Les Echos - 13.03.2020

(sharon) #1

38 // PATRIMOINE Vendredi 13 et samedi 14 mars 2020 Les Echos


D


epuis la propagation du
coronavirus à travers le
monde, les marchands d’art
et galeristes se mettent à vitesse
grand V à la technologie. La foire
d’antiquités Tefaf de Maastricht
devait se tenir jusqu’au 15 mars. Elle
a été prématurément fermée le 11,
du fait de l’extension de l’épidémie
aux Pays-Bas et dans les pays voi-

sins. La Tefaf ayant été marquée par
l’absence de nombreux conserva-
teurs de musées américains et de
tous les amateurs asiatiques (voir
« Les Echos Patrimoine » du 6 mars
2020), un grand nombre de partici-
pants proposent à leurs clients une
visite virtuelle de leur espace.
On sait déjà depuis quelques
semaines qu’A rt Basel Hong Kong
(ABHK), qui devait se tenir en
mars 2020 n’aura pas lieu. Mais les
organisateurs suisses de la manifes-
tation, remise en question par les

mouvements contestataires sur l’île
puis par le coronavirus, proposent
une solution alternative qui a le
mérite d’exister : une foire virtuelle.
« Le concept est plus précisément
celui d’une “online viewing room”
[salle de visite sur Internet, NDLR] »,
explique Marc Spiegler, le patron
mondial d’Art Basel. « Chaque gale-
rie de la foire a l’opportunité de mettre
en ligne des reproductions photogra-
phiques de dix œuvres sur la plate-
forme que nous avons mise en place,
qu’elle peut changer à son gré. Un bou-
ton permettra d’entrer directement
en contact avec la galerie. Il y aura
beaucoup de stratégies différentes de
la part des galeries d’ici au 18 mars,
date de l’ouverture de la viewing room
aux clients VIP de la foire. »
La foire est d’abord ouverte pen-
dant deux jours aux VIP, puis cinq
jours au commun des mortels.
« Nous tenons à limiter l’opération
dans le temps pour créer un senti-
ment d’urgence, comme dans une
foire traditionnelle. » Selon Marc
Spiegler encore, le fichier Art Basel
contient p lus d e 10.000 VIP à travers
le monde. La nouveauté liée à cette
opération tient au fait que toutes les
œuvres présentées afficheront soit
un prix soit une gamme de prix.
« Les études montrent que les
œuvres associées à une somme se
vendent mieux sur Internet »,
remarque encore le directeur d’Art
Basel, qui ajoute : « On constate
aussi que des transactions de plus en
plus nombreuses pour des prix de
plus en plus élevés passent par Inter-
net. » En fait, comme l’explique
Adeline Ooi, la directrice d’Art Basel
Hong Kong : « La online viewing
room était en développement depuis
plusieurs mois pour être lancée en
parallèle de nos foires. Mais nous
avons changé le concept pour donner
aux galeries l’opportunité de mon-
trer leur stand de Honk Kong. »
L’opération est un succès puisque
230 des 245 galeries qui partici-
paient à l’origine à ABHK ont
répondu présent à l’opération
« online viewing room ».
Pearl Lam, qui est l’un des piliers
du commerce de l’art contempo-
rain à Hong Kong et qui participe
depuis toujours à la foire hongkon-
gaise, n’a pas pu se joindre du 5 au
8 mars 2020 à l’A rmory Show, à
New York, faute de transporteurs
capables d’expédier les œuvres
depuis l’Asie. Elle raconte que lors
de son séjour outre-Atlantique à la
fin janvier, plusieurs personnes lui
ont signifié, bien que très poliment,
de ne pas venir les visiter. « Notre
activité est donc très sensiblement
entravée en ce moment. De toute
façon, en Asie, l es gens, pour l’instant,
ne sont pas d’humeur à acheter de
l’art. » Pour ce virtuel ABHK, elle
propose une petite exposition con-
çue spécifiquement, avec huit artis-
tes d’horizons différents, dont les
œuvres sont à vendre entre 32.000
et 250.000 dollars.

