Paris Match - France (2018-07)

(Antfer) #1

Située à 1 580  mètres d’altitude, la ferme de Benjamin
Dubosson date du XVIIIe siècle. Elle est typique de l’architec-
ture de montagne : cave d’affinage au sous-sol, étable et pièces
à vivre au rez-de-chaussée, chambres à l’étage. Quand vous
êtes dans la cuisine, vous n’avez qu’à pousser une porte pour
tomber nez à nez avec le troupeau. « Mes grands-parents ont
acheté cette ferme en 1930. Elle est restée depuis dans la famille.
Mes parents l’ont exploitée jusqu’à ce que je décide de leur
succéder, il y a quatre ans. Mon frère et
ma sœur, eux, n’étaient pas intéressés »,
confie-t-il. Ses étés à l’alpage ne sont
jamais solitaires. Il y a toujours du monde
à la ferme : bénévoles, apprentis, mais
aussi « civilistes », ces réfractaires au ser-
vice militaire préférant un travail d’intérêt
public à l’uniforme. « Sans eux, je travail-
lerais dix-huit heures par jour, reconnaît
l’agriculteur. Seul, il faudrait que je bâcle
certaines tâches ou que je me contente
des plus urgentes. » On lui demande s’il
n’a jamais pensé à embaucher. « Si, mais
financièrement ce serait impossible. Ou
alors je ne me verserais pas de salaire. »
Le café de 6 h 30 se prend autour
de l’imposante table à manger. Sandra,
la bénévole, arrive en tenue de traite :
blouse grise, gants et bottes – crottées
de la veille. Ses compagnons de travail
l’attendent, tasse à la main. Parmi eux, il y
a Sina, 22 ans, bénévole et future institu-
trice, Aloïs, 26 ans, civiliste et électricien
de métier, Maxime, 17 ans, apprenti, et
Laura, 28 ans, assistante médicale et petite amie de Benjamin.
« Notre histoire n’est pas commune, dit cette dernière en rougis-
sant. J’étais venue l’an dernier en tant que bénévole pour l’aider
durant une semaine. Je ne suis finalement jamais repartie. » Les
présentations faites, place au travail. « On commence par quoi,
chef? » demande Sandra à l’éleveur. Benjamin a griffonné les
tâches du jour sur une feuille : « On attaque par la traite, puis


il faudra fabriquer les fromages, retourner ceux qui sont déjà
faits, laver la chaudière, rincer les planches d’affinage, emballer
les séracs, chercher du bois pour le four, entretenir les clôtures
de l’alpage, faire la traite de 16 h 30 puis balayer l’étable, curer
les crèches et passer le sol au Kärcher... » Rien que ça? Oui,
et le programme sera le même demain, après-demain et les
jours suivants. « Au début, c’est difficile parce que ça va vite, et
il y a beaucoup de choses à se rappeler et à faire, confie Sina,
occupée à brosser les pis d’une vache. L’expérience est enrichis-
sante, je viens pour améliorer mon français, mais de là à travail-
ler à la ferme à plein temps, non, je ne pourrais pas. » La jeune
étudiante ne rechigne pourtant pas à la tâche, nous prouvant
que la pose d’une trayeuse est devenue pour elle un vrai jeu
d’enfant. « Je délègue beaucoup pour multiplier les forces et ne
pas prendre de retard sur la production,
souligne Benjamin. C’est sûr que je ne
les ménage pas, mais ils sont en immer-
sion, chez moi, pas spectateurs. Ceux qui
ne sont pas assez motivés sont remerciés
sur-le-champ, mais ce n’est arrivé qu’une
seule fois. »
Laissons-les travailler et quittons ce
panorama époustouflant sur les dents
du Midi pour partir à la découverte d’un
autre géant : le Grand Muveran et ses
3 051 mètres d’altitude vous suit du regard
aussitôt que vous franchissez la vallée de
Bex. La route 21 traverse des hameaux
où l’on s’arrête volontiers pour se rafraî-
chir aux fontaines d’eau de source. Les
chalets en bois marron foncé et aux
frontons sculptés ont poussé au milieu
des prairies comme des champignons.
Martine Gerber, 55 ans, vit depuis tou-
jours dans ce décor à la Heidi. Dans sa
ferme, spécialisée en agriculture bio, ça
sent bon le foin et l’herbe fraîchement
coupée. « Bienvenue! dit-elle pour nous
accueillir. Ici, je favorise la biodiversité. Dans l’agriculture de
montagne, c’est difficile de se spécialiser. Alors je cultive tout
ce qui pousse dans ce genre d’écrin. » Ses 7 hectares d’exploi-
tation ressemblent à un jardin extraordinaire : pommes, prunes,
framboises, mélisse, capucines, bourrache, courgettes, salade,
tomates, pois blancs... « Lorsqu’on voit toutes ces plantations,
on se dit que c’est un paradis. Mais quand on

VENUE POUR


UNE SEMAINE, LAURA N’EST


JAMAIS REPARTIE


(Suite page 118)

La liste des tâches
établie par
Benjamin Dubosson,
le « patron ».

Autour du chalet de Martine
Gerber, on cultive de tout, en bio – prunes,
tomates... –, et on fait les foins!
Free download pdf