Les Echos - 13.03.2020

(sharon) #1

06 // EVENEMENT Vendredi 13 et samedi 14 mars 2020 Les Echos


C’est en Iran que le Covid-19 sévit
de la manière la plus dramati-
que. En raison notamment d’un
cocktail meurtrier q ui mêle déni,
désorganisation et isolement. Le
virus affiche officiellement en
Iran une létalité de 3,5 %, bien
supérieure à celle dans tout
autre pays, et le nombre de cas,
qui a franchi jeudi soir le cap des
10.000, est le plus élevé de la pla-
nète en dehors de la Chine. Le
nombre de décès double actuel-
lement tous les 2,5 jours et celui
de cas augmente de 15 % par jour,
contre, il est vrai, 40 % par jour
au début du mois.
Et encore ne s’agit-il que de
chiffres officiels, très sous-esti-
més. Des témoignages sur les
réseaux sociaux, voire de dépu-
tés, font état de couloirs d’hôpi-
taux encombrés de morts dans
des villes où les autorités affir-
ment que tout est sous contrôle.
En extrapolant à partir du nom-
bre de membres du Parlement
infectés – 23 sur 290 – ou de tests
opérés au Canada ou en Chine
sur des passagers ayant quitté
récemment le p ays, avec une pré-
valence d’infection de 5 à 10 %,
certains épidémiologistes éva-
luent même le nombre de cas en
Iran à... 5 millions. Même si ce
chiffre peut être gonflé du fait
que les députés ou les étudiants
et ingénieurs chinois qui ont fui
l’Iran ont eu plus de risques
d’infection de par leurs activités
professionnelles, il est vraisem-
blable que le nombre de cas se
compte en centaines de milliers.

On ferme tout
Sauf à imaginer u ne souche par-
ticulièrement létale, la respon-
sabilité du régime est manifeste.
Il a longtemps dénié l’existence
même du virus, prétendant qu’il
s’agissait d’une fausse informa-
tion diffusée par les Etats-Unis
pour inciter les Iraniens à ne pas
aller voter aux législatives du
21 février. Un déni que certains
dirigeants ont payé cher : le
virus a tué un ayatollah influent,
Hadi Khosroshahi, ainsi qu’un
membre du Conseil de discerne-
ment, Mohammad Mir
Mohammadi, et a infecté le
ministre de la Santé et la vice-
présidente, Masoumehn Ebte-

L’ Iran est le pays le plus
dramatiquement touché
par l’épidémie. Le virus
y sévit avec une létalité
sans équivalent.

L’ Iran terrassé


par le coronavirus


en bref


Au Canada, le Premier ministre
s’est isolé pour travailler

ÉPIDEMIE Le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, a décidé
de travailler de chez lui, par mesure de précaution, son é pouse étant
testée pour le Covid-19, ont annoncé jeudi ses services. Présentant
des symptômes semblables à la grippe de retour d’un voyage à Lon-
dres, Sophie Grégoire Trudeau « se fait tester pour le Covid-19 »,
selon un communiqué officiel. « Bien qu’il ne ressente aucun symp-
tôme lui-même, le Premier ministre a opté de travailler de la maison
en auto-isolation par [...] précaution, jusqu’à ce que les résultats de
Sophie soient connus. » Le nombre de cas au Canada s’élève à 103 cas
confirmés pour l’instant et une personne est décédée.

