Les Echos - 13.03.2020

(sharon) #1

Olivier Ducuing
— Correspondant à Lille


Visages fermés, solennels. Des fla-
cons de gel hydroalcoolique par-
tout. Une petite centaine de repré-
sentants de l’Etat, des collectivités et
des réseaux consulaires et patro-
naux se réunissaient ce jeudi
12 mars à la CCI Hauts-de-France à
Lille pour lancer une mobilisation
générale face au virus.
Signe de l’inquiétude grandis-
sante des milieux économiques,
30.400 personnes étaient connec-
tées en « facebook live » à cette ren-
contre exceptionnelle. « On sera les
premiers en France à prendre cette


Ce jeudi matin, les diri-
geants économiques de la
région et l’Etat se retrou-
vaient pour sonner la
mobilisation générale. Les
Hauts-de-France seront la
première région à encaisser
l’envolée de l’épidémie
selon les épidémiologistes.


Les tensions qui apparaissent dans les livraisons touchent les fournisseurs. Photo iStock

finalement assez rassurant sur ce
front.En revanche, il est moins
serein du côté de ses ventes et
redoute un trou d’air dans le sec-
teur automobile, qui représente
70 % de son activité, en France e t à
l’export.
« Pour l’instant, nos c lients n’ont
pas baissé leurs c ommandes, e t j’en
suis d’ailleurs étonné. Mais en
Chine, on sait qu’ils n’ont pas
vendu de voitures en février. Sur les
autres marchés, il va forcément y
avoir aussi des ajustements »,
poursuit-il. L’avenir dépendra
aussi de la durée de la crise. « Si
elle se limite à quelques semaines
cela ira, l’entreprise est solide et a
les moyens de surmonter ces diffi-
cultés. Mais si cela se prolonge
pendant des mois, ce sera très
différent ».

Le télétravail, solution
inenvisageable
A titre préventif, All Circuits a
déposé une demande de chô-
mage partiel auprès de la préfec-
ture pour pouvoir activer la pro-
cédure sans délai si son activité
venait à diminuer ou bien si les
salariés étaient empêchés de
venir travailler. Car le télétravail
ne peut en aucun cas être la solu-
tion dans un groupe industriel où
la majorité de l’effectif travaille à
la production.
Mais dans l ’immédiat, c’est s ur-
tout l’éventuel passage au stade 3
de l’épidémie qui inquiète la
société, alors que la région reste
relativement épargnée par le
virus. « Il ne faudrait pas que cela
crée un climat plus anxiogène
encore q u’aujourd’hui, car ce serait
le moyen le plus sûr de nous tuer,
bien plus que le virus en lui-
même! » n

Christine Berkovicius
— Correspondante à Orléans

Manque de visibilité et incertitu-
des... Chez All Circuits, on vit la
crise du coronavirus « au jour le
jour », reconnaît Bruno Racault,
président et fondateur de ce
groupe de sous-traitance électro-
nique de 2.200 personnes.
L’entreprise (313 millions de chif-
fre d’affaires) fabrique des sous-
ensembles électroniques. Et elle
dépend évidemment de la Chine
pour les composants qui sont
assemblés dans ses 4 usines en
France et à l’étranger, en particu-
lier au siège de Meung-sur-Loire,
qui emploie 600 personnes.
Pour le patron, la plus grande
difficulté actuellement, « c’est de
savoir d’où viendra le danger », car
« il n’est pas forcément là où on
l’attend ». Malgré les craintes ini-
tiales, les approvisionnements en
Asie, par exemple, n’ont pas posé
trop de problèmes. « On a bien eu
un trou dans les livraisons lors du
nouvel an chinois, mais on sait que
c’est traditionnellement une
période creuse en Chine, et on a
l’habitude d’anticiper nos com-
mandes à ce moment-là de
l’année ». Résultat, l’entreprise a
« mangé ses stocks » et réussi à
« cacher la misère ».
Depuis, les livraisons ont
repris, pas à plein régime mais
suffisamment pour approvision-
ner les lignes de production, si
bien que le patron se montre

Inquiet de l’impact
de la crise sur ses ventes,
ce fabricant d’électroni-
que du Loiret vient
de déposer une demande
de chômage partiel.

