Les Echos - 13.03.2020

(sharon) #1

Les Echos Vendredi 13 et samedi 14 mars 2020 EVENEMENT// 03


Les conséquences économiques
ajoutent à la pression déjà très forte
qui pèse sur l’Europe pour amortir
la crise. Jeudi, les annonces de la
BCE, jugées trop timides, n’ont pas
rassuré les marchés, très inquiets
de la réponse américaine à la pan-
démie, les Bourses européennes
clôturant sur des r eculs historiques.
Les ministres des Finances euro-
péens doivent se réunir lundi à
Bruxelles pour étudier des mesures
supplémentaires. Christine
Lagarde, présidente de la BCE, leur
a en partie renvoyé la balle en appe-
lant à une « réponse de politique b ud-

gétaire ambitieuse et coordonnée ».
Côté américain, alors que la Fed a
déjà baissé ses taux d’intérêt la
semaine dernière, Donald Trump a
également annoncé une série de
mesures visant à soutenir l’écono-
mie. Des prêts aux petites entrepri-
ses touchées par le virus devraient
être mobilisés, alors que la date
limite de paiement des impôts sur
les revenus pourrait être repoussée
au-delà du 15 avril. Mais la Maison-
Blanche et le Congrès continuent de
discuter sur d ’éventuelles b aisses d e
charges et sur le soutien d es
employés placés en quarantaine...n

V. L. B., N. Ra. (à New York)
et Derek Perrotte (à Bruxelles)


Le choc passé, les critiques se sont
abattues sur Washington. Mercredi
soir, Donald Trump a annoncé sus-
pendre tous les voyages en prove-
nance d’Europe pendant trente
jours à compter de vendredi minuit
aux Etats-Unis, afin de limiter la
propagation du coronavirus sur le
sol américain. La mesure, qui vise
concrètement tout étranger ayant
séjourné dans les deux semaines
dans l’un des 26 pays de l’espace
Schengen, ne s’appliquera pas aux
marchandises, a précisé la Maison-
Blanche, contrairement à ce que
laissait entendre le discours de
Donald Trump.
« Nous mobilisons tous les pou-
voirs du gouvernement fédéral et du
secteur privé pour protéger le peuple
américain », a justifié le président
lors d’une allocution solennelle
d’une dizaine de minutes, pronon-
cée depuis le bureau ovale de la
Maison-Blanche. « Une action intel-
ligente aujourd'hui évitera la diffu-
sion du virus demain », a-t-il com-
menté, alors qu’il jugeait, il y a
moins de deux semaines, que l’épi-
démie n’était « pas inévitable » aux
Etats-Unis et qu’elle était moins
grave que la grippe.


Les Européens accusés
de négligence
Le président américain a accusé les
Européens de s’être insuffisam-
ment protégés, rappelant que les
Etats-Unis ont de leur côté interdit
depuis un mois et demi l’entrée sur
leur territoire des étrangers ayant
séjourné dans les deux semaines
précédentes en Chine. Avec plus de
12.000 cas enregistrés en Italie et
plus de 2.000 en France ou en Espa-
gne, « un nombre important de nou-
veaux foyers de contamination aux
Etats-Unis ont été semés par des
voyageurs venus d’Europe », a-t-il


Le président des
Etats-Unis a annoncé
mercredi soir
l'interdiction d'entrée
sur le territoire amé-
ricain des étrangers
ayant séjourné dans
les 26 pays de l'espace
Schengen dans les deux
dernières semaines.


L’ UE fustige une
décision « unilatérale
et sans concertation ».


Vive polémique après la mise


en quarantaine de l’Europe par Trump


« La décision
du président
américain
est totalement
politique,
il en fait un virus
étranger. »
YANNICK JADOT
Eurodéputé écologiste

C’est à partir de vendredi,
23h59 heure de Washington,
que l’interdiction d’entrée aux
Etats-Unis commencera à
s’appliquer aux Européens. Les
biens et marchandises ne sont
pas visés.


