écoles, collèges, lycées et universi-
tés « à partir de lundi et jusqu’à nou-
vel ordre », afin d’éviter que les
enfants, souvent porteurs sains, ne
soient des vecteurs accélérateurs
du virus. Il a aussi promis une orga-
nisation région par région pour
aider aux gardes d’enfants afin que
les soignants puissent travailler. Le
télétravail est encouragé mais les
transports publics sont maintenus.
Pour l es plus f ragiles, il a annoncé le
report de la fin d e la trêve hivernale.

Mobilisation générale
Afin d’éviter a utant que faire s e peut
la saturation des hôpitaux et libérer
des lits de réanimation, le gouver-
nement a demandé dans la journée
la déprogrammation de toutes les
interventions chirurgicales non-ur-
gentes et le niveau 2 du « plan
blanc », préparé depuis plusieurs
jours, a été activé. La mobilisation
de la réserve, des étudiants et des
retraités soignants doit aussi être
généralisée sur le territoire.
Le chef de l’Etat a décrété la
« mobilisation générale économique
quel qu’en soit le coût ». « Nous
n’ajouterons pas à la crise sanitaire,
la crise des fins de mois, la peur des
entrepreneurs », a-t-il décrété avec
un mécanisme exceptionnel d e chô-
mage partiel « avec un système plus
généreux », à l’allemande. « Nous
devons préserver les emplois et les
compétences » et protéger les indé-
pendants », a-t-il continué. Toutes
les entreprises, a-t-il promis, pour-
ront r eporter l e paiement des cotisa-
tions et des impôts dus en mars.

Le chef de l’Etat a aussi demandé
au gouvernement de préparer un
« plan de relance français et euro-
péen ». « Nous, Européens, ne laisse-
rons pas une crise économique et
européenne se propager, quoi qu’il en
coûte », a-t-il avancé, en promettant
une réponse européenne « organi-
sée pour protéger son économie ».
Face aux critiques qui émergent,
Emmanuel Macron a demandé à
tous de « faire bloc » pour venir à bout
de cette crise mettant en garde con-
tre le « repli nationaliste » et « le repli
individualiste ». Mais il a convenu
que des fermetures de frontières
pourraient être décidées, à condition

que ce soit à l’échelle européenne.
« Je compte sur vous pour les jours, les
semaines et les mois à venir, le gouver-
nement ne peut pas tout seul, nous
sommes tous acteurs », a-t-il conclu,
exhortant les Français à respec-
ter « les gestes qui sauvent des vies » et à
inventer de « nouvelles solidarités ».
Le chef de l’Etat a aussi avancé que
cette pandémie nous appelle à
« construire une France et une Europe
plus s ouveraines » e t promis
des « ruptures », avant d’appeler à
« l ’union sacrée ».

(


L’éditorial de Lucie
Robequain Page 16

lLe président de la République a annoncé lors d’une allocution télévisée que les écoles, collèges, lycées


et universités seraient fermés en France à compter de lundi et jusqu’à nouvel ordre.


lIl a solennellement demandé à tous les seniors de plus de 70 ans et aux personnes fragiles de rester chez eux.


Macron se résout à des mesures chocs


pour « protéger les Français »


tion parle « d’une crise d’une violence
inouïe, bien pire que 2008 ». « Dans
mon entreprise, un bon mois de mars,
c’est 70 0.000 euros de chiffre d’affai-
res. Là, je vais faire entre 20.000 et
30 .000 euros », déclare-t-il, en préci-
sant que 45 % de ses coûts viennent
du personnel. Le chômage partiel
est donc inévitable, mais il n’est pas
sûr que cela suffise. D’autant que cer-
tains clients commencent à annuler
des événements prévus en juin et

même juillet. Jean-Marie Paul,
patron du traiteur Butard Enescot,
indique que le comité d’entreprise a
« unanimement accepté de passer en
chômage partiel ».
« La situation de trésorerie devient
un sujet critique pour beaucoup de
PME », selon Pierre Pelouzet, le
médiateur des entreprises. Pour
Fabrice Laborde, chef d’entreprise
dans l’événementiel, « dans mon
secteur, l es entreprises ont en
moyenne une trésorerie d’un mois et
demi ». Ce qui laisse entrevoir ce qui
se passera si la crise dure.n

La BPI garantira
jusqu’à 90 % des prêts
de trésorerie
des PME.

Isabelle Ficek
@IsabelleFicek


La pression était de plus en plus
forte sur l’exécutif. Avec depuis plu-
sieurs jours la montée en puissance
de mesures de plus en plus restricti-
ves dans de nombreux pays sans
compter la décision surprise de
Donald Trump d’interdire l’entrée
des Etats-Unis aux Européens, ou la
panique des marchés avec la plus
forte baisse du CAC 40 de toute son
histoire. Alors ce jeudi, lors d’une
allocution télévisée à 20 heures,
Emmanuel Macron a annoncé des
mesures choc pour accentuer la
lutte contre le nouveau c oronavirus
alors que le dernier bilan jeudi soir
en France faisait était de 61 morts
pour 2.876 contaminations avé-
rées, dont 129 en réanimation.
Le chef de l’Etat a d’abord
reconnu « la plus grande crise sani-
taire q u’a c onnue la France d epuis un
siècle » et expliqué que « dans la
grande majorité des cas », le Covid-
est « sans danger », mais que les
conséquences peuvent être « très
graves » p our l es plus âgés et les p er-
sonnes atteintes de maladies chro-
niques. Il a rendu hommage aux
« héros en blouses blanches » et aux
Français qui ont appliqué les consi-
gnes pour tenter de retarder la pro-
pagation du virus.


Priorité à la santé
Mais Emmanuel Macron a aussi
prévenu que « malgré nos efforts
pour le freiner, la propagation du
virus est en train de s’accélérer ». « La
priorité absolue est notre santé »,
a-t-il martelé. L’urgence est de proté-
ger nos compatriotes les plus vulné-
rables et de freiner l’épidémie pour
protéger nos hôpitaux et nos soi-
gnants q ui vont avoir à traiter de plus
en plus de personnes atteintes », a
déclaré Emmanuel Macron, qui a
demandé solennellement aux per-


ÉPIDÉMIE


EVENEMENT


Vendredi 13 et samedi 14 mars 2020Les Echos

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