Paris Match - France (2018-07)

(Antfer) #1

LE


JOUR OÙ


122 parismatch DU 15 aU 21 octobre 2020


‘ ‘


sur la route de


BaalBek, en pleine


guerre, une


danseuse unit


les comBattants


’ ’
Jacques Weber

Je suis au Liban pour un tournage... En cette


année 1982, les bombes sont notre quotidien. Pour nous


changer les idées, nous partons visiter le site de


Baalbek. Le voyage nous réserve quelques surprises...


Propos recueillis par Catherine Schwaab

D


éjà trois semaines qu’on est à Beyrouth, ma femme
et moi, pour le tournage d’« Une vie suspendue »,
de Jocelyne Saab, avec Juliet Berto. J’incarne un
intello au milieu du chaos. Complètement réaliste!
Les conditions sont spartiates, dangereuses, avec
des bombardements, des bazookas qui explosent parfois à
150  mètres, des barrages, de jeunes dingues armés qui nous
arrêtent sur les routes et nous figent la respiration... mais les
Libanais – les Libanaises surtout – sont incroyables : doux,
apaisants, philosophes, joyeux, adorables. Nous allons tisser
avec certains une amitié indéfectible.
Aujourd’hui, c’est congé. Avec notre amie
Asma et le chauffeur, on embraie allègrement
hors de la ville, du côté de la montagne. Premier
barrage, deuxième barrage. Nous avons beau
être français, pilotés et protégés par une femme
habilement diplomate, à chaque fois notre cœur
s’arrête, tout peut arriver. Avec mon épouse
Christine on s’est habitués à ce mélange
d’horreur et de douceur.
Il est midi, on a mis trois heures
pour parcourir une quarantaine de kilo-
mètres. On a faim. Pause repas dans un
« routier » libanais. Il y a là tous les
ennemis réunis par le plaisir de
manger : des Syriens, des Druzes,
des chiites, des sunnites, tous
cousins, qui s’associent quand
il s’agit de discuter du prix des

armes. Installés non loin les uns des autres, ils ont suspendu
leurs fusils au vestiaire, déposé leur arme de poing sur la
table, des kalachnikovs sont appuyées aux tables comme des
convives silencieux. Ma femme, jolie blonde gracile, ne passe
pas inaperçue. Il y a quatre femmes en tout. Les brochettes et
les mezze sont divins, l’arak coule à flots.
D’une radio, on entend de la musique. Derrière le comptoir,
la serveuse monte le son et commence à danser, discrètement,
les cheveux libres. Elle esquisse un ou deux mouvements. Dans
la salle, les mecs se mettent à chanter, à applaudir. Elle sort du
bar, entame la « danse du mouchoir », légère, pas du tout dans
le sex-appeal. Je suis subjugué par cette Carmencita du Moyen-
Orient. Est-ce l’effet de l’arak? Je me lève, j’avance vers elle
et me mets à danser. Mes compagnes m’encouragent : Asma,
contente : « Yallah! » Ma femme : « Mais oui, danse! » Je n’ai pas
conscience d’être un étranger qui danse avec une femme arabe.
Mais c’est sans ambiguïté, l’assemblée le ressent. Puis un, deux,
trois soldats se lèvent et s’y mettent, puis d’autres, pas de malaise
libidineux, juste la joie de célébrer la musique, le corps libre.
A un moment, je regarde la salle : plus aucun homme
attablé, que les kalachnikovs posées, tranquilles! Ils sont tous
en train d’onduler, avec leurs lourdes chaussures et leur treillis!
Les réjouissances s’arrêtent doucement. Tout le monde se dit
« au revoir », récupère ses armes et sort. J’entends crisser les
pneus. Quinze minutes plus tard, des bruits de tirs dans la
montagne. Ils sont redevenus des guerriers. Absurde...
De notre côté, nous arriverons à Baalbek et
visiterons les lieux, seuls au monde avec le guide qui
n’a plus vu personne depuis des années. L’immuable
solitude des pierres. n

« J’ai eu la chance de mettre en scène depardieu
et adjani, des monstres de talent. des génies. ils ressentent
les choses avec cent fois plus d’intensité que
le commun des mortels. Avec de tels stradivarius,
on ne “dirige” pas, on aide juste à piloter. »

« Je ne comprends pas que,
pour incarner un camionneur,
certains passent trois mois
dans un 3 tonnes. Comédien,
c’est un métier, point. »
Sa phrase le résume. Acteur
(plus de 200 films, téléfilms,
pièces de théâtre), réalisateur,
scénariste, il est connu pour
son rôle de Cyrano mais il a
aussi incarné Charles Quint
et Don Juan. Il a dirigé des
théâtres à Lyon, Nice. Doté
d’une plume précise, poétique,
il publie « Paris-Beyrouth »
(éd. Cherche-Midi), récit d’un
tournage en pleine guerre.
Sa description des Libanais(es)
sonne étrangement actuelle.

Deux séquences
du film « Une
vie suspendue »
de Jocelyne
Saab, 1985.
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