  • QUI EST TOUCHÉ?
    L’interdiction d’entrée sur le
    territoire américain touche
    tous les voyageurs s’étant ren-
    dus dans l’e space Schengen
    dans les deux semaines précé-
    dant leur voyage. Cela ne con-
    cerne donc pas l es voyageurs e n
    provenance du Royaume-Uni
    et d’Irlande. En revanche, la
    Norvège, l’Islande et la Suisse,
    qui n’appartiennent pas à
    l’Union européenne, sont con-
    cernés. Pour un Français sou-
    haitant se rendre aux Etats-
    Unis, une seule solution donc :
    passer deux semaines a u
    Royaume-Uni, ou dans tout
    autre pays non concerné par
    l’interdiction, avant son voyage.
    Des exceptions sont toutefois
    prévues. Les citoyens améri-
    cains, les personnes mariées à
    un citoyen américain ou les
    résidents permanents aux
    Etats-Unis ne sont pas touchés,
    de même que les parents de
    citoyens américains ou de rési-
    dents permanents âgés de
    moins de 21 ans, par exemple.
    Enfin, l’équipage des avions, les
    représentants officiels d’un
    gouvernement o u d’une organi-
    sation internationale devraient
    être acceptés également.

  • LES EUROPÉENS,
    SEULS CONCERNÉS?
    Non, les restrictions s’appli-
    quent à tous les étrangers ayant
    séjourné dans l’espace Schen-
    gen. Et les restrictions qui
    s’appliquent aux voyageurs en
    provenance d’Europe sont
    assez similaires à celles qui tou-
    chaient, depuis un mois, les
    personnes ayant séjourné en
    Chine. Il y a deux semaines,
    l’administration Trump avait
    étendu cette interdiction aux
    personnes ayant séjourné en
    Iran deux semaines avant leur
    voyage. Des recommandations
    avaient aussi été adressées aux
    personnes en provenance de
    Corée du Sud ou d’Italie.

  • DES MESURES
    EFFICACES?
    Les experts doutent de l’effica-
    cité de ces restrictions, car le
    virus s’est déjà propagé sur le
    territoire américain (1.323 cas
    recensés). Avec de nombreux
    cas de personnes n’ayant pas
    voyagé récemment. Rien ne
    permet d ’affirmer, en o utre, q ue
    ce sont les Européens, ou les
    personnes ayant voyagé en
    Europe, qui sont à l’origine des
    foyers de propagation aux
    Etats-Unis (essentiellement
    dans les régions de Seattle, en
    Californie, à New York et en
    Floride). — N. Ra.


Après l’annonce
d’une interdiction pour
30 jours de l’entrée aux
Etats-Unis des person-
nes ayant séjourné en
Europe, la Maison-Blan-
che a apporté plusieurs
précisions.

Comment va


s’appliquer


l’interdiction


de voyager


estimé. Très peu de personnes
avaient en fait été testées le mois
dernier aux Etats-Unis, où le nom-
bre de personnes contaminées a
bondi d’une quinzaine (hors rapa-
triements) à près de 1.300 en moins
de deux semaines. L’absence de
congés maladie pour une partie des
salariés américains aurait aussi
empêché certains malades de se
déclarer, alors que les consignes des
autorités restent extrêmement
floues.
Dès jeudi matin, Ursula von der
Leyen, la présidente de la Commis-
sion européenne, et Charles Michel,
président du Conseil européen, ont
fustigé la décision « unilatérale et
sans concertation » du président
Trump. « Le coronavirus est une
crise mondiale, qui n’est pas limitée à
un continent et qui requiert de la coo-
pération plutôt qu’une action unilaté-
rale », ont-ils réagi, dénonçant dans
le fond comme sur la forme la fer-
meture de la frontière américaine.

« S’il veut que l’Union européenne
soit le coupable, qu’il en soit ainsi.
Cette décision n’est pas cohérente, elle
est unilatérale et elle crée beaucoup
de problèmes qui ne sont pas néces-
saires », enrage un diplomate euro-
péen. « La décision du président
américain est totalement politique, il
en fait un virus étranger », a lancé
sur Franceinfo l’eurodéputé écolo-
giste, Yannick Jadot, résumant le
sentiment dominant à Bruxelles.
Les avis scientifiques suggèrent
que les restrictions de voyage sont
inefficaces, alors que le virus est
déjà présent presque partout dans
le monde, soulignent ainsi les diri-
geants européens. L’approche est
jugée d’autant plus incohérente
que la mesure cible les 22 Etats
de l’UE membres de l’espace Schen-
gen, mais épargne notamment le
Royaume-Uni et l’Irlande, eux aussi
touchés par le virus. Cela n’a
pas empêché le Royaume-Uni de
critiquer lui aussi la décision de
Donald Trump.

Les annonces de
la BCE, jugées trop
timides, n’ont pas
rassuré les marchés.

