Paris Match - France (2018-07)

(Antfer) #1

« IcI, on a retrouv un peu


d’all gresse maIs on reste InquIet.


gorg d’eau, le vIllage


peut tout moment s’effondrer »


De notre envoyée spéciale dans les Alpes-Maritimes Audrey Levy


Des équipes d’EDF nettoient
l’écluse qui surplombe une centrale
hydraulique, à Breil-sur-Roya.

e matin, l’adjudant-chef Alex, un grand costaud
de 44 ans à la voix rauque, se réjouit : « Les dons
affluent de toutes parts. De Nice, des Alpes-
Maritimes et même de Corse et d’Italie... On
est submergés. » Mais cet élan de solidarité, on
le doit surtout à Sébastien Olharan, jeune
maire de Breil, qui, avec d’autres élus de
communes dévastées, a tapé du poing sur la
table. Monsieur le maire, étiqueté Les Répu-
blicains, n’avait pas digéré d’assister à ce ballet
d’hélicoptères sans en voir un seul se poser
dans son village. « Les moyens étaient concen-
trés sur la Vésubie, lieu de villégiature des
Niçois. Dans la Roya, on s’est sentis oubliés. » Alors, dès que la
petite route tortueuse a été rouverte, il a pris sa voiture, direc-
tion Sospel, à 20 kilomètres. Là, il a téléphoné au sous-préfet, à
la députée. Sans le savoir, il est tombé en pleine cellule de crise.
« Je vous passe le Premier ministre », lui dit-on. Et il entend Jean
Castex lui annoncer : « On va faire le nécessaire. » Depuis, sur le
chaos s’affaire une armée tenace. Partout on déblaie des coulées
de boue qui atteignent 1,50 mètre de hauteur, ensevelissant voi-
tures et bâtiments : la mairie, les commerces. Avec d’autres habi-
tants, Yvon a pris une pelle : « Quand j’ai découvert le camping,
englouti avec ses dix chalets, ça a été un choc. »
Des terrains sensibles, l’adjudant-chef Alex, de l’unité d’ins-
truction et d’intervention de la sécurité civile n° 7, en a pourtant
connu, un jour en Albanie pour un tremblement de terre, l’autre
à Saint-Martin après le passage de l’ouragan Irma. Mais des
scènes comme celle-ci, en France, « jamais ». Il faut embarquer
à bord de l’hélicoptère de l’armée de terre pour mesurer ce qui
se cache derrière les chiffres : ces ponts arrachés, ces routes
crevées, ces maisons éventrées, désossées, alignées sur un tracé
ininterrompu d’une vingtaine de kilomètres. Saorge d’abord,
Fontan ensuite, depuis peu relié par le train. Plus haut, c’est un
autre carnage, à La Brigue comme à Tende, 2 200 habitants, une
des communes les plus peuplées, toujours coupée du monde
après huit jours. Comment se souvenir que la place du village
était si joyeuse? Elle est désormais fantomatique. Pas un habi-
tant, des portes closes, des volets fermés, un bourg vide. « Ma
commune a subi un véritable bombardement », martèle le maire,
Jean-Pierre Vassallo. L’enfer, il l’a vécu comme tous, dans le
noir, à l’intérieur de la voiture où il s’était réfugié. Au petit matin,
il voit enfin... l’apocalypse : une dizaine de maisons ont été
emportées, une cinquantaine d’autres menacent de s’effondrer.
Même le cimetière est éventré, avec ses dépouilles déversées
dans le fleuve, compliquant encore le travail des enquêteurs. Et
ce berger toujours porté disparu. « Tende est le village le plus

touché et le plus isolé : on est restés coupés du monde pendant
quarante-huit heures! » dit le maire. Plus de routes, plus d’eau
ni d’électricité, plus de connexion non plus. Dans la salle d’à
côté, on vient déclarer les sinistres et puis on s’en va, quand on
n’a pas été évacué de force, comme les 74 patients de l’Ehpad
et de l’hôpital. Elodie, jolie brune aux cheveux longs, a trouvé
refuge à Cagnes-sur-Mer, mais elle revit en boucle la nuit du
drame. Bloquée à l’intérieur de sa maison envahie par le flot
boueux, elle s’est vue mourir avec ses deux fils. D’une voix abî-
mée par les pleurs, elle raconte : « Mon mari s’était réfugié avec
notre aîné en haut, sur un terrain. Je n’oublierai jamais son
regard désespéré et impuissant à travers la vitre. » Un pompier
tente de les secourir. En vain. C’est un voisin agriculteur qui va
y parvenir. Il s’avance avec son tracteur dans le violent courant.
« On a réussi à sauter dans le godet. François Riberi nous a sauvé
la vie sans penser à la sienne, nous recueillant avec dix-sept autres
personnes dans sa famille. » Dans la Roya, on ne compte plus
les actes de bravoure d’anonymes, descendants peut-être de ces
héros qui, pour avoir caché des réfugiés juifs

A Lantosque,
Amadéi, 78 ans,
devant ce qu’il reste
de sa terrasse.

(Suite page 48)
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