Paris Match - France (2018-07)

(Antfer) #1

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premier livre, l’après-midi, préparatifs du mariage de sa fille et,
toute la journée, le téléphone silencieux. Dans la chaleur de cet
été, il comprend qu’aucun emploi dans le civil ne lui sera pro-
posé. Son nom dans un organigramme sonnerait comme une
insolence envers le nouveau président de la République.
L’hiver venu, le succès en librairie de son ouvrage premier,
« Servir », l’étonne et l’enchante : 180 000 exemplaires achetés,
des dédicaces à foison, des salles « non pas pleines mais archibon-
dées ». Il crée un cabinet de consultants. Approché par le Boston
Consulting Group, il lui consacre une journée par semaine. « Je
ne bosse pas pour les Américains, je conseille des entreprises
françaises et des dirigeants français », se défend-il quand on lui
rapporte que ce choix d’une société étrangère déplaît dans les
rangs. Il découvre être doté d’une expertise et d’un savoir-faire.
Faire corps, unir des individus au service d’un bien commun,
définir une stratégie claire. Les patrons s’arrachent ses interven-
tions, Sciences po lui confie des cours. Leadership et autorité,
voilà son mantra, et les dirigeants ont la chair de poule quand
l’ancien commandant d’Afghanistan leur raconte comment il
ordonnait à ses hommes de partir au front, ignorant combien
rentreraient vivants à la nuit tombée. Dans son appartement
parisien de 60 mètres carrés, depuis un bureau posé le long du
mur de sa chambre, il écrit, un an plus tard, un nouveau livre,
« Qu’est-ce qu’un chef? », bientôt vendu à 160 000 exemplaires.
Ses activités de conférencier explosent, on s’arrache le gentil
général qui donne courage. Cet empressement, bien que lucra-
tif, ne le comble pas. « On ne peut pas continuer de ne rien
faire quand on sait que des milliers de gens dorment dehors,
je veux être un acteur », explique-t-il. Et le voici écumant les
associations, les quartiers, les cités, pour dire que la France est
une belle et grande nation que l’Etat doit servir – et non le
contraire – et qu’ensemble on peut « rêver de quelque chose
qui nous dépasse ».


Le général de Villiers aime ses lecteurs, les gosses des cités,
les gamins des écoles de commerce comme il aime le drapeau,
la patrie et comme il aima ses soldats avec lesquels il jouait
au foot et enchaînait les footings. Interdiction de le doubler
mais, après l’effort, « on prend un café, et là, vous avez la vérité
des prix, pas besoin de table ronde ». Ah l’armée, cénacle du
parler vrai et du marcher droit! Sa vocation patriote n’est pas,
assure-t-il, un legs transmis par deux grands-pères et un père
militaires ; elle s’est construite au stade Marcel-Saupin, à Nantes,
où son père, Jacques, l’emmenait tous les samedis avec ses deux
frères aînés, Philippe et Bertrand. Les quatre se tenaient debout
dans les pourtours, ces bas-côtés où la place coûte moins cher.
Pierre, 8 ans, tendait les pieds pour apercevoir les joueurs, son
nez dépassait à peine la bannière publicitaire. Quand il entendait
« La Marseillaise », le garçon frissonnait. Ce chant, il l’a depuis
entonné à chaque prise d’armes, chaque garde au drapeau – « et,
à chaque fois, sans exception, je suis pris d’une bouffée d’émo-
tion », confie le général. Le match terminé, il se faufilait, gringa-
let, entre les supporteurs pour commander les saucisses -frites,
dont une sans sel pour son père cardiaque. Puis le quatuor rou-
lait jusqu’au village de Geneston. Halte au bistrot, commen-
taires sur les joueurs, leurs actions et leurs ratés, récit de la


vache échappée chez le voisin, la pluie et le blé qui se mouille.
Son engagement a surgi là, dans ces étreintes, ces mêlées où le
vicomte Jacques embrassait le postier, l’agriculteur, le pharma-
cien et l’ouvrier. Servir la France, s’était promis le jeune Pierre ;
il sera pensionnaire, à 10 ans, puis élève au Prytanée national
militaire, ensuite Saint-Cyr, l’armée blindée et cavalerie, chef de
peloton au 2e régiment de dragons. A chaque étape, il impose du
foot. Du match joué au Kosovo entre Serbes et Albanais qu’il
réussit à monter alors qu’il y est colonel dans l’opération Kfor, il
conserve la vidéo, montrée à Sylvain Kastendeuch, ancien joueur
professionnel. Le ballon n’a pas suffi pour construire la paix,
mais n’est-ce pas le lot des « petites graines » d’être patientes?
En quittant les jeunes des Mureaux, le général
croise sur le trottoir un certain « Jo la Douille ».
Lunettes mode, fringues luxueuses, le jeune homme
le toise, rigolard. Pierre de Villiers s’arrête. A-t-il un
travail? « Je me débrouille », répond-il, évasif. Le géné-
ral le regarde de ses yeux clairs puis, l’ayant salué, il
rejoint sur le terrain voisin Rodrigue, Niaki, Ousmane
et les autres. Match de foot. « Je les aime », dit-il encore.
Décidément, Pierre de Villiers n’est pas fait pour la
politique. n @emilie_lanez

DANS SON NOUVEAU LIVRE,
IL VOIT LES CAMPAGNES, LES VILLES ET LES CITÉS
SE JALOUSER ET SE CRITIQUER

Devant une plaque qui lui tient
à cœur : elle rend hommage
à un acte d’héroïsme
des élèves officiers en 1940.

Devant le local de l’association
Vivre les Mureaux, entre (de g. à dr.)
Jean de Wailly, administrateur, Anne-Denise Daho,
directrice, et Jean-Marc Semoulin, président.
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