Comment All Circuits


gère l’incertitude


au jour le jour


Le d euxième point noir c oncerne
toujours la logistique, mais en
France. De plus en plus de clients
refusent en effet d’entrer en contact
avec des livreurs, plongeant les
commerçants et les industriels
dans l’embarras pour fournir leurs
clients.
Troisième menace qui monte,
l’annulation des commandes ou la
baisse des ventes. Les secteurs les
premiers c oncernés sont les specta-
cles, l’événementiel, les commerces
de détail et les transports. Les
observateurs dans ces domaines
s’attendent à voir les acteurs les p lus
fragiles disparaître rapidement,
certains producteurs connaissent
une perte de chiffre d’affaires bru-
tale, jusqu’à 90 %.

Plans de continuité
Dernier sujet de taille, la réorgani-
sation interne. Pour pallier l’absen-
téisme des employés ou limiter les
risques de transmission, les diri-
geants doivent développer massi-
vement le télétravail ou adapter
l’activité. Plus facile à encaisser
pour un grand groupe multisite
que pour une PME liée à une seule
usine.
Certains secteurs plus discrets
sont particulièrement touchés,
comme celui du conseil ou de
l’ingénierie. Les clients refusent
l’accès des prestataires extérieurs
dans leurs locaux et empêchent du
coup les cabinets de facturer des
honoraires. Une autre société qui a
70 % de ses employés féminins
s’inquiète par exemple de la pers-
pective de la fermeture des écoles.
Même les entreprises qui ne sont
pas encore touchées se voient
défiées par leurs donneurs
d’ordres. « Un de mes gros clients
m’a demandé mon plan de conti-
nuité d’activité, j’ai dû racheter des
ordinateurs portables, doper les
liaisons VPN et faire des essais pour
le rassurer sur la capacité de mes
équipes à faire du télétravail », indi-
que un expert-comptable parisien.
L’actualisation des plans de con-
tinuité fait donc partie des premiè-
res actions à effectuer pour une

PME. En cas de difficultés, Bercy
fait valoir le dispositif d’appui mis
en place par l’Etat. Un numéro télé-
phonique est disponible pour
répondre aux dirigeants, une cen-
taine d’appels sont passés dans cha-
que région tous les jours. Pour sou-
lager un peu la trésorerie, des
reports de charges salariales ou fis-
cales peuvent être obtenus, et les
demandes d’activité partielle sont
décrochables sous 48 heures, con-
tre 15 jours habituellement, pro-
met-on à Bercy.
Le gouvernement déconseille
pour le moment des mesures plus
radicales. De nombreuses entrepri-
ses anticipent en effet une crise plus
grave et gèlent embauches, aug-
mentations et investissements,
selon plusieurs sources. Chacun sa

stratégie. Une TPE raconte par
exemple avoir mobilisé ces der-
niers jours tous ses collaborateurs
pour récupérer les impayés.
Pierre Pelouzet, le médiateur des
entreprises confirme voir depuis
une semaine bondir les demandes
et saisines dans ce sens. « Nous
avons le cas de petits sous-traitants
qui n’arrivant pas à se fournir en piè-
ces et à honorer une commande se
voient infligés par les industriels des
pénalités. Ou des organisateurs
d’événements qui annulent une pres-
tation sans rien régler au fournis-
seur. Nous avons également encore
plus de sollicitations sur les retards
de paiement. J’appelle les grands
groupes qui ont encore de la trésore-
rie à payer en avance, à 30 jours plu-
tôt que 60 par exemple. »n

lLes dirigeants d’entreprise commencent à faire face à des difficultés d’approvisionnement, à des livraisons


perturbées, à l’annulation des commandes et à l’absentéisme des employés.


lParmi les premiers réflexes à avoir : actualiser son plan de continuité d’activité, récupérer ses impayés,


réorganiser son approvisionnement, voire geler les investissements.


Coronavirus : les quatre plaies


qui frappent déjà les PME


Matthieu Quiret
@MQuiret


« Si l’épidémie se prolonge au-delà de
la mi-avril, ça va devenir très compli-
qué. » Ce petit patron parisien dans
le secteur des services n’en dort plus
la nuit. Les PME ne savent pas bien
comment le coronavirus va leur
tomber sur la tête, mais les coups
commencent à pleuvoir : rupture
d’approvisionnement, absentéisme
du personnel, soucis logistiques,
annulations des contrats, etc.
« Cela fait quinze jours que je tra-
vaille uniquement sur le coronavi-
rus », soupire Benjamin Arm, res-
ponsable du capital développement
pour le fonds d’investissement pari-
sien Omnes Capital. L’actionnaire
d’une trentaine de PME et ETI
s’inquiète pour ces entreprises. « Un
grand groupe peut se permettre de
traverser une crise de plusieurs mois.
La pression sur la trésorerie d’une
PME est plus compliquée à gérer »,
prévient-il. Benjamin Arm signale à
ses dirigeants quatre menaces
essentielles auxquelles ils doivent se
préparer.


