Paris Match - France (2020-11-12)

(Antfer) #1

22 parismatch DU 12aU 18 novembre 2020


culture
livres

Anthony PAlou


L’Ar mor en fAce
un reporter enquête sur la mort d’un marin pêcheurduFinistère.
Plus que des suspects, il remonte dans ses filets despersonnageshauts
en couleur et une bonne dose de vague à l’âme.

Par Gilles Martin-Chauffier

L


e bout de la terre est en Bretagne.
Pas de montagnes ni de falaises, pas
même de fjords ni de lacs légen-
daires. Dans le Finistère, le seul relief, c’est
la lumière qui le donne. Elle change cinq
fois par jour. C’est magique. Tout autour,
il y a l’océan. Un espace sans fin ni haies,
sans lisières ni routes. Dans un tel cadre,
l’esprit s’envole. Pas forcément pour le
grand large. Les Bretons n’aiment pas tous
la mer. Beaucoup restent à quai. Ils sont
comme les Bédouins et leurs déserts. Ce
qu’ils aiment, ce sont les oasis et les ports.
C’est justement dans l’un d’eux que
se retrouve David, un journaliste parisien,
habitué des plongées en terre profonde.

Récemment,il a planchésurla proliféra-
tion des lièvresdansleCantal.Aupara-
vant,il s’étaitpenchésurlesravagesdes
sangliersauxenvironsd’Anduze.Là,entre
LeGuilvinecetPenmarch,il vientenquê-
ter sur lamortd’unmarinpêcheurpassé
par-dessusbordenpleinenuit.Parisa des
idées surlesujet.Certainsdesgarsqui
embarquentauraientdonnédunezdans
la chnouf.Si c’estvrai,franchement,onles
comprend.Lamerestunmétierdechien.
A bord d’unchalutier,lâcherlesamarres,
c’est embarquerdansuncongélateur.Et
partir pourlestravauxforcés. Sansun
effort énorme,la mernedonnerien.Elle
vous attend,voussurveille,vousattaque.
Affaméescommedescriquets,aiguisées
comme descouteaux, des vagues hautes

commedesvolcansseruentvers
vous. Le roulis vous brise le dos,
le vent vous glace, la peur vous
empoigne et il faut haler les filets,
ranger la poiscaille, l’étriper, la vider,
la laver, rincer le pont... Le diable aux
trousses, on n’arrête jamais et on en sort
lessivé comme d’une machine à tambour.
En mer d’Irlande, au-delà des îles
Scilly, dans ces espaces glacés de brume
et de bruine, la lune est l’unique soleil. L’an-
goisse persiste même quand il fait beau.
Par temps calme, la mer est aussi profonde
que pendant la tempête. Un gros caillou
qui bloque le chalut et le bateau a vite fait
de partir à la renverse. Le ciel est vide et
la côte est loin. Heureusement qu’à terre
les femmes ont des sourires de printemps
en plein hiver. Même le vent a des dou-
ceurs d’haleine de bébé. Pour son enquête,
David descend à La Toupie. Tous les gars
du port viennent y taper le carton et lever
le coude. Quand l’un d’entre eux arrête
l’alcool, il passe au muscadet. Sur le quai,
les mouettes crient et les goélands planent
mais tout est calme. Plus loin, de petites
maisons blanches se cachent derrière les
hortensias et les rhododendrons. Clarisse,
la femme de Pierre, l’homme qui s’est noyé,
a beaucoup de charme. Son sourire est très
accueillant. Peut-être Pierre était-il jaloux,
ou inquiet? Un gros dur élevé à la dorade
et aux palourdes ne passe pas à la légère de
la bolée de cidre brut à la cocaïne. Cela dit,
si les gens du coin ont des idées sur le sujet,
ils ne vont pas les donner au premier venu.
Même Henri-Jean, un nain à la voix de cas-
trat, le Toulouse-Lautrec local, garde ses
hypothèses pour lui. David apprend plein
de petits trucs inutiles. Avec le cartilage des
baudroies, par exemple, on fabrique des
fraises Tagada, du gloss et des crèmes de
jour. Dans les viviers, on ligote les pinces
des homards pour qu’ils ne se dévorent
pas entre eux. Son article, en revanche,
n’avance pas. Et son rédacteur en chef
peste. C’est bien le seul. Le lecteur, lui, se
régale et embarque pour le rêve. n

« La faucille d’or »,
d’Anthony Palou, éd. du Rocher,
160 pages, 16 euros.

Critique

Un gardiendecampd’exterminationquifuit, la queueentrelesjambes, l’avancéede l’Armée rouge
rencontreunemortindigned’unsurhomme; uneorphelineerrante,dontlesparents ont été gazés par les nazis,
sedénicheunemèredesubstitution; unvieillardimpotentsefaitmaltraiterparunejeuneauxiliairede
vieaussiavidequedévergondée.Dequoivousdégoûterd’avoirétéunvaillantSA! Entreémotionetironie,
fableetéchappéesimaginaires,PhilippeClaudeldéploieencinqnouvellessonthéâtre de la petitesse
humaine.Descontescruelsdontla noirceurbadinereflèteavecjustessela banalité du mal. François Lestavel
« Fantaisieallemande», éd.Stock,120 pages, 18 euros.

Philippe Claudel Petit précis de décadence

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