Dave Chan/AFP

kar. Les religieux ont refusé de
fermer les lieux de pèlerinage,
propices à la contagion, notam-
ment à Qom, d’où est partie l’épi-
démie le 19 février. Les liaisons
aériennes avec la Chine par une
compagnie liée aux Gardiens de
la révolution n’ont pas été inter-
rompues.
Les services médicaux ont
aussi géré les premiers cas dans
la pagaille. Nombre de vidéos
montrent des médecins et infir-
miers s’occupant de malades
sans aucune protection. Les
décès dans le personnel médical
sont d’ailleurs nombreux. Il faut
aussi admettre que l’Iran n’est
pas non plus dans une situation
économique propice pour faire
face à l’épidémie, en raison de
l’impact des sanctions améri-
caines, même si le pays est auto-
risé à importer des produits
pharmaceutiques. Isolé jadis
économiquement et politique-
ment à cause du dossier
nucléaire, le pays l’est désor-
mais physiquement ; tous ses
voisins, l’Irak, le Pakistan,
l’Afghanistan, l’A zerbaïdjan, la
Turquie, l’Arménie et le Turk-
ménistan, ont fermé leurs fron-
tières terrestres.

Les autorités ont commencé à
prendre des mesures début
mars. Elles ont placé des points
de contrôle aux entrées de nom-
bre de villes et empêchent
l’entrée dans les dix-sept plus
grandes. Elles ont autorisé
récemment 70.000 prisonniers
à purger leur peine à domicile,
fermé, écoles, universités,
musées, centres sportifs, salles
de cinéma et théâtres pour une
durée illimitée. Des hordes de
camions désinfectent les rues.
Pour la troisième semaine con-
sécutive, la prière du vendredi a
été annulée dans tout le pays. Le
régime a demandé à la popula-
tion de rester chez elle lors du
Nouvel An, le 20 mars, à l’occa-
sion de laquelle habituellement
jusqu’à un tiers des 83 millions
d’Iraniens se déplacent. Les
hôtels ont d’ailleurs interdiction
de recevoir des voyageurs.
—Y. B.

Certains
épidémiologistes
évaluent le nombre
de cas en Iran à...
5 millions.

« L’ Union est face à un “moment italien” »


Propos recueillis par
Derek Perrotte
—Bureau de Bruxelles


La réponse de l’Europe
à la crise du coronavirus
est-elle à la hauteur?
Pour l’instant, non. Mais ce qui s’est
passé mardi, après la réunion des
27 chefs d’Etat et de gouvernement,
va radicalement changer la donne.
Jusqu’ici, l’Europe agissait unique-
ment, avec peu de pouvoirs, sur le
volet sanitaire de la crise. Mardi
soir, Ursula von der Leyen a indiqué
que la Commission européenne
ferait, je cite, « whatever it takes »
[NDLR : « tout ce qu’il faudra »],
pour protéger l’économie. Elle réa-
git à la crise du coronavirus précisé-
ment dans les mêmes termes que
Mario Draghi, à la tête de la BCE,
avait réagi à la crise de la zone euro.
C’est volontaire. Le message est très
fort et ouvre des perspectives bien
au-delà du plan de 25 milliards
d’euros annoncé mardi, qui consti-
tue un bon début mais ne sera en
aucun cas suffisant.


Quelles mesures supplémen-
taires faut-il envisager?
La priorité immédiate est d ’assurer
un maximum de soutien aux PME
pour éviter des faillites. C’est la
même stratégie que pendant la
crise financière : il faut donner de
l’oxygène à très court terme. C’est
aux Etats de le faire, et ils s’y attel-
lent, mais l’Europe doit leur don-


crise ne chasse pas l’autre : le
paquet des relances doit être aligné
avec le Pacte Vert pour être un
accélérateur de l a réponse à la c rise
climatique.

Certains pays ferment leurs
écoles ou leurs frontières,
d’autres non... Les citoyens
s’y perdent. Faut-il des
mesures sanitaires à l’échelle
européenne?
L’Europe a très peu de pouvoirs en
la matière, qui reste la chasse gar-
dée des Etats. La clé est de passer
entre Etats membres d’une infor-
mation ex post à une coordination
ex ante. C’est ce qui a enfin été
décidé mardi. Jusqu’ici, les échan-
ges d’informations sur la gestion
du coronavirus sont restés quasi
inexistants! Chacun découvre ce
que fait l’autre a posteriori, cela ali-
mente l’incompréhension. La Slo-
vénie a fermé sa frontière avec l’Ita-
lie du Nord, l’Autriche aussi, mais
pas la France : bon courage pour
l’expliquer! On peut avoir une ges-
tion adaptée localement à la situa-

tion, mais il faut appliquer partout
les mêmes principes.