Risques importés
Il y a d’abord ce que le ministère de
l’Economie appelle les « risques
importés », à savoir l’impact sur la
chaîne d’approvisionnement. La
paralysie des usines chinoises
depuis plusieurs semaines est le
premier impact qu’ont encaissé les
entrepreneurs français. Certains
ont su très vite déplacer leur pro-
duction vers les pays de l’Est euro-
péens par exemple. Benjamin Arm
cite le cas d ’une société qui a déplacé
ses approvisionnements en bateau
vers l’avion pour gagner du temps et
amortir le retard d’acheminement.
A Bercy, on rappelle que les 4 à 6
semaines de transport avec l’Asie
impliquent que la vague de pénurie
de produits va vraiment déferler
maintenant en France. D’autant
qu’elle est renforcée par la paralysie
des fabricants italiens.


SANTÉ


vague », assure Patrick Goldstein,
directeur du Samu 59. Le directeur
de l’ARS annonce s’attendre à une
croissance exponentielle des cas à
partir de la semaine prochaine. Les
acteurs économiques se préparent
au choc : 61 % des entreprises
annoncent déjà un impact sur leur
activité, jusqu’à 78 % dans l’événe-
mentiel, révèle une enquête de la
CCI portant sur 2.300 entreprises,
menée du 4 au 9 mars.
Le premier effet du Covid-19 est
un recul de chiffre d’affaires pour
deux tiers des entreprises. Une
baisse moyenne de 14 % depuis jan-
vier, mais jusqu’à 22 % pour l’hôtel-
lerie-restauration, devant le com-

merce de détail (–17 %) les services
aux particuliers et la logistique.
L’absentéisme est encore faible (8 %
d’entreprises concernées). Mais les
projections sont très noires : 84 %
des dirigeants se déclarent inquiets
pour les semaines à venir et pré-
voient un recul de chiffre d’affaires
de 30 %, jusqu’à 36 % dans l’Oise.
Le préfet et les services de l’Etat
ont tenté de faire acte de pédagogie
sur les mesures d’urgence adoptées
par le gouvernement : chômage par-
tiel, moratoires sociaux et fiscaux,
mais aussi dégrèvements. « Il faut
qu’on aille vite, chaque jour compte »,
souligne le préfet Michel Lalande.

Plan d’urgence
du Conseil régional
«Si on ne prend pas des mesures
d’urgence très concrètes, nous aurons
nombre d’entreprises qui ne pourront
pas s’en sortir. Si tous ensemble, on ne
prend pas la mesure, ça ne marchera
pas », plaide de son côté Xavier Ber-
trand, président du conseil régional
Hauts-de- France. Celui-ci met en

place un plan avec une première
tranche de 50 millions d’euros à tra-
vers plusieurs o utils préexistants, un
fonds de premier secours en lien
avec les tribunaux de commerce, et
Hauts-de-France prévention, avec la
CCI de région.
Des premiers versements pour-
raient intervenir dès avril, assure
l’ancien ministre de la Santé. Par
ailleurs, la région entend jouer le
levier des garanties en doublant la
capacité de Bpifrance, qui pourra
monter à 80 % de garantie sur les
crédits bancaires, soit un potentiel
de 240 millions d’euros de prêts. « Il
est indispensable que les banques
soient parties prenantes de la gestion
de cette crise », lance le directeur
régional de Bpifrance, Bertrand
Fontaine. Alain Griset, président de
la Chambre des métiers régionale et
de l’U2P nationale, préconise quant
à lui un fonds national de soutien
direct aux entreprises. « Il ne faut
pas qu’il y ait plus de morts économi-
ques que de morts dus à la maladie.
Or le danger est réel ». Ambiance.n

A Lille, les patrons nordistes découvrent


des projections très noires


30. 400
PERSONNES CONNECTÉES
en « facebook live » à cette
rencontre avec les pouvoirs
publics. Signe de l’inquiétude
des milieux économiques.

PME & REGIONS


Vendredi 13 et samedi 14 mars 2020Les Echos

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