Paris Match - France (2018-07)

(Antfer) #1

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Quand il voit Sophie arriver,


Souma la CiSS , l’ex-oppoSant malien,


Comprend Que


leur Captivit S’aC h ve


Par François de Labarre


n début d’après-midi, Soumaïla
Cissé croit enfin reconnaître les
rochers de la région de Tessalit.
Après vingt-quatre heures de
route, le paysage se fait moins
aride, plus verdoyant. La Jeep
grimpe sur des collines puis
s’arrête. Les gardes déballent le
repas. « Il y avait beaucoup de
viande », se souvient le député. Sophie
réussit à échanger trois mots en tamasheq,
la langue touareg. Les gardes comprennent
un peu. Quel changement! Pendant
six mois, Cissé a dû communiquer par
gestes. « Le plus dur, dit-il, c’était d’arriver
à se faire comprendre. D’abord, ils
n’étaient pas très causants ; ensuite, ils ne
parlaient que l’arabe, et moi seulement le
peul et le français. » Lorsque, ce mardi
6 octobre, il voit débarquer Sophie
Pétronin, l’ancien ministre malien se
réjouit : enfin quelqu’un avec qui commu-
niquer! Pendant six mois, il n’a fait
qu’écouter la radio et contempler le pay-
sage monotone depuis les fenêtres du
pick-up qui le baladait d’un côté à l’autre
du désert. « Un coup plein est, un autre
plein ouest. » On n’est jamais trop prudent
quand on tient un responsable politique
de ce calibre, leader de l’opposition
devenu favori de la prochaine élection
présidentielle depuis la chute d’Ibrahim
Boubacar Keïta, le 18 août. Réélu député
pendant sa captivité, Soumaïla Cissé avait
toutes les raisons d’être activement
recherché par les forces armées maliennes
et les troupes de Barkhane. Ses ravisseurs
ont préféré ne pas prendre de risques.
Après le repas, les deux otages se
mettent à discuter. Le temps ne manque
pas. Pendant quatre ans, Sophie a eu
peu de compagnie : la Suissesse Béatrice
Stockly, qui a été exécutée presque sous


ses yeux, la Canadienne Edith
Blais, libérée en mars, et la sœur
colombienne Gloria Cecilia
Narvaez Argoti, sa « colocataire »,
qu’elle a saluée la veille avant de
quitter ses geôliers. Ces derniers
lui avaient appris qu’elle était libre,
mais, ce mardi, sur les ondes de
RFI, il n’est plus question que de
« libération probable ». La presse
parle d’« espoir sans certitude ».
« On ne sait rien parce que per-
sonne ne nous dit rien », peste Cissé. Pour
lutter contre l’ennui, Sophie raconte sa
vie à Gao, la ville où elle a, répète-t-elle,
« trouvé [sa] place ». Tout a commencé
par un coup de foudre, en 1995, lors
d’un voyage organisé par son ami Mau-
rice Freund, le patron du tour-opérateur
Point-Afrique passionné par le Sahara.
Il lui fait découvrir le désert et lui pré-
sente des figures du milieu touareg. Elle
rencontre Iyad Ag Ghali, un jeune com-
battant de l’Azawad, aujourd’hui chef du
groupe terroriste qui l’a retenue en otage.
Si elle avait su! A l’époque du Paris-
Dakar, son discours teinté de romantisme
a bonne presse. Iyad Ag Ghali est un bon
vivant, un buveur de whisky proche de
Mano Dayak, le leader indépendan-
tiste ami de Thierry Sabine et de Daniel
Balavoine. « Elle était fascinée, comme
beaucoup, mais elle n’a jamais été dans
la politique, explique Cheick Amadou
Diouara. Son truc, c’est l’humanitaire. »
Ce journaliste, natif de Gao, a bien connu
Sophie Pétronin lorsqu’elle s’est installée
à deux pas de chez lui à Gao.
Au début des années 2000, la petite
infirmière, ancienne laborantine, choisit
Boulgoundié, un des quartiers les plus
pauvres de la ville. Elle s’occupe d’abord
des enfants victimes de malnutrition puis,

constatant l’absence totale de l’Etat,
élargit le spectre de son action. « Elle disait
que pour avoir des services sociaux de base
il faut former les gens localement, parce
qu’au moins on sait qu’ils resteront chez
eux. » A bord de son 4 x 4 Land Rover, elle
sillonne la région, s’aventure dans les pro-
vinces reculées pour recruter les jeunes
qu’elle forme avant de les renvoyer chez
eux avec une qualification. Elle apprend
des rudiments de songhaï et de tamasheq,
les deux langues parlées dans la ville, et se
fond dans le décor. « Elle était très cool »,
ajoute le photographe Souleymane Ag
Anara. C’est aussi une bonne vivante
qui, loin de s’adonner au prosélytisme,
fume des clopes et fait la fête. Rien à voir
avec l’image pieuse qu’elle veut désor-
mais donner. « Je ne l’ai pas reconnue »,
souffle Diouara, qui s’amuse à la surnom-
mer « l’abbé Pierre de Gao ». Un jour, un
ami réalisateur, hébergé chez lui, tombe
malade en pleine nuit. « Plutôt que d’al-
ler à l’hôpital, je l’ai emmené chez Sophie,
raconte-t-il. Il était 2 heures du matin et
elle nous a ouvert. Il faisait une crise de
palu, elle l’a soigné. » Les années ont
passé. Désormais, l’ambassade de France
déconseille à ses ressortissants de vivre à
Gao, mais « la mamie du coin » veut res-
ter. Jusqu’au bout. En 2012, (Suite page 56)

Le député Soumaïla Cissé
au lendemain de sa libération,
le 9 octobre à Bamako.
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