Paris Match - France (2018-07)

(Antfer) #1

22 parismatch DU 15 aU 21 octobre 2020


CULTURE

Par Karelle Fitoussi @KarelleFitoussi
Photo François Berthier

D


ans « Miss », elle incarne l’élégance et la rigueur glacée,
croisement non identifié entre Sylvie Tellier et Mme de
Fontenay dissimulant des montagnes de failles derrière son
Brushing impeccable et sa cape d’impitoyable super woman. A la
ville, elle est l’opposé : nature et sans filtre, à livre ouvert, rêvant de
cinéma social anglais – Ken Loach et Mike Leigh – tout en baladant
depuis une vingtaine d’années sa blondeur hitchcockienne dans
des comédies populaires pour CSP+ (Jaoui, Attal, Canet).
Loin de regretter la contradiction, Pascale Arbillot en a pris
son parti. « Dans ce métier, on dit toujours : “Il ne faut pas jouer

« je me suis longtemps sentie illégitime
parce que je n’ai pas fait le conservatoire,
Donc je n’ai pas le tampon “valiDé”
alors que je bosse Dans ce
métier Depuis vingt ans! »

CINÉMA

dans des comédies si on veut avoir de beaux rôles”. Eh bien moi
j’ai envie de faire les rôles qu’on ne doit pas faire. Les seconds
rôles, c’est ma liberté! Ça me fait des vacances. C’est une façon
de m’affranchir du jugement des autres, moi qui paradoxalement
en ai tellement peur. »
Très tôt, celle qui est tombée dans le cinéma au hasard d’un
cours de théâtre suivi sur le tard a appris l’art du grand écart. « Je
me suis toujours sentie décalée. A la maison, ma mère était de
droite giscardienne libérale – aujourd’hui, on dirait macroniste –
et mon père ancien trotskiste, militant PS, tous les deux hyper
politisés. Quand les cloches de l’église d’à côté sonnaient, mon
père mettait “L’internationale” à fond. J’ai très tôt vécu la dicho-
tomie entre ce qui se passe dans l’intimité du foyer et ce qui se
passe dehors. La comédie humaine de la vie. »
Les stéréotypes, les étiquettes à décoller, les normes étouf-
fantes à détourner, c’est justement le sujet de « Miss », comédie
réussie et fable sur la puissance de la différence à l’ère de l’uni-
formisation et de la frilosité généralisées. « L’univers de Miss n’est
pas mon idéal pour les femmes, mais c’est comme le service
militaire pour les hommes ; certaines femmes sont sorties de leur
condition grâce à ça, analyse-t-elle. Et puis
l’enjeu de la beauté supposerait que celles qui
se montrent belles se trouvent belles, or c’est
souvent beaucoup plus complexe que ça : on
cherche une approbation dans le regard de
l’autre. Moi je me suis longtemps sentie illé-
gitime parce que je n’ai pas fait le Conserva-
toire, donc je n’ai pas le tampon “validé” alors
que je bosse dans ce métier depuis vingt ans.
J’ai l’impression que je commence seulement
maintenant. C’est fou! »
Femme de vieux beau greffée à ses chihuahuas dans « Guy »,
mariée à un Magimel gay placardisé dans « Les petits mouchoirs »,
grande bourgeoise tout récemment dans « Les apparences »,
éditrice, violoniste, à chaque fois l’ex-diplomée de Sciences po
apporte humanité et failles à des archétypes qui pourraient être
des lieux communs. « Il y a encore beaucoup de comédies en
France où les femmes ont des rôles d’appoint, un peu sous-écrits,
admet-elle. J’ai d’abord eu très peur de faire “Miss” car je redou-
tais les clichés. En même temps, dans la vie aussi on nous assigne
souvent un rôle. C’est pour ça que je n’appartiens à aucune bande.
Quand il y a plein de monde, j’ai l’impression qu’on a tous une
étiquette et qu’on ne peut pas en bouger. Moi, ça me donne de
l’espoir sur la nature humaine que chacun ait sa chance malgré le
conditionnement social et le communautarisme. »
Elle aimerait devenir la « productrice d’elle-même », s’écrire de
beaux rôles, apprendre à dire enfin « moi je ». En attendant, celle
qui se définit comme lente enchaîne les projets. Cinq films sortis
cette année (« Balle perdue » sur Netflix, « Les appa-
rences », « Mon cousin », et bientôt « Irréductible »),
un autre annoncé pour janvier (« Haute couture » aux
côtés de Nathalie Baye) et bientôt « Présidents » dont
elle vient de débuter le tournage post-confinement
avec Jean Dujardin-Sarkozy et Grégory Gadebois-
Hollande. 2020, l’année du changement? n

pascale arbillot


PR E N D


LE POU VOIR
Déjà à l’affiche de « mon cousin » et
des « apparences », l’actrice impressionne et émeut
dans « miss » en néo-mme de fontenay
aussi froide que solaire.

elle a
débuté
dans
la sitcom
« le miel et les
abeilles »

Sortie le 28 octobre.
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