Paris Match - France (2018-07)

(Antfer) #1

116 parismatch DU 15 aU 21 octobre 2020


’orage de la nuit a chassé les nuages qui coiffaient depuis
deux jours les dents du Midi (3 257 mètres d’altitude).
Elles se dessinent désormais dans l’horizon bleu orangé :
l’aube se lève timidement sur les montagnes du Chablais
valaisan. Il est à peine 6 heures du matin, et Benjamin
Dubosson, 29 ans, est déjà dans son alpage. Bottes aux
pieds et bâton de marche en main, le jeune éleveur
escorte ses 40 vaches laitières jusqu’à la ferme. Son trou-
peau a passé la nuit dehors. « Regardez-les! Dès qu’elles
me voient, elles savent qu’elles doivent rentrer. Je n’ai
presque plus rien à faire », dit-il en souriant, tan-
dis que son chien, Orka, slalome entre les genêts
pour rassembler le bétail. Commence alors un
concert de cloches qui résonnent partout sur les hauts pâtu-
rages. « Nos vaches passent toute la saison estivale à l’alpage,
de juin à septembre, précise l’éleveur. En montagne, le rituel
est ainsi : les journées commencent tôt et finissent tard. De la
première traite jusqu’à la fabrication du fromage, on ne chôme
pas. » Chaque année, Benjamin produit près de 600 meules de
raclette AOP, et aussi 300 000 yaourts, vendus dans les coopé-
ratives et les hypermarchés de la région. Ce matin-là, il n’est pas
seul à conduire le troupeau : Sandra, 65 ans, s’est levée à 5 heures
pour l’accompagner. Ni agricultrice ni touriste, cette retraitée a
décidé de passer trois semaines à la ferme pour aider l’éleveur
dans ses tâches quotidiennes : « Je voulais vivre de l’intérieur
la vie paysanne, confie-t-elle. En travaillant comme bénévole
sur l’exploitation, j’apprends le métier et je me rends compte à
quel point il est exigeant. » Il y a en effet de quoi être dérouté
par ce rythme de forçat : le travail doit être fait dans les temps et
jamais reporté au lendemain. « Même si je travaille douze heures
par jour, c’est quand même des vacances d’être ici, dit-elle. C’est
physique, mais je me vide la tête, je suis au grand air et entourée
d’animaux. » Après vingt minutes de marche, l’étable est enfin
en vue. Une à une, les bêtes regagnent paresseusement leur
mangeoire. Pour Sandra, pas le temps de souffler : il faut refer-
mer et vérifier les clôtures, attacher les vaches et les préparer
pour la traite. Sa journée marathon ne fait que commencer...
Chaque été, ils sont entre 700 et 850 bénévoles à prê-
ter main-forte aux paysans de montagne suisses. Dispersés
sur tout l’arc alpin, des hauteurs du lac Léman jusqu’aux fron-
tières du Liechtenstein, une centaine d’agriculteurs confron-
tés à une surcharge de travail ou à des problèmes de santé
peuvent compter sur cette main-d’œuvre bienvenue. « Ils
viennent de tout le pays, mais aussi d’Allemagne, de Belgique,
de France et d’Italie. Ils sont conscients du travail qui les attend.

L’an dernier, 120 agriculteurs ont accueilli au moins pour une
semaine 830 bénévoles, ce qui représente 5 700 journées de
travail », explique Jessica Pillet, chargée de projet à Caritas-
Montagnards. L’association suisse, qui les recrute dès le prin-
temps, a lancé cette initiative au début des années 1980 après
que plusieurs exploitations furent frappées par de violentes
intempéries. « Il fallut répondre à l’urgence, souligne Jessica
Pillet. A l’époque, l’aide était venue spontanément. Elle n’a
jamais cessé depuis. » Et de poursuivre : « Cela fait plusieurs
années que les paysans de montagne sont considérés comme
une population à risque de précarisation. Ceux que nous
aidons ont un revenu annuel inférieur à 40 000 francs suisses
[37 000 euros, NDLR] et la majorité est largement en dessous
du seuil. Sans ce soutien, c’est toute l’activité des alpages qui
serait menacée. » Il faut préciser qu’en Suisse le coût de la vie
est près de deux fois plus élevé qu’en France.

Dans sa ferme du val d’Illiez,
Benjamin Dubosson produit du
lait qui sera transformé en
fromage à raclette et en yaourts.
Au nettoyage des cuves,
Sina et Aloïs, auxiliaires
indispensables.

EmmanuEl, un Français : « La vie est rude.


On est dans un autre mOnde »
Il n’est pas près d’oublier ses huit jours passés chez un éleveur de vaches d’Hérens,
dans le canton du Valais. Animateur de réseaux de solidarités au Secours
catholique-Caritas France à Mérignac (33), Emmanuel Delfino a fait partie
des quelques volontaires français à avoir prêté main-forte, cet été, aux paysans
de montagne suisses. « On ne s’est pas du tout reposés, c’était vraiment costaud »,
nous avoue-t-il à son retour en Gironde. Parti fin août avec sa collègue Olympe,
il a travaillé dans une ferme d’alpage, située au-dessus du village de Sembrancher,
à 1 860 mètres d’altitude. « Pendant une semaine, on n’est pas descendus
de la montagne. La vie est rude. On est dans un autre monde. C’était le but
de l’expérience : faire un break, découvrir une nouvelle culture et vivre des choses
simples. » Le rythme est donné dès leur arrivée : lever quotidien à 6 heures
pour mener 84 vaches et 8 veaux dans des pâturages verdoyants, à plus
de 2 000 mètres d’altitude. « C’était plutôt physique, avec une heure de montée.
Arrivés à l’alpage, on devait les parquer en installant piquets et fils électriques.
Certaines vaches s’échappaient, ce sont des bêtes avec un fort caractère et qui ont
l’habitude de combattre entre elles. » Les tâches ne s’arrêtent pas là. L’entretien
des pâturages passe par l’élagage des vernes, ces arbustes se développant
sur des pentes raides. « Là encore, c’était vigoureux : il fallait les couper et les brûler
afin que l’herbe repousse l’été d’après. » En plus, les bénévoles n’étaient que trois
cette semaine-là. Les nuits sont courtes et la fatigue se fait sentir, mais l’expérience
est enrichissante. L’opération, initiée par l’association suisse Caritas-Montagnards,
n’existe pas en France. Mais cela pourrait changer. « Pourquoi ne pas adopter le
même schéma? se demande Emmanuel Delfino qui va plancher sur plusieurs projets.
On est proche des Pyrénées, on pourrait réfléchir à une initiative similaire pour aider
les paysans de montagne qui abattent eux aussi un travail énorme. » Et d’ajouter :
« Toujours sur la base du volontariat, on pourrait imaginer un soutien en direction
des producteurs locaux qui démarrent leur activité. » Un coup de main plus que
bienvenu pour certains débutants dans le monde agricole. A.G.

A 16 h 30, traite des vaches à
l’étable. Elles passeront la nuit en alpage,
avant de revenir au petit matin.
Free download pdf