De nouvelles opportunités
La galerie new-yorkaise spécialiste
du second marché Lévy Gorvy est
installée depuis l’an dernier à Hong
Kong. Le codirecteur Brett Gorvy
pense qu’en temps de crise « il y a
toujours des amateurs prêts pour les
opportunités dans le marché de l’art
alors que le marché boursier est si
volatil ». Il proposera, notamment,
une œuvre récente du vétéran cen-
tenaire de l’abstraction française,
Pierre Soulages, qui faisait l’objet
d’une minirétrospective au Louvre
jusqu’au 9 mars 2020. La toile, qui

Drouot
en bref

Georg Baselitz, « Ein See »,


  1. Courtesy Michael Werner
    Gallery, New York and London


Christie’s

reflète son travail sur l’« outre-
noir » en jouant avec les traces des
gestes de l’artiste marqués dans la
matière même, sera à vendre pour
plus de 1 million d’euros.
Gordon Veneklasen gère les gale-
ries Michael Werner de New York,
Londres et d’Allemagne. « Nous
avons de gros clients en Chine, mais
nous ne leur avons rien vendu dans
les derniers mois. Cet événement va
leur donner l’opportunité de regarder
une masse d’œuvres. Cela va créer un
flux d’énergie. » Il proposera dans
son espace virtuel des œuvres à par-
tir de 200.000 euros et jusqu’à
1,7 million d’euros pour une pein-
ture de 1990 de la star de la peinture
allemande, Georg Baselitz (né en
1938). Greg Hilty, directeur de la
galerie Lisson, installée à Londres,
New York et Shanghai, prête une
grande attention à son auditoire
asiatique et a décidé de faire une
offre comparable à celle d’un stand
classique. « Nous croyons dans le
potentiel de la Chine non seulement
en termes de volume d’affaires mais
encore de culture. Nos artistes ont réa-
lisé des expositions dans nombre de
musées chinois. » Il donne l’exemple
de l’Américano-Serbe Marina Abra-
movic (née en 1946), la plus célèbre
des performeuses au monde, dont
une grande photo de 2016, un auto-
portrait, sera proposée p our
130.000 euros chez eux, ou encore
du célèbre britannique Anish
Kapoor, dont un des miroirs conca-
ves, sculpture murale en acier laqué,
sera à vendre pour 750.000 livres.

A Paris, N iklas Svennung, le direc-
teur de la galerie Chantal Crousel, a
décidé de présenter pour ce virtuel
ABHK des œuvres qui sont plutôt
photogéniques et relativement
modestes en termes de prix. « Nous
avons exclu la sculpture, car elle
nécessite d’être perçue en trois dimen-
sions. De même les amateurs qui vont
faire l’acquisition d’œuvres pour des
prix élevés demandent toujours à les
voir en réel, nous ne les proposerons
donc pas ici. » La pièce à la valeur la
plus élevée, 150.000 euros, de son
espace virtuel est signée de l’artiste
britannique d’origine palestinienne
Mona Hatoum (née en 1952). Il s’agit
d’une chaise carbonisée, partielle-
ment reconstituée dans un treillis
métallique, symbole à travers un
objet familier, des chaos du monde.
Il propose aussi une photo d’un des
artistes les plus en vue de la scène
actuelle, l’Allemand Wolfgang Till-
mans (né en 1968), qui est l’objet
d’une exposition en ce moment au
centre d’art Wiels, à Bruxelles. Cette
vue d’un cockpit datée de 2018, qui
évoque nombre de questionne-
ments actuels, est d’un format
modeste (40,6 x 30,6 cm). Ce tirage
à dix exemplaires est à vendre pour
10.000 euros, une valeur relative-
ment raisonnable compte tenu de la
notoriété de l’artiste. Peut-être cette
image n’aurait-elle pas été mise en
exergue dans un contexte plus
« normal ».
—Judith Benhamou-Huet

https://www.artbasel.com/hong-kong

La nouveauté liée
à cette opération tient
au fait que toutes les
œuvres présentées
afficheront
soit un prix, soit
une gamme de prix..

UN TABLEAU ATTRIBUÉ
À RIBERA DÉCOUVERT
Un portrait inconnu attribué
au peintre espagnol Jusepe
de Ribera (1591-1652) a été
retrouvé mardi par l’expert
d’art, Eric Turquin. Il sera
vendu à Drouot, le 27 mars,
par la maison Daguerre.

PAUL-LOUIS WEILLER
AUX ENCHÈRES
Peinture ancienne, mobilier
classique, orfèvrerie... Quel-
que 150 lots ayant appartenu
à ce grand industriel,
mécène et collectionneur
(1893-1993) seront vendus le
17 juin par Christie’s à Paris.

MARCHÉ


DE L'ART


Art Basel Hong Kong, foire


virtuelle pour cause de pandémie


La foire de Hong Kong est annulée. Pour permettre les transactions, Art Basel se dote d’un
système de présentation des œuvres sur Internet. Chaque exposant aura droit à 10 œuvres.
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