Les ministres des
Finances européens
doivent se réunir
lundi à Bruxelles pour
étudier des mesures
supplémentaires.

tion touristique et professionnelle
de choix pour les Européens.
Les compagnies aériennes amé-
ricaines ont, comme leurs homolo-
gues européennes, plongé jeudi à
Wall Street. Delta et United Airlines
chutaient de plus de 15 %, American
Airlines de près de 10 %. Avant
même l’annonce des restrictions,
l’International Air Transport Asso-
ciation estimait que le coronavirus
entraînerait une perte de 21 mil-
liards de dollars pour les seules
compagnies aériennes américai-
nes. Selon la société d’analyse
Cirium, des restrictions sur trente
jours toucheraient 17.000 vols et un
total de 4,8 millions de billets.
Le tourisme devrait être le sec-
teur le plus touché. Sur le mois de
mars 2019, ce sont 850.000 voya-
geurs en provenance d’Europe
(Royaume-Uni exclu) qui sont
entrés sur le territoire américain,
selon les é conomistes de l’US Travel
Association, soit 29 % du total. Ils

auraient dépensé 3,4 milliards de
dollars dans le pays. New York et la
Californie devront ainsi se passer
des nombreux touristes européens
qui y arrivent habituellement pour
les vacances de Pâques.
Avant les annonces de Donald
Trump, Tourism Economics éva-
luait la perte, pour le secteur, à
24 milliards de dollars aux Etats-
Unis. Soit sept fois plus que les per-
tes liées au SRAS – et davantage que
celles liées aux attaques du 11 Sep-
tembre. Ce sont 825.000 emplois
qui seraient menacés.

Recommandations
Les restrictions s’accompagnent de
recommandations pour l es
citoyens américains de ne pas voya-
ger en Europe. Là encore, les consé-
quences seront gigantesques :
l’Europe est l a première d estination
pour les voyageurs américains. Ils
étaient 72,4 millions l’an dernier à
s’être déplacés sur le Vieux Conti-

mait déjà l’impact du coronavirus à
0,4 point de croissance, révisant ses
prévisions à 1,3 % pour l’année 2020.
Les risques de récession grimpaient,
eux, entre 25 % et 35 %. Les mesures
de soutien à l’économie, qui ne sont
pas encore arrêtées, devraient, elles,
creuser encore les déficits publics.
Alors que le pays – et son gouver-
nement – ne semblait pas céder à la
psychose, ces dernières semaines,
la situation a brusquement évolué
ces dernières 48 heures. Plusieurs
événements majeurs ont été annu-
lés (comme le rendez-vous tech et
musical South by Southwest, le
Festival de Coachella...), les candi-
dats à l’investiture démocrate ont
annulé leurs meetings, le cham-
pionnat NBA de basket a été
suspendu après que le joueur
français Rudy Gobert a été testé
positif au coronavirus. Et de nom-
breuses autres compétitions spor-
tives, conférences et Salons
devraient suivre...n

Les restrictions de voyage pénalisent aussi l’économie américaine


Nicolas Rauline
@nrauline
— Bureau de New York


Pour l’instant, cela ne durera qu’un
mois. Et il existe quelques solutions
pour échapper à l’interdiction de
voyager aux Etats-Unis. Mais les
conséquences économiques des
restrictions annoncées mercredi
soir par Donald Trump devraient
être lourdes. Pour l’Europe, d’abord,
et ses compagnies aériennes. Mais
aussi pour les Etats-Unis, destina-


Après les reproches de
laisser-aller qui lui étaient
adressés, le président
américain a privilégié
ce qui lui semble être
la meilleure façon de gérer
la crise sanitaire, quitte
à enclencher une autre
crise, économique celle-là.
Les risques de récession
reviennent aux Etats-Unis.


Donald Trump, lors de son allocution solennelle, prononcée mercredi soir depuis le bureau ovale
de la Maison-Blanche. Photo Doug Mills/AFP

nent. Et les prochaines semaines
verront arriver aux Etats-Unis le
« spring break », la coupure
annuelle pour les étudiants, entre
deux semestres. Une période clé
pour le tourisme, outre-Atlantique.
Si l’Europe n’est pas la destination
privilégiée des étudiants, de nom-
breuses universités déconseillent à
leurs élèves de voyager dans les p ro-
chaines semaines, même à l’inté-
rieur du pays.
Avant les mesures annoncées
mercredi, Oxford Economics esti-

24


MILLIARDS DE DOLLARS
Le manque à gagner pour
le secteur touristique américain
selon Tourism Economics,
du fait de l’interdiction frappant
les voyageurs européens.
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