Paris Match - France (2018-07)

(Antfer) #1

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CULTURE

parismatch DU 15 aU 21 octobre 2020

MUSIQUE

Sur son bras un tatouage de « La famille », ce tableau de Klimt qu’elle aime tant. Mais promis, juré,
« je l’ai fait bien avant de tomber enceinte, bien avant même de penser à l’être ». Louane sait ce qu’elle veut
et où elle va. Alors, pour son troisième album ironiquement intitulé « Joie de vivre », la jeune femme a
souhaité tout chambouler. Si Damso signe deux textes, c’est vers Dua Lipa ou Ariana Grande qu’elle se tourne
côté sonorités. Au long des quinze chansons, on suit le parcours d’une jeune femme un peu perdue dans le
succès, totalement obnubilée par l’amour, mais qui montre ses failles dans des textes bouleversants évoquant
la disparition de ses parents. Un joli bond en avant. Dont elle s’explique volontiers.

Interview Benjamin Locoge @BenjaminLocoge

courant. Je savais que, si je me déclarais, j’allais blesser beaucoup
de gens autour de moi. Jusqu’au jour où j’ai compris qu’il y avait
une minuscule ouverture et j’ai toqué à la porte. Il fallait que je le lui
dise pour qu’il me réponde “stop”. Sauf qu’il ne m’a pas dit “stop”.
tu chantes aussi la culpabilité vis-à-vis du succès : “mes
réussites sont des démons”...
C’est vrai. Il y a eu des moments où je ne me sentais pas
bien sur scène. Et pourtant j’avais tellement les gens pour moi.
Ils t’applaudissent comme si tu étais Beyoncé mais, à la fin, tu as
l’impression d’avoir donné le plus mauvais concert de ta vie. Il y
a eu des soirs où je n’étais pas dedans juste parce que je n’étais
pas de bonne humeur. Mais pour rien au monde je ne change-
rais de place. Il n’y a rien qui me prend autant aux tripes que la
musique. La musique est un don d’émotions. Donc, quand je ne
vais pas bien, ça se sent, quand je suis en colère aussi. J’ai l’impres-
sion d’être toujours sur le fil du rasoir, j’ai vécu depuis l’enfance sur
des montagnes russes. Mais j’ai fini par comprendre que le bon-
heur ne s’attrapait pas et que je ne pourrais pas être heureuse tous
les jours de ma vie. Alors autant essayer de se concentrer sur les
bons moments. Aujourd’hui, je suis capable de faire la part des
choses sur ce que j’ai vécu.
tu parles de la mort de tes parents, deux chansons sont direc-
tement adressées à ta mère.
Deux? Non, trois! Il y a “J’peux pas”, que j’ai écrite avant mon
deuxième album parce que je ne comprenais pas pourquoi, moi,
j’étais là. J’étais tellement perdue dans ma vie. Et quand j’écris
ça, ma mère me manque. Elle n’est plus là pour que je lui pose la
question : “Pourquoi les gens m’aiment ?” Alors, à l’époque, je n’ai
pas pu l’enregistrer, je n’étais pas prête.
et depuis, tu as trouvé les réponses à ces questions?
Je ne sais toujours pas pourquoi je suis là. J’imagine que c’est
un mélange de travail, de chance, du fait que je ne chante pas
trop mal aussi. [Elle rit.] J’ai fait de bonnes rencontres, il y a eu un
alignement des étoiles assez incroyable. J’arrive à vivre tout cela
correctement.
Jusqu’alors, tu refusais d’évoquer la disparition de tes parents.
Parce que je n’étais pas capable de gérer la situation. Si on
reprend mon histoire, je ne me suis pas arrêtée. Et c’est cette
vitesse-là qui m’a aidée à surmonter le chagrin. Mais
pas à le comprendre. N’importe quel mouvement trop
en avant pouvait être synonyme d’effondrement. Et
c’était tout ce dont je n’avais pas envie. Aujourd’hui,
quand ça m’arrive, je suis très sereine, je sais que je suis
très émotive, ce n’est pas grave.
Dans “a l’autre”, tu t’adresses à la fois à ta
mère et à ta fille. et tu évoques l’impossible
transmission...

paris match. pourquoi as-tu décidé de te raconter aussi
intimement?
Louane. Je ne peux plus me restreindre à cause de la
peur. Et j’ai beaucoup eu peur dans ma vie. Je suis arrivée très
jeune dans ce milieu, tout est allé très vite. J’ai vécu des choses
professionnelles extraordinaires, mais des choses personnelles très
douloureuses dont les gens essayaient de se servir parfois pour
faire du buzz. Je n’étais tout simplement pas prête pour ça. Donc
je perdais mes moyens. Aujourd’hui, la barrière, je sais la mettre
moi-même, j’ai appris les codes, les armes, et je n’ai plus peur.
Dès le premier titre, tu te décris : “Je suis une éternelle
insatisfaite, je laisse au temps ce qu’il m’a pris / mon monde de
frissons, je vous invite à y entrer.”
Dans mon premier album, je disais que j’avais envie de
montrer ma chambre, ce qui était vrai. Là, je suis prête à dévoiler
qui je suis, et c’est encore autre chose. Ces frissons, ils arrivent
souvent dans des moments incongrus, ils peuvent être des frissons
de peur, de bonheur, de tristesse. Dans ma vie, tout a toujours été
soit très blanc, soit très noir. Le gris n’existe pas. C’est ma vie.
est-ce que la musique te permet d’être moins insatisfaite?
Je suis très exigeante et très dure avec moi. Je suis très fière
de la musique que je produis, mais mal à l’aise si je tombe dessus
à la radio, et je zappe quand c’est possible. Mais je ne vais surtout
pas me plaindre, je fais le métier dont j’ai toujours rêvé.
pourtant, tu aimerais être “mademoiselle tout le monde”?
Non, je suis Mademoiselle tout le monde. Avant d’être une
fille qui a une vie atypique, je suis juste une femme. Et comme
chez tout le monde, il y a des hauts et des bas dans mon existence.
Quand tu évoques le sentiment amoureux, tu parles de “ poésie
indécise”, de “rupture”... Un peu paradoxal?
En amour, je suis une “drama queen”. [Elle rit.]
Pendant longtemps, l’histoire que je vis aujourd’hui
n’a pas été possible. Avant qu’il puisse se douter de
mes sentiments, il y a eu des mois et des mois de
silence de ma part. Parce que cette histoire d’amour
n’était pas ouverte, il y avait trop de choses qui fai-
saient que ça n’existerait jamais. J’en avais tellement
peur que même ma meilleure amie n’était pas au

L’art était ma spécialité au lycée. J’adore encore dessiner même si je suis très nulle. Lors d’une
réunion autour de ce nouvel album, le nom de Martin Parr est sorti du chapeau. Personne n’y a cru, mais
mon équipe l’a quand même contacté. Et il a accepté, lui qui n’avait jamais fait de pochette d’album.
“Joie de vivre”, c’est chez moi, c’est un club pour enfants, sur le front de mer du Touquet où j’allais tout le temps.
Et où je vais encore car Brigitte, ma “grand-mère adoptive”, vit là-bas. C’est la meilleure amie de
ma mère. Quand j’ai participé à “The Voice”, le public l’a pris pour ma grand-mère et, depuis, c’est resté.

Pourquoi Martin Parr?
Le photographe anglais signe la pochette de « Joie de vivre »

« Joie de vivre »
(Barclay/Universal),
sortie le 23 octobre.
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