Paris Match - France (2018-07)

(Antfer) #1

32 parismatch DU 15 aU 21 octobre 2020


MATCH
DE LA SEMAINE
SOCIÉTÉ

S


oudain, son métier lui a semblé
dérisoire. Emmanuel Vanoli,
34 ans, n’avait pourtant pas un de
ces « bullshit jobs » si bien décrits
par David Graeber, mais une
prometteuse carrière d’ingénieur spécia-
liste de la mécanique des fluides chez
Dassault Systèmes. Il était chargé de
simuler l’écoulement de l’air dans les
moteurs d’avion. En mars, le coronavirus
a stoppé son activité et contaminé sa
grand-mère adorée, qui s’est retrouvée
sous assistance respiratoire à l’hôpital
gériatrique de Marange-Silvange, près de
Metz. Le petit-fils propose d’aider à trou-
ver des masques, des visières. Au fil des
discussions avec la direction et de ses
lectures sur le Covid-19, il s’inquiète de
sa circulation dans l’air et propose de la
modéliser à l’intérieur de l’établissement
grâce à Simulia, le logiciel ultra-
sophistiqué de Dassault Systèmes utilisé
par le pouvoir chinois pour l’un des
hôpitaux bâti en urgence à Wuhan.
Vanoli récupère des plans du vieux
bâtiment, des points d’aération, effectue
sa simulation en 3D. Effarement : « Je
réalise que les particules contaminantes
circulent de la zone Covid vers la zone
Ehpad, séparées par une simple porte et
un couloir. » C’est précisément l’endroit
où les soignants viennent souffler, autour
de la fontaine à eau, en enlevant souvent
leur masque. Voilà sans doute pourquoi
le coronavirus a déjà infecté un quart du
personnel et tué trois pensionnaires, alités

dans les chambres les plus proches de ce
sas. Il faut d’urgence le sécuriser et sen-
sibiliser les soignants ; l’ingénieur préco-
nise aussi l’ouverture des fenêtres. « Une
mesure de bon sens, admet Sébastien
Laurent, directeur adjoint de l’hôpital.
Mais, il faut se souvenir qu’à l’époque
les autorités sanitaires n’alertent pas sur
la dimension aéroportée du virus. Cette
modélisation nous ouvre les yeux. »
Emmanuel Vanoli est bientôt
contacté par d’autres établissements pari-
siens : l’Institut mutualiste Montsouris,
l’hôpital Avicenne, Bichat, où des élèves
de Polytechnique planchent avec lui dans
le service de réanimation afin d’évaluer
les risques de contamination, suivant

que le patient est intubé ou simple-
ment oxygéné par des canules nasales,
qui laissent sa bouche libre de souffler
le virus. Il intègre diverses données : la
pression dans la pièce, l’orientation et
la hauteur du lit ; des prélèvements sont
réalisés pour voir où se dépose le virus.
« A quatre jours d’intervalle, les résultats
passent du tout négatif au tout positif. Je
réalise que les fenêtres étaient ouvertes
et que le vent avait tourné, ramenant les
particules dans la chambre, indique-t-il.
Chaque fois, c’est du sur-mesure. » Bien
sûr, ces simulations ne peuvent prendre

en compte la spécificité du Covid ni
celle des malades qui n’ont pas la même
charge virale. Néanmoins, il les affine à
force d’échanger avec des médecins,
des ingénieurs du MIT, des architectes
comme Arnaud Delloye qui a mis au
point, à la demande d’Alain Ducasse, un
système d’aération performant pour les
restaurants.
L’ingénieur, passionné, multiplie ses
interventions, et Dassault Systèmes, qui
jusqu’ici l’a laissé œuvrer gratuitement,
entend bien monétiser ses services. Une
célèbre salle de concert parisienne s’offre
une simulation, plutôt rassurante, avec
quelques points noirs dans les rangs VIP...
Pour le secteur de la culture, dévasté, l’en-
jeu est énorme, Roselyne Bachelot est
approchée, ainsi que son homologue de
la Santé. Pour l’instant, la frilosité l’em-
porte ; difficile de communiquer sur le
sujet sans affoler les Français, notamment
dans les transports, où la circulation du
virus est particulièrement sensible.
L’épidémie repart, et Vanoli ne peut plus
retourner à ses moteurs d’avion : « Je me
suis soudain senti utile, grâce à tous ces
ponts établis vers les autres scienti-
fiques. » Il a candidaté pour intégrer la
promo Covid, lancée par l’Institut de
l’engagement de Martin Hirsch, afin de
continuer son combat avec d’autres, de
diffuser son savoir au plus grand nombre
–  entreprises, facultés, écoles... Un
professeur de médecine l’a prévenu : « Tu
tiens une bombe. » n

L’NGÉNIEUR CHASSEUR DE COVID
En allant à l’hôpital rendre visite à sa grand-mère souffrant du coronavirus, Emmanuel Vanoli, spécialiste
de la mécanique des fluides, a mis en évidence les risques de contamination par la circulation de l’air.
Par Sophie des Déserts

IL VEUT DIFFUSER SON SAVOIR
AU PLUS GRAND NOMBRE

Pendant la crise, Emmanuel
Vanoli récupère les plans d’un
hôpital près de Metz et modélise
les systèmes d’aération.
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