Paris Match - France (2018-07)

(Antfer) #1

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A GAO, ON CONNAISSAIT


UNE BONNE VIVANTE QUI AIMAIT


LA F TE ET SE FICHAIT DU


PROS LYTISME. SA CONVERSION


L’ISLAM TONNE


Un festin pour ces
dizaines de djihadistes
touareg échangés
contre les otages.
Désert de Tanezrouft,
dans le nord du Mali,
le 10 octobre.

quand les drapeaux noirs commencent
à flotter sur les places où les djihadistes
mènent des exécutions publiques, elle
réussit à s’enfuir avec l’aide des indépen-
dantistes touareg. Ces amis de vingt ans
ont alors noué une alliance hasardeuse
avec les islamistes d’Ansar Dine et d’Al-
Qaïda. Ils espèrent ainsi échapper à la
tutelle de Bamako. L’échec est total. Non
seulement l’Azawad reste malien, mais
les islamistes d’Al-Qaïda, et bientôt de
Daech, s’y installent tout comme l’armée
française. Dernière à partir, Sophie sera
la première à revenir. Elle fait la navette
depuis Bamako, où elle s’installe dans une
maison qui, toujours ouverte, accueille
en permanence les enfants de son cuisi-
nier, de son chauffeur et de ses employés.
A Gao, elle se consacre à plein temps à
l’orphelinat qu’elle a créé. Les militaires
de l’opération Barkhane viennent régu-
lièrement lui rendre visite. « Tout va bien »,

affirme-t-elle inlassablement en sou-
riant. Jusqu’au 24 décembre 2016, où une
escouade bien informée et bien prépa-
rée l’enlève devant son orphelinat. « Des
jeunes, raconte Diouara, ont alors essayé
de s’interposer, ce qui n’arrive jamais. »
Certes, elle était une des leurs, mais aussi
une citoyenne française dans un pays en
guerre. Amie des Touareg ou pas, elle
devient un levier pour récolter des fonds
et récupérer des prisonniers.
Assis devant son assiette de viande
et de riz, l’ancien ministre Soumaïla Cissé
est bluffé par le récit de l’humanitaire.
« Une femme bien, dit-il. Et puis elle a
vécu l’ancien temps au Mali, ce qui
demande des capacités de résilience
extraordinaires. C’est pas évident. » Les
temps nouveaux ne sont pas évidents non
plus. Et les bonnes nouvelles sont tou-
jours à prendre avec des pincettes. Lundi
5 octobre, à 8 heures du matin, quand les
gardes de Soumaïla lui ont
annoncé qu’il était libre, il n’a pas
voulu y croire. Il a d’abord constaté
qu’avant d’être libre, il était loin.
Après quatre heures de route dans
un paysage « sans une seule brin-
dille », précise-t-il, la Jeep s’est
arrêtée au milieu de nulle part, en
plein désert. L’ex-ministre a réussi
à faire comprendre à ses jeunes
gardes qu’il n’avait pas l’intention
de rester planté des heures sous le
soleil de midi. Ils lui ont improvisé
une tente avec une bâche en plas-
tique. Une heure plus tard arrivait
la voiture des gardes de Sophie
Pétronin. Les deux otages savaient
l’un de l’autre ce qu’ils avaient
entendu à la radio.
En milieu d’après-midi, ils
reprennent la route chacun dans
sa voiture. Pendant ce temps, au-
dessus de leur tête, le fruit des
négociations pour leur libération
transite dans le ciel. Des avions
affrétés par l’Etat malien trans-
portent quelque 200 prisonniers

de Bamako vers Niono, dans le centre,
puis vers Kidal, dans le Nord. Parmi eux,
une poignée de chefs impliqués dans les
attentats au Mali, au Burkina Faso et en
Côte d’Ivoire. Pour les dirigeants d’Aqmi,
cette victoire sera célébrée autour d’un
gigantesque méchoui dont les photos
seront relayées sur les réseaux sociaux.
Des anciens prisonniers y apparaissent
autour d’un drapeau noir, pour signifier
que la guerre recommence. Pour la
France, cette opération difficile à assumer
est présentée comme une affaire 100 %
malienne. Ce n’est pas tout à fait vrai.
D’après Cheick Amadou Diouara,
coauteur d’« Otages d’Etat », une enquête
d’« Envoyé spécial », les chefs d’Al-Qaïda
ont d’abord tenté de récupérer leurs lieu-
tenants en échange de Sophie Pétronin.
Le journaliste évoque un gros bonnet
d’Al-Qaïda capturé par les forces spé-
ciales françaises en Libye. Pendant ces
discussions épineuses, Sébastien
Chadaud-Pétronin, le fils de l’otage, sou-
tenu et parfois financé par le ministère
des Affaires étrangères, part récolter des
infos auprès de chefs touareg amis de sa
mère et d’intermédiaires de haut vol. « On
jouait la transparence avec lui, explique
un ancien du Quai d’Orsay. Il n’avait pas
accès aux négociateurs [la DGSE], mais
nous remontions ses informations. » La
collaboration tourne court lorsque
Sébastien se rend compte que les tracta-
tions sont dans une impasse. Sans
connaître le fond de l’affaire, il comprend
qu’il y a un blocage et soupçonne l’Etat
français d’être de mauvaise volonté. Sa
colère grandit quand les ravisseurs dif-
fusent une vidéo de propagande dans
laquelle sa mère apparaît mourante
(Sophie Petronin, citée par Mediapart,
confiera au président Macron que la per-
fusion n’était « même pas branchée »), il
tombe dans le panneau. Plus tard, en
Mauritanie, un responsable islamiste lui
fait miroiter une libération immédiate
pour une somme symbolique. Il sera
révolté par le haussement d’épaules de
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