L’ Italie et la Belgique man-
quent de masques et d’appa-
reils respiratoires mais la
France et l’Allemagne refusent
de leur en vendre, pour proté-
ger leur stock...
C’est le même problème : nous
avons besoin de plus de coordina-
tion européenne en amont pour
optimiser notre gestion collective
des stocks. Chaque pays ne peut
plus continuer à raisonner en fonc-
tion de son seul stock national.
L’Europe se construit dans les cri-
ses. C’était vrai pour la crise grec-
que, vrai pour la crise financière, ce
sera vrai pour l’Europe de la santé.

Faut-il relocaliser la produc-
tion de médicaments?
Cette crise souligne notre dépen-
dance à la Chine sur diverses chaînes
de valeur stratégiques. Il faudra en
tirer les leçons. Ce peut être un bon
moment pour prêter massivement,
via la BEI, afin de soutenir les reloca-
lisations. L’industrie pharmaceuti-
que est clairement concernée. On l’a
laissé délocaliser pendant des
années au nom des économies
engendrées. Mais on voit
aujourd’hui à quel prix en termes de
dépendance. Il faut faire machine
arrière et imposer aux laboratoires
un pourcentage minimum de subs-
tances actives et de médicaments
fabriqués sur le sol européen.n

ner les moyens d’amortir le choc
sans risquer d’être ensuite rattra-
pés par le gendarme. Il est essentiel
que la Commission utilise comme
annoncé au maximum les f lexibili-
tés du Pacte de stabilité et qu’elle
assouplisse l es aides d’Etat aux sec-
teurs les plus touchés. La Banque
européenne d’investissement doit
aussi être mobilisée.
Dans un second temps, on peut
être amené à devoir mobiliser de
l’investissement public supplé-
mentaire pour éviter que l’écono-
mie ne s’arrête. Ça s era un moment
de vérité pour l’Europe. L’Italie est
aujourd’hui confrontée de plein
fouet à la fois à la crise du coronavi-
rus et à celle des migrants.
L’Union européenne est face à
un « moment italien », comme il y
a eu un « moment grec » lors de la
crise financière. Soit on les laisse
tomber, soit on les aide. Mais si on
les aide, faisons-le à plein. Ce doit
être l’o ccasion de réussir ici ce que
nous n’avons pas su faire lors de la
crise financière, en mobilisant des
eurobonds, un véritable instru-
ment financier solidaire. Et une

PASCAL CANFIN
Président de
la commission de
l’Environnement et
de la Santé publique
du Parlement
européen

« L’ Europe
se construit dans
les crises. Ce sera
vrai pour l’Europe
de la santé. »

qu’ici, les pays européens n’avaient
pris des mesures d’interdiction de
territoire que pour des voyageurs
en provenance d’Italie. Parallèle-
ment, les écoles, crèches, lycées,
universités, théâtres, cinémas, sal-
les de concert et de sport, piscines et
bibliothèques, ont été fermés ce
jeudi soir, avec effet immédiat, pour
plusieurs semaines en Slovaquie et
en Irlande, qui emboîtent ainsi le
pas à l’Italie et la République tchè-
que, lundi soir, et à la Hongrie et au
Danemark, mercredi. Les écoles
sont aussi fermées en Grèce, en
Roumanie, en Lituanie (jusqu’au
27 mars), en Norvège, au Danemark
et en Autriche. Les régions espa-
gnoles de Madrid, Galice, Pays bas-
que et Catalogne ont fermé jeudi les
établissements scolaires, tout
comme la ville de Halle, en Allema-
gne, pays jusqu’ici peu enclin à fer-
mer des services publics. La ferme-
ture des écoles est aussi à l’étude au
Royaume Uni, où le gouvernement

a estimé jeudi soir que le nombre de
cas se situe « très vraisemblable-
ment entre 5.000 et 10.000 » contre
seulement 590 officiellement!
Prague a durci ses mesures jeudi,
en faisant fermer les restaurants à
20 heures et en interdisant les ras-
semblements de plus de 30 person-
nes en milieu confiné, plafond aussi
fixé au Danemark et en Hongrie
mercredi et à Dublin jeudi. Les mes-
ses sont suspendues en Belgique
pour trois semaines. La Slovaquie a
ajouté à sa panoplie, jeudi soir, la fer-
meture des stations de ski et des cen-
tr es commerciaux ce week-end. Un
peu partout, les autorités deman-
dent de privilégier le télétravail là où
c’est possible.

Distance au restaurant
La Norvège (621 cas, zéro décès) a
pris jeudi les « mesures les plus intru-
sives » jamais adoptées dans le pays :
fermeture de tous ses établisse-
ments éducatifs, annulation des évé-

nements sportifs et culturels et
interdiction de voyager à l’é tranger
pour le personnel de santé. Bars, pis-
cines, salles de gym, salons de coif-
fure sont fermés et une distance
minimale d’un mètre est instaurée
entre clients dans les cafés et les res-
taurants. Toutes les personnes reve-
nant de l’étranger seront par ailleurs
placées en quarantaine.
Les rencontres sportives sont
aussi interrompues partout en
Europe. La Coupe du monde de ski
s’est terminée prématurément jeudi.
Les championnats nationaux de
football, rugby, basket, n’ont plus le
choix qu’entre continuer à huis clos
ou être suspendus quelques semai-
nes, comme celui d’Espagne et des
Pays-Bas, avec peut-être une pers-
pective d’annulation. L’UEFA tien-
dra mardi prochain une réunion en
visioconférence pour discuter d’une
suspension, voire annulation de la
Ligue des champions et de la Coupe
d’Europe des nations, en juin.n

Yves Bourdillon
@yvesbourdillon


On se claquemure. On annule, on
reporte, on ferme. Les suspensions
de services publics et événements
artistiques, sportifs et culturels con-
tinuaient, jeudi, de tomber comme
des dominos en Europe dans le
cadre de la prophylaxie d’urgence
face au coronavirus.
Un symbole impressionnant
dans une Union européenne cons-
truite sur le couple franco-alle-
mand : les policiers allemands ont
commencé en fin d’après-midi à
contrôler les automobilistes à la
frontière de la Sarre en provenance
d’Alsace et Moselle. Mais la mesure
la plus spectaculaire est certaine-
ment celle prise par la Slovaquie,
d’interdiction d’entrée à tous les
étrangers à partir d e vendredi matin,
sauf les ressortissants d e Pologne (
cas enregistrés). Une décision abso-
lument sans précédent dans l’His-
toire européenne, tout comme, dans
la nuit de mercredi à jeudi, la déci-
sion de l’Italie (12 642 cas, plus de
1.000 décès) de faire fermer tous ses
restaurants et commerces sauf ceux
vendant des produits alimentaires et
les pharmacies.


Etat d’urgence
Décrétant un état d’urgence d’un
mois, la République tchèque (
cas, 0 décès) a interdit l’entrée de
véhicules terrestres de plus de neuf
places et fermé ses frontières aux
voyageurs de « zones à risque », soit
quinze pays, dont l’Allemagne, la
France et le Royaume-Uni. Jus-


Une litanie de ferme-
ture et d’annulations
d’événements a secoué
l’Europe jeudi.


La Slovaquie a pris
la décision sans
équivalent historique
sur le continent
d’interdire l’accès
de tout étranger.


Ecoles, rassemblements,


frontières, l’Europe à l’arrêt


L’école Condorcet de Jacou, près de Montpellier, était fermée jeudi. Photo Pascal Guyot